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On le porte en quelque forte en foi-mé- CHAR me dès cette vie ; & ce n'eft que pour XILL s'empêcher de le fentir que l'ame s'agite tant, & qu'elle cherche à s'occuper hors d'elle-même de tant d'objets exterieurs. Pour l'y enfoncer tout-à-fait, il ne faut que la feparer de tous ces objets, & la réduire à ne penfer qu'à elle-même. Et comme c'eft proprement ce que fait la mort, elle précipiteroit tous les hommes dans ce centre malheureux, fi Dieu par fa grace toute puiffante, n'avoit donné à quel ques-uns d'eux un autre poids qui les éleve vers le ciel

CHAPITRE XIII.

Que tout ce qui paroît de grand dans la difpofition de l'ame de ceux qui ne font pas veritablement à Dieu, n'eft que foiblesse.

Ln'eft pas moins vrai de la volonté de l'homme confiderée en elle-même & fans le fecours de Dieu, que de fon efprit & de fon intelligence, que ce qui y paroît de plus grand n'eft que foiblefle, & que les noms de force &de courage, par lef quels on releve certaines actions & certaines difpofitions de l'ame,nous cachent

CHAP. les plus grandes lâchetés & les plus granXII. des bafleflès. Ce que nous prenons pour courfe; eft une fuite, pour élevation, eft ane chute; pour fermeté, eft legereté. Cette immobilité & cette roideur inflexible qui paroît en quelques actions, n'eft qu'une dureté produite par le vent des paffions qui enfle comme des balons ceux qu'elles poffedent. Quelquefois ce vent des éleve en haut, quelquefois il les préci pite en bas. Mais en haut & en bas ils font également legers & foibles.

Qu'est-ce qui porte tant de gens à fuivre la profeffion des armes dans laquelle il faut par neceffité s'expofer à tant de hazards & à fouffrir tant de fatigues? Est-ce le defir de fervir leur Prince, ou leur fays? Ils n'en ont pas fouvent la moindre penfée. Ceft l'impuiffance de mener une vie re glée. C'eft la fuite du travail où leur condition les engage. Ceft l'amour de ce qu'il y a de licencieux dans la vie des foldats. Ceft la foibleffe de leur efprit, & F'illufion de leur imagination qui les flatte par de faufles efperances, & qui leur reprefentant d'une maniere vive les maux qu'ils veulent éviter, leur cache ceux aufquels ils s'expofent.

Ne vous imaginez pas que ce brave qui marche à l'affaut avec tant de fierté, éprise férieusement la mort, & qu'il

confidere fort la juftice de la caufe qu'il CHAT foutient. Il est tout poffedé de la crainte XHI des jugemens qu'on feroit de lui s'il reculoit; & ces jugemens le preffent comme un ennemi, & ne lui permettent pas de penser à autre chose. Voilà la fource de ce grand courage.

. Pour en être convaincu, on n'a qu'à confiderer ces gens que l'on fait paffer pour des exemples de la force & de la generofité humaine dans les endroits de leur vie où ils ont été dépourvûs de ce vent qui les portoit dans leurs actions pompeufes & éclatantes. On y voit ces prétendus Heros qui fembloient braver la mort, & fe moquer des chofes les plus terribles, renversés par le moindre accident, & réduits à témoigner honteufement leur foibleffe. Qu'on regarde cer Alexandre qui avoit fait trembler toute la terre, & qui dans les combats avoit fi fouvent affronté la mort, attaqué d'une maladie mortelle dans Babylone: A peine la mort lui paroît-elle à découvert, qu'il remplit tout fon palais de devins, de devinereffes & de facrificateurs. Il n'y a point de fotte fuperftition où il n'ait recours pour le défendre de cette mort qui le menace, & qui l'emporte enfin après l'avoir auparavant terraffé de fon feul af pect, & l'avoir réduit aux plus grandes

CHAP. baffeffes. Pouvoit-il mieux faire voir que XIII. quand il fembloit la méprifer, c'eft qu'il

Offic.

s'en croyoit bien éloigné, & que les paffions dont il étoit tranfporté lui mettoient comme un voile devant les yeux qui l'empêchoit de la voir?

Et que l'on ne croye pas qu'il y ait plus de veritable force dans ceux d'entre les Payens qui ne femblent pas s'être dementis, & qui font morts en apparence avec autant de courage qu'ils avoient vêcu De quelques pompeux éloges que les Philofophes relevent à l'envi la mort de Caton, ce n'eft qu'une foiblefle effective qui l'a porté à cette brutalité, dont ils ont fait le comble de la generofité humaine. Ceft ce que Ciceron découvre Lib. 1. affez, lorfqu'il dit, qu'il falloit que Caton mourût, plutôt que de voir le vifage du Tyran. Ceft donc la crainte de voir le vifage de Cefar qui lui-a infpiré cette refolution defefperée. Il n'a pu fouffrir de fe voir foumis à celui qu'il avoit tâché de ruiner, ni de le voir triompher de fa vaine refiftance. Et ce n'a été que pour chercher dans la mort un vain afyle contre ce phantôme de Cefar victorieux, qu'il s'eft porté à violer toutes les loix de la nature. Seneque qui en fait fon idole ne lui attribue pas un autre monvement quand il lui fait dire : Puijque

les affaires du genre humain font defefpe- CHAP rées, mettons Caton en fureté. Il ne penfoit XIIL donc qu'à fa fureté. Il ne penfoit qu'à soter de devant les yeux un objet que fa foibleffe ne pouvoit fouffrir. Ainfi aulieu de dire comme Seneque qu'il mit en liberté avec violence cet efprit genereux, qui méprifoit toute la puiffance des hommes: GENEROSUM illum contemtoremque omnis potentia fpiritum ejecit il faut dire que par une foibleffe pitoyable il fuccomba à un objet que toutes les femmes & tous les enfans de Rome fouffrirent fans peine: & que la terreur qu'il en eut fut fi violente, qu'elle le porta à fortir de la vie par le plus grand de tous les crimes.

Ces morts tranquilles & où il ne paroît aucune fureur comme celle de Socrate, pourroient paroître plus genereufes. Mais toute cette tranquilité étoit pourtant bien peu de chofe, puifqu'elle ne venoit que d'ignorance & d'aveuglement. Socrate ne croyoit pas fe devoir effrayer de la mort, parce, difoit-il, qu'il ne favoit fi c'étoit un bien ou un mal, mais il faifoit voir par là qu'il avoit bien peu de lumiere. Car n'eft-ce pas un malheur terrible que de ne favoir pas en entrant dans un état éternel, sil doit être heureux ou malheureux ? Et ne faut-il infenfibilité monitrueufe

pas avoir une
pour n'être

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