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CHAP. Il eft certain que l'impatience que les XI. hommes témoignent dans toutes ces occafions, vient de quelque paffion qui les poflede. Mais les paffions mêmes viennent de foibleffe & du peu d'attache que leur ame a aux biens veritables & folides. Et pour le comprendre il faut confiderer que comme ce n'elt pas une foibleffe à notre corps d'avoir befoin de la terre pour le foutenir, parceque c'est la condition naturelle de tous les corps; mais que l'on ne dit qu'il eft foible que lorfqu'il a befoin d'appuis étrangers, qu'il le faut porter, ou qu'il lui faut un bâton, que le moindre vent eft capable de le renverfer; de même ce n'eft pas une foibleffe à l'ame d'avoir befoin de s'appuyer fur quelque chofe de véritable & de folide, & de ne pouvoir pas fubfifter comme fufpendue en l'air fans êrre attachée à ancun objet: ou fi c'eft une foibleffe, elle eft eflencielle à la creature, qui ne fuffifant pas à elle-même, a befoin de chercher ailleurs le foutien qu'elle ne trouve pas en foi.

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Mais la foibleffe veritable de l'ame confifte en ce qu'elle s'appuye fur le Ifai. 59. neant, comme dit l'Ecriture, & non fur des chofes réelles & folides; ou que elle s'appuye fur la verité, cette verité ne i fuffit pas, & n'empêche pas qu'elle

n'ait encore befoin de mille autres fou- CHAP. tiens, par la fouftraction defquels elle XII. tombe incontinent dans l'abattement. Elle confifte en ce que le moindre fouffle elt capable de la faire fortir de l'état de fon repos, que les moindres bagatelles l'ébranlent, l'agitent, la tourmentent, & qu'elle ne peut refifter à l'impreffion de mille chofes dont elle reconnoît ellemême la fauffeté & le neant.

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CHAPITRE XIL

Confideration particuliere fur la vanité des appuis que l'ame fe fait pour se foutenir. CE que nous venons de dire eft une image racourcie de la foibleffe de l'homme: & il eft bon de la confiderer plus en détail pour en remarquer les differens traits.

Quoique l'homme ne puiffe trouver en cette vie de veritable repos; il est certain qu'il n'eft pas auffi toujours dans l'abattement & dans le defefpoir. Son ane prend par neceffité une certaine confitance, parcequ'il eft fi foible & fi inconftant, qu'il ne peut pas ne peut pas même demeurer dans une agitation continuelle. Les plus grans maux s'adouciffent par, le temps. Le fentiment s'en perd & s'en

CHAP. évanouit. La pauvreté, la honte, la maXII. ladie, l'abandonnement, la perte des amis, des parens, des enfans, ne produi fent que des fecouffes paflageres, dont le mouvement fe rallentit peu-à-peu jufqu'à ce qu'il ceffe entierement.

L'ame trouve donc enfin quelque forte de repos, & c'eft une chofe commune à tous les hommes d'avoir en quelque temps de leur vie une affiette tranquille. Mais cette affiette eft fi peu ferme, qu'il ne faut prefque rien pour la troubler.

La raison en eft que l'homme ne s'y foutient pas par l'attache à quelque vérité folide qu'il connoiffe clairement, mais qu'il s'appuye fur quantité de petits foutiens; & qu'il eft comme fufpendu par une infinité de fils foibles & déliés, à un grand nombre de chofes vaines & qui ne dépendent pas de lui: de forte que comme il y a toujours quelqu'un de ces fils qui fe rompt, il tombe auffi en partie & reçoit une fecouffe qui le trouble. On eft porté par le petit cercle d'amis & d'approbateurs dont on elt environné; car chacun tâche de s'en faire un, & l'ony reüffit ordinairement. On eft porté par l'obéillance & l'affection de fes domeltiques, par la protection des Grans, par de petits fuccès, par des louanges, par des divertiffemens, par des plaifirs. Oa

eft

eft porté par les occupations qui amufent CHAR par les efperances que l'on nourrit, par XII. les deffeins que l'on forme, par les ouvra ges que l'on entreprend. On eft porté par les curiofités d'un cabinet, par un jardin, par une maifon des champs. Enfin il eft étrange à combien de choles l'ame s'attache, & combien il lui faut de petits appuis pour la tenir en repos.

On ne s'apperçoit pas pendant que l'on poffede toutes ces chofes combien on en eft dépendant. Mais comme elles viennent fouvent à manquer, on reconnoît par le trouble que l'on en reffent, que l'on y avoit une attache effective. Un verre caflé nous impatiente; notre repos en dépendoit donc. Un jugement faux & ridicule qu'un impertinent aura fait de nous, nous penetre jufqu'au vif; l'eftime de cet impertinent, ou au-moins l'ignorance de ce jugement faux qu'il fait de nous, contribuoit donc à notre tranquilité; Elle nous portoit & nous foutenoit fans que nous y penfaffions.

Non feulement nous avons befoin continuellement de ces vains foutiens, mais notre foiblefle eft fi grande qu'ils ne font pas capables de nous foutenir long temps. Il en faut changer. Nous les écraferions par notre poi's. Nous fommes com ne des oifeaux qui font en l'air, mais qui n'y Tome. I

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CHAP. peuvent demeurer fans mouvement, ni XII. prefque en un même lieu, parceque leur appui n'eft pas folide, & que d'ailleurs ils n'ont pas affez de force & de vigueur en eux pour refifter à ce qui les porte en bas: de forte qu'il faut qu'ils fe remuent continuellement, & par de nou veaux battemens de l'air, ils fe font fans ceffe un nouvel appui. Autrement s'ils ceffoient d'ufer de cet artifice que la nature leur apprend, ils tomberoient com me les autres chofes pefantes. Notre foi bleffe fpirituelle a des effets tout femblables. Nous nous appuyons fur les jugemens des hommes, fur les plaifirs des fens, fur les confolations humaines, comme fur un air qui nous foutient pour un temps. Mais parceque toutes ces chofes n'ont point de folidité, fi nous ceffons de nous remuer & de changer d'ob jet, nous tombons dans l'abattement & dans la trifteffe. Chaque objet en particulier n'eft pas capable de nous foute nir. Ceft par des changemens continuels que l'ame fe maintient dans un état fupportable, & qu'elle s'empêche d'être ac cablée par l'ennui & le chagrin. Ainfi ce n'eft que par artifice qu'elle fubfifte. Elle tend par fon propre poids au découragement & au defefpoir. Le centre de la nature corrompue eft la rage & l'enfer.

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