Imágenes de páginas
PDF
EPUB

CHAP. de nous & de nos défauts, que fi l'on nous: IV. en eût déja averti. Ce petit degré d'affû→ rance que produit le rapport qu'on nous fait, eft bien peu de chofe, pour chan→ ger comme il fait l'état de notre ame. Ainfi de quelque maniere que l'on con-fidere cette fenfibilité que nous éprouvons en ces rencontres,on trouvera qu'el le est toujours ridicule & contraire à la raifon.

CHAPITRE V..

Qu'il eft injufte de vouloir être aimé
des hommes.

Q

Uand on defire d'être aimé des hommes, & que l'on eft fâché d'en être hai, à cause que cela fert ou nuit à nos deffeins, ce n'eft pas proprement vanité ni dépit, c'eft interêt bon ou mauvais, jufte ou injufte. Et ce n'eft pas ce que nous confiderons ici, où nous n'examinons que l'impreffion que font par euxmêmes dans nos cœurs les fentimens d'amour ou de haine qu'on a pour nous, la feule vûe de ces objets n'étant en effet que trop capable de nous plaire ou de nous troubler fans que nous en confiderions les fuites. Car comme l'eftime que

[ocr errors]

V..

nous avons pour nous-mêmes eft jointe à CHAP in amour tendre & fenfible,nous ne defirons pas feulement que les hommes nous approuvent, nous voulons auffi qu'ils nous aiment; & leur eftime ne nous fatisfait nullement, fi elle ne fe termine à l'affection. C'eftpourquoi rien ne nous choque tant que l'averfion, ni n'excite en nous de plus vifsreffentimens. Mais quoiqu'ils nous foient devenus naturels depuis le peché,ils ne laiffent pas d'être injuftes, & nous ne fommes pas moins obligés de les combattre ce qu'on peut faire par des réflexions peu differentes de celles que nous avons propofées contre l'amour de: l'eftime.

La recherche de l'amour des hommes. eft injufte, puifqu'elle eft fondée fur ce que nous nous jugeons nous-mêmes aimables, & qu'il eft faux que nous le foyons. Elle naît d'aveuglement & d'une ignorance volontaire de nos défauts. Un homme accablé de maux & dans l'indigence, fe contenteroit bien que l'on eût dé la charité pour lui, & qu'on le fouffrît.Nous n'en demanderions pas d'avantage fi nous connoiffions bien notre état, & nous le connoîtrions fi nous ne nous aveu-glions point volontairement.

Quiconque fait qu'il merite que toutes es creatures s'élevent contre lui, peut-i Myy

CHAP. prétendre que ces mêmes créatures le V. doivent aimer? Au lieu donc que nous regardons l'amour des hommes comme nous étant du, & leur averfion comme nne injuftice qu'ils nous font, nous devrions regarder an-contraire leur averfion comme nous étant dûe, & leur affeЄtion comme une grace que nous ne meritons pas.

Mais s'il eft injufte en general de fe croire digne d'être aimé, il l'eft encore beaucoup plus de vouloir être aimé par la force. Rien n'eft plus libre que l'amour, & on ne doit pas prétendre de l'obtenir par des reproches ni par des plaintes. C'eft peut-être par notre faute que l'on ne nous aime pas; c'eft peut-être auffi par la mauvaise difpofition des autres: mais ce qui eft certain, c'est que la force & la colere ne font pas des moyens pour fe

faire aimer.

Nous ne prenons pas garde de plus, que ce n'eft pas proprement fur nous que tombe cette averfion : car la fource de toutes les averfions eft la contrarieté qui fe rencontre entre la difpofition où l'on eft,& ce que l'on croit voir dans les autres. Or cette difpofition agit contre tous ceux en qui cette contrarieté paroît. Quand il arrive donc, ou que nous avons en effet ces qualités qui font l'objet de l'a

verfion de certaines perfonnes, ou que ou que CHAP. nous ne nous montrons à eux que par des V.. endroits quileur donnent lieu de nous les attribuer, nous ne devons point nous étonner que leur difpofition faffe fon effet contre nous, elle l'auroit fait de même contre tout autre: & ce n'est pas proprement nous qu'ils haïffent, c'eft cet hom me en general qui a telles & telles qualités qui les choquent.

On hait en general, les avares, les gens intereffès, les préfomtueux. On croit en particulier que nous le fommes; cette averfion generale agit donc contre nous. Qu'est-ce qui nous blefle en cela: Eft-ce cette averfion generale ? Mais elle est jufte en quelque maniere: car un homme en qui ces défauts fe rencontrent, merite qu'on ait quelque efpece d'averfion pour lui. Eft-ce le jugement que l'on fait de nous ? Mais ce jugement eft formé furt quelques apparences qui peuvent être legeres à la verité, mais qui ne laiffent pas d'emporter l'efprit de ceux qui les voient. Nous devons donc les plaindre de leur legereté & de leur foiblefle, au-lieu de nous plain dre de leur injustice.

Quand les hommes nous aiment, ce n'eft pas nous proprement qu'ils aiment, leur amour n'étant fondé que fur ce qu'ils nous attribuent des qualités que nous n'a

CHAP. Vons pas, ou qu'ils ne voient pas en nons V. des défauts que nous avons. Ils en font de même quand ils nous haïffent. Ce que nous avons de bon ne leur paroît point alors, & ils ne voient que nos défauts Or nous ne fommes ni cette perfonne fans défauts, ni cette perfonne qui n'a rien de bon. Ce n'eft donc pas tant nous, qu'un fantôme qu'ils fe font formé, qu'ils aiment ou qu'ils haïffent : & ainfi nous avons tort, & de nous fatisfaire de leur amour, & de nous offenfer de leur haine.

Mais quand cet amour ou cette haine nous regarderoient directement dans notre être veritable: que nous en revient-il de bien ou de mal, à ne confiderer, comme nous avons dit, ces fentimens qu'en eux-mêmes ? Ce ne font que des vapeurs paffageres qui fe diffipent d'elles-mêmes en moins de rien ; les hommes étant incapables de s'arrêter long-temps à nn même objet. Quand elles fubfifteroient, elles n'auroient aucun pouvoir par elles-mêmes de nous rendre plus heureux ni plus malheureux. Ce font des chofes entierement féparées de nous, qui n'ont fur nous aucun effet, à moins que notre ame ne s'y joigne, & que par une imagination fauffe & trompeufe, elle ne les prenne pour des biens on pour des maux. Qu'on uniffe

« AnteriorContinuar »