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& au-delà ; & un monde du petit cercle CHAP
de creatures qui l'environnent, fur les- III
quelles il agit, ou qui agiffent fur lui; &
c'est par la place qu'il le donne dans ce
petit monde, qu'il le forme cette idée a-
vantageufe de fa grandeur.

Il femble que ce foit pour diffiper cette
illufion naturelle, que Dien ayant deffein
d'humilier Job fous fa majefté fouverai- Feb. ch.
ne, le fait comme fortir de lui-même pour 38.& 45-
lui faire contempler ce grand monde &
toutes les créatures qui le rempliffent, afin
de le convaincre par là de fon impniflan-
ce & de fa foibleffe, en lui faifant voir
combien il y a de caufes & d'effets dans la
nature qui furpaffent non fenlement fa
force, mais auffi fon intelligence. Et en
effet,qu'y a-t-il de plus capable de détrui-
re cette faufle idée que l'homme fe for
me de la grandeur de fon être, en ne se
comparant qu'avec lui-même, on avec
des hommes femblables à lui, que de l'o--
bliger à confiderer toutes les autres créa-
tres, & ce qu'elles nous découvrent de
la grandeur infinie de Dien? Plus Dieu fe-
ra grand & puiffant à nos yeux, plus nous
nous trouverons petits & foibles, & ce
n'eft qu'en perdant de vue cette grandeur
infinie, que nous nous eftimons quelque
chose.

Pour fuivre donc cette ouverture que

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CHAP. l'Ecriture nous donne, que chacun conIII. temple cette durée infinie qui le précede & qui le fuit, & qu'y voyant la vie renfermée,il regarde ce qu'elle en occupe. Qu'il fe demande à lui-même, pourquoi il a commencé de paroître plutôt en ce point qu'en un autre de cette éternité, & s'il fent en foi la force ou de fe donner l'être ou de fe le conferver. Qu'il en fafle de même de l'efpace. Qu'il porte la vue de fon efprit dans cette immenfité où fon imagination ne fauroit trouver de bornes. Qu'il regarde cette vafte étendue de matiere que fes fens découvrent. Qu'il confidere dans cette comparaifon ce qui lui en eft échu en partage,c'eft-à-dire cette portion de matiere qui fait fon corps. Qu'il voye ce qu'elle eft, & ce qu'elle remplit dans l'univers. Qu'il tâche de découvrir pourquoi elle fe trouve en ce lieu plutôt qu'en un autre de cet infini où il eft comme abîmé. Il eft impoffible que dans cette vûe il ne confidere la terre toute entiere comme un cachot où il fe trouve confiné. Que fera-ce donc de l'efpace qu'il occupe fur la terre? Il eft vrai qu'il a quelque pouvoir d'en changer? mais il n'en change point qu'il n'en perde autant qu'il en acquiert, & il fe voit toûjours englouti comme un atome imperceptible dans Fimmenfité de l'univers.

Qu'il joigne à cette confideration cel- CHAP. le de tous ces grans mouvemens qui agi- IIL tent toute la matiere du monde, & qui emportent tous ces grans corps qui roulent fur nos têtes. Qu'il y joigne celle de tout ce qui fe fait dans le monde corporel indépendamment de lui. Qu'il y joigne celle du monde fpirituel, de cette infinité d'Anges & de démons, de ce nombre prodigieux de morts, qui ne font morts qu'à notre égard, & qui font plus vivans & plus agilfans qu'ils n'étoient. Qu'il y joigne celle de tous les hommes vivans qui ne penfent point à lui, qui ne le connoiffent point, & fur lesquels il n'a aucun pouvoir; & que dans cette contemplation il fe demande à lui-même ce qu'il eft dans ce double monde, quel eft fon rang; fa force,fa grandeur,fa puissance,en comparaifon de celles de toutes les autres créatures.

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CHAPITRE IV.

Néant de la vie préfente de l'homme, & de tout ce qui eft fondé fur cette vie.

Ette comparaifon de l'homme avec toutes les autres creatures, tend principalement à humilier l'homme en la pré

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CHAP.

L

Peut-être même que ce qui fait defiret aux hommes avec tant de paffion, l'approbation des autres, eft qu'elle les aftermit & les fortifie dans l'idée qu'ils ont de leur excellence propre; car ce fentiment public les en aflure, & leurs approbateurs font comme autant de témoins qui les perfuadent qu'ils ne fe trompent pas dans le jugement qu'ils font d'eux-mêmes.

L'orgueil qui naît des qualités fpirituelles, eft de même genre que celui qui eft fondé fur des avantages exterieurs; & il confifte de même dans une idée qui nous repréfente grans à nos yeux, & qui fait que nous nous jugeons dignes d'eftime & de préference, foit que cette idée foit formée fur quelque qualité que l'on connoiffe diftinctement en foi, foit que ce ne foit qu'une image confufe d'une excellence & d'une grandeur que l'on s'attribue.

Ceft auffi cette idée qui caufe le plaifir ou le dégoût que l'on trouve dans quantité de petites chofes qui nous flattent ou qui nous bleffent, fans que l'on en voye d'abord la raison. On prend plaifir à gagner à toutes fortes de jeux,même fans avarice,& l'on n'aime point à perdre. Ceft que quand on perd, on fe regarde comme malheureux, ce qui renferme l'idée de foibleffe & de mifere; & quand on gagne, on fe regarde comme heureux, ce

qu'est-ce que cette vie fur laquelle il fe CHAR. fonde,& quelle force a-t-il pour fela con- IV. ferver? Elle dépend d'une machine fi délicate & compofée de tant de reflorts, qu'au lieu d'admirer comment elle fe détruit,il y a lieu de s'étonner comment elle peut feulement fubfifter un peu de temps. Le moindre vaiffeau qui fe rompt, on qui fe bouche, interrompant le cours du fang & des humeurs, ruine l'economie de tout le corps. Un petit épanchement de fang dans le cerveau, fuffit pour boucher les pores par où les efprits entrent dans les nerfs, & pour arrêter tous les mouvemens. Si nous voiyons ce qui nous fait mourir, nous en ferions furpris. Ce n'eft quelquefois qu'une goute d'humeur étrangere, qu'un grain de matiere mal plaeé, & cette gonte ou ce grain fuffit pour renverser tous les defleins ambitieux de ces Conquerans & de ces Maîtres du monde.

Je me fouviens fur ce fijet qu'un jour on montra à une perfonne de grande qualité & de grand efprit, un ouvrage d'ivoire d'une extraordinaire délicateffe. C'étoit un petit homme monté fur une colonne fi deliée, que le moindre vent étoit capable de brifer tout cet ouvrage, & l'on ne pouvoit affez admirer l'adrefle avec laquelle l'ouvrier avoit fû le tailler.

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