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CHAP.

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Il y en a même à qui le foin qu'ils on: eu de demander à Dieu la lumiere dont ils ont befoin pour fe conduire en certaines occafions difficiles, fuffit pour. préferer les fentimens où ils fe trouvent, à ceux des autres en qui ils ne voyent pas la même vigilance dans la priere; mais ils ne confiderent pas que le vrai effet des prieres n'eft pas tant de nous rendre plus éclairés, que de nous obtenir plus de défiance de nos propres lumieres, & de nous rendre plus difpofés à embraffer celles des autres. De forte qu'il arrive fouvent qu'une perfonne moins vertuense aura en effet plus de lumiere fur an certain point, qu'un autre qui aura beaucoup plus de vertu. Mais en mêmetems toute cette lumiere lui fervira beaucoup moins par le mauvais ufage qu'elle en fait, que fi elle avoit obtenu par fes prieres, & la docilité pour recevoir la verité d'un antre, & la grace d'en bien ufer.

Ceux qui ont l'imagination vive, & qui conçoivent fortement les chofes, font encore fajets à s'attacher à leur propre jugement: parceque l'application vive qu'ils ont à certains objets, les empêche d'étendre affez la vue de leur efprit ponr former un jugement équitable qui dépend de la comparaifon des diverfes raifons. Ils fe rempliffent tellement d'une

faifon qu'ils ne donnent plus d'entrée à CHAP toutes les autres. Et ils reflemblent pro- V prement à ceux qui font trop près des objets, & qui ne voyent ainfi que ce qui eft précilement devant eux.

Ceft par plufieurs de ces raifons que les femmes & particulierement celles qui ont beaucoup d'efprit,font fujettes à être fort arrêtées à leur fens. Car elles ont d'ordinaire un efprit d'imagination, c'est-à-dire plus vif qu'étendu ; & ainsi elles s'occupent fortement de ce qui les frappe, & confiderent fort peu le refte. Elles parlent bien & facilement, & par là elles attirent la créance & l'eftime. Elles ont de la moderation, & elles font exactes dans les actions de pieté. De forte que tout contribue à leur faire eftimer leurs propres pensées, parceque rien ne les porte à s'en défier.

Enfin tout ce qui éleve les hommes dans le monde, comme les richeffes, la puiflance, l'autorité, les rend infenfi blement plus attachés à leurs fentimens, tant par la complaifance & la créance que ces chofes leur attirent, que parcequ'ils font moins accoutumés à la contradiction; ce qui les y rend plus delicats. Comme on ne les avertit pas fouvent qu'ils fe trompent, ils s'accoutument à croire qu'ils ne fe trompent point, & ils

CHAP. font furpris lorsqu'on entreprend de leur V. faire remarquer qu'ils y font fujets com me les autres.

Ce feroit à la verité abufer de ces obfervations generales, que d'en prendre fujet d'attribuer en particulier cette attache vicieuse, à ceux en qui l'on remarque les qualités qui font capables de la produire, parcequ'elles ne la produifent pas neceffairement. Ainfi l'ufage qu'on en doit faire, n'eft pas de foupçonner, ou de condanner perfonne en particulier fur ces fignes incertains; mais feulement de conclure que quand on traite avec des perfonnes, qui par leur état, ou par la qualité de leur efprit peuvent avoir ce défaut, foit qu'ils l'ayent ou ne l'ayent pas effectivement, il eft toujours utile de fe tenir davantage fur fes gardes, pour ne pas choquer, fans de grandes raifons, leurs opinions & leurs fentimens. Car cette précaution ne fauroit jamais nuire, & elle peut être très-utile en de certaines

rencontres.

CHAPITRE VI.

Quelles font les opinions qu'il eft plus dangereux de choquer.

MAI's il faut remarquer que comme il y a des perfonnes qu'il eft plus dangereux de contredire que d'autres; il y a auffi certaines opinions aufquelles il faut avoir plus d'égard. Et ce font celles qui ne font pas particulieres à une feule perfonne du lieu où l'on vit, mais qui y font établies par une approbation univerfelle. Car en choquant ces fortes d'opinions, il femble qu'on fe veuille èlever au deffus de tous les autres; & l'on donne lieu à tous ceux qui en font prévenus de s'y intereffer avec d'autant plus de chaleur qu'ils croient ne s'intereffer pas pour leurs propres fentimens, mais pour ceux de tout le corps. Or la maligniténaturelle eft infiniment plus vive & plus agiffante, lorfquelle a un prétexte honnête pour le couvrir,& qu'elle fe peut. déguifer à elle même fous le pretexte du zéle que l'on doit avoir pour fes fuperieurs, & pour le corps dont on fait partie. Cette remarque eft d'une extreme importance pour la confervation de la paix

CHAP. Et pour en penetrer l'étendue, il faut VL ajoûter, qu'en tout corps & en toute focieté il y a d'ordinaire certaines maximes qui regnent, qui font formées par le jugement de ceux qui y poffedent la créance, & dont l'autorité domine fur les efprits. Souvent ceux qui les propofent y ont peu d'attache, parcequ'elle leur paroiffent à eux-mêmes peu claires: mais cela n'empêche pas que les inferieurs recevant ces maximes fans examen,& par la voie de la fimple autorité, ne les reçoivent comme indubitables, & que faifant d'ordinaire confifter leur honneur à les maintenir à quelque prix que ce foit, ils ne s'élevent avec zele contre ceux qui les contredifent.Ces maximes & ces opinions regardent quelquefois des chofes fpeculatives & des questions de doctrine. On eftime en quelques lieux une forte de philofophie, en d'autres une autre.ll y en a out toutes les opinions feveres font bien reçûes, & d'autres où elles font toutes fufpectes. Quelquefois elles regardent l'eftime que l'on doit faire de certaines perfonnes, & principalement de celles qui font de la focieté même, parceque ceux qui y regnent par la créance, leur donnent à chacun feur rang & leur place felon la

maniere dont ils les traitent,ou dont ils en parlent, & cette place leur eft confirmée

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