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CHAPITRE VIII.

Bornes étroites de la fcience des hommes: notre efpritraconrcit tout. La verité même nous aveugle fouvent.

POur comprendre donc ce que c'eft que la fcience des hommes, il faut defcendre comme par divers degrés jufques aux bornes où elle eft réduite. Elle feroit peu de chofe quand notte efprit feroit capable de s'appliquer tout à la fois à tout ce que nous avons dans la mémoi re, parceque nous ne connoîtrions toujours que peu de verités. Cependant,comme je le viens de dire, nous ne fommes capables de connoître qu'un feul objet & une feule verité à la fois. Le reste demeure enfeveli dans notre mémoire comme s'il n'y étoit point. Voilà donc déja notre science réduite à un feul objet. Mais de quelle maniere encore le connoît-on? S'il renferme divertes qualités, nous n'en regardons qu'une à la fois. Nous divifons les chofes les plus fumples en diverses idées, parceque notre efprit eft encore trop étroit pour les pouvoir comprendre toutes enfemble. Tout eft trop grand pour lui. Il faut qu'il racourciffe tout ce

CHAP. qu'il confidere, ou qu'il en retranche la VIII. plus grande partie pour le proportionner à fa petiteffe.

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La vue de notre esprit eft à peu près femblable à celle de notre corps ; je veux dire qu'elle eft auffi fuperficielle & auffi bornée. Nos yeux ne penetrent point-la profondeur des corps, ils s'arrêtent à la furface. Plus ils étendent leur vûe, plus. elle eft confufe, & pour voir quelque objet exactement, il faut qu'ils perdent de vûe tous les autres. Que fi les objets font éloignés, ils les réduifent par la foiblefle de l'organe qui en reçoit l'image,à la petiteffe des moindres corps que nous avons auprès de nous. Ces mafles prodigieufes qu'on appelle des étoiles, ne font qu'un point à nos yeux, & ne nous paroiffent prefque que des étincelles. Ceft-là l'image de la vue de notre efprit. Nous ne connoiffons de-même que la furface & Fécorce de la plupart des chofes. Nous en détachons comme une feuille délicate pour en faire l'objet de notre pensée. Si les objets font un peu étendus, ils nous confondent. Il faut neceffairement que nous les confiterions par parties, & fouvent la multiplicité de ces parties nous rejette dans la confufion que nous voulions. éviter.Confufum eft quidquid in pulverem fetum eft. S'ils ne font pas préfens anos fens

nous ne les atteignons fouvent qu'en un CHAP point, & nous nous formons des idées fi VILL foibles & fi petites des plus grandes & des plus terribles chofes, qu'elles font moins d'impreffion fur nous, que la moindre de celles qui agiflent fur nos fens.

Ce n'eft pas encore tout. Quoique co ́ que notre efprit peut comprendre de verité foit fi peu de chofe, la poffeffion ne lui en eft pas néanmoins ferme ni afliurée. Il y eft fouvent troublé par la défiance & l'incertitude: & le faux lui paroît revêtu de couleurs fi femblables à celle du vrai, qu'il ne fait où il en eft. Ainfi il n'embraffe fon objet que foiblement & comme” en tremblant, & il ne fe défend contre cette incertitude que par un certain in-ftinct, & un certain fentiment qui le fait attacher aux vérités qu'il connoît, mal-gré les raifons qui femblent y être con--

traires.

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Voilà donc à quoi fe reduit cette fcien-ce des hommes que l'on vante tant, connoître une à une un petit nombre de verités d'une maniere foible & tremblan te. Mais de ces verités combien y en a-t-il peu d'utiles? & de celles qui font utiles en elles-mêmes, combien y en a-t-il pen qui le foient à notre égard, & qui ne puiffent devenir des principes d'erreur? Car ceft encore un effet de la foibleffe dess By

CHAP. hommes, que la lumiere les aveugle fouVIH vent auffi-bien que les tenebres, & que la verité les trompe auffi-bien que l'erreur. Et la raison en eft que les conclufions dépendant ordinairement de l'union desverités, & non d'une verité toute feule;. il arrive fouvent qu'une verité imparfaitement connue, étant prie par erreur comme fuffifante pour nous conduire, nous jette dans l'egarement. Combien y en a-t-il, par exemple, qui fe précipitent dans des indiscretions par la connoillance qu'ils ont de cette verité particuliere,Que nous devons la correction au prochain? Combien y en a-t-il qui autorifent leur lâcheté par des maximes très - veritables touchant la condefcendance chrétienne?

Si l'on ne voit point de chemin, on s'égare. Si l'on en voit plufieurs, on fe confond: & la lumiere de l'efprit qui fait découvrir plufieurs raifons, eft auffi capable de nous tromper, que la ftupi lité qui ne voit rien. Nous nous trompons fouvent par l'impreffion des autres qui nous communiquent leurs erreurs, & nous nous trompons même quelquefois lorfque nous découvrons les erreurs des autres, parceque nous fommes portés à croire qu'ils ont tort en tout, au-lieu qu'ils n'ont fouwent tort qu'en partie..

CHAPITRE IX.

Difficulté de connoître les chofes dont on doit juger par la comparaifon des vraisemblan-ces. Temerite prodigieufe de ceux qui fe croyent capables de choisir une religion,par l'examen particulier de tous les dogmes conteftés.

Orci encore un antre inconvenient qui eft la fource d'un grand nombre : d'erreurs. La découverte du vrai dans la plupart des chofes dépend de la comparaifon des vraisemblances.Mais qu'y a-t-ik de plus trompeur que cette comparaison? car ce qui eft de foi-même moins vraifemblable étant mis plus en vûe par la maniere dont on l'exprime, & étant confideré avec plus d'application ou de paffion, eft capable de faire beaucoup plus d'impreffion fur l'efprit, que d'autres chofes, qui quoiqu'appuyecs fur des raifons beaucoup plus folides, feroient propofées d'une maniere obfcure,& écoutées avec negligence & fans paffion. Ainfi l'inégalité de la clarté, l'inégalité de l'application, l'inégalité de la paffion contrepele fouvent, ou anéantit même entierement l'avantage que les raifons ont les unes fur les autres en folidité, ou en vrai-femblance.

Bevja

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