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ESSAIS

DE

MORALE.

PREMIER TRAITE

De la foibleffe de l'homme.

Miferere mei, Domine, quoniam infirmus fum.

Palm. 6. V. 3.

Ayez pitié de moi, Seigneur, parceque je fuis foible.

CHAPITRE PREMIER.

Idée que l'orgueil nous donne de nous-mêmes. On ne travaille dans le monde que pour en bellir cette idée Que l'orgueil de tous les peuples eft de même nature, des grans, petits, des nations policées & des Jauvages.

des

'ORGUEIL eft une enflûre du cœur par laquelle l'homme s'étend & fe groffit en que que forte en lui-même, & rehaufle fon idée par celle de force, de grandeur A

Tome I.

J

CHAP. & d'excellence. C'eftpourquoi les richefI fes nous élevent, parcequ'elles nous donnent lieu de nous confiderer nous-mêmes comme plus forts & plus grans. Nous les regardons, felon l'expreffion du Sage, comme une ville forte qui nous inet à couvert des injures de la fortune,& nous donne moyen de dominer fur les autres; Les richeffès du riche font comme une ville qui le fortifie. SUBSTANTIA divitis urbs roboris ejus : & c'eft ce qui caufe cette élevation To. 5 interieure qui eft le ver des richesles,comme dit faint Auguftin.

Prov 18.11.

Serm. 61.

M. 10.

L'orgueil des Grans eft de même nature que celui des riches, & il confifte de même dans cette idée qu'ils ont de leur force. Mais comme en fe confiderant feuls, ils ne pourroient pas trouver en eux-mêmes dequoi la former, ils ont accoutumé de joindre à leur être l'image de tout ce qui leur appartient & qui eft lié à eux. Un Grand dans fon idée n'eft pas un feul homine, c'eft un homme environné de tous ceux qui font à lui, & qui s'imagine avoir autant de bras qu'ils en ont rous enfemble, parcequ'il en difpofe & qu'il les remue.Un General d'armée fe repréfente toûjours à lui-même au mifieu de tous fes foldats. Ainfi chacun tâche d'occuper le plus de place qu'il peut dans fon imagination, & l'on ne fe poufle

& ne s'agrandit dans le monde que pour CHAP. augmenter l'idée que chacun fe forme de I foi-même. Voilà le but de tous les deffeins ambitieux des hommes. Alexandre & Céfar n'ont point eu d'autre vue dans toutes leurs batailles que celle-là. Et fi l'on demande pourquoi le Grand-feigneur a fait depuis pen périr cent mille hommes devant Candie, on peut répondre fûrement que ce n'eft que pour attacher encore à cette image interieure qu'il a de lui-mêine, le titre de Conquerant.

C'est ce qui nous a produit tous ces titres faftueux qui fe multiplient à mesure que l'orgueil interieur eft plus grand ou moins déguifé. Je m'imagine que celui qui s'eft le premier appellé,haut & puifant Seigneur, le regardoit comme élevé fur la tête de fes vafiaux, & que c'eft ce qu'il a voulu dire par cette épithete de haut, fi pen convenable à la baffeffe des hommes. Les nationsOrientales furpaflent de beaucoup celles de l'Europe dans cet amas de titres, parcequ'elles font plus fottement vaines. Il faut une page entiere pour expliquer les qualités du plus petit Roi des Indes, parcequ'ils y comprennent le dénombrement de leurs revenus, de leurs élephans & de leurs pierreries, & que tout cela fait partie de cet être imaginaire, qui eft l'objet de leur vanité.

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Peut-être même que ce qui fait defirer aux hommes avec tant de paffion, l'approbation des autres, eft qu'elle les aftermit & les fortifie dans l'idée qu'ils ont de leur excellence propre; car ce fentiment public les en aflure, & leurs approbateurs font comme autant de témoins qui les perfuadent qu'ils ne fe trompent pas dans le jugement qu'ils font d'eux-mêmes.

L'orgueil qui naît des qualités fpirituel les, eft de même genre que celui qui eft fondé fur des avantages exterieurs; & il confifte de même dans une idée qui nous repréfente grans à nos yeux, & qui fait que nous nous jugeons dignes d'eftime & de préference, foit que cette idée foit formée fur quelque qualité que l'on connoifdiftinctement en foi, foit que ce ne foit qu'une image confufe d'une excellence & d'une grandeur que l'on s'attribue.

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Ceft auffi cette idée qui caufe le plaifir ou le dégoût que l'on trouve dans quantité de petites chofes qui nous flattent ou qui nous bleffent, fans que l'on en voye d'abord la raison. On prend plaifir à gagner à toutes fortes de jeux,même fans avarice,& l'on n'aime point à perdre. C'est que quand on perd, on fe regarde comme malheureux, ce qui renferme l'idée de foibleffe & de mifere; & quand on gagne, on fe regarde comme heureux, ce

qui préfente à l'efprit celle de force, parcequ'on fuppofe qu'on eft favorifé de la fortune. On parle de même fort volontiers de fes maladies, ou des dangers que l'on a courus; parcequ'on le regarde en cela, ou comme étant protegé particulierement de Dieu, ou comme ayant beaucoup de force ou beaucoup d'adresse pour refifter aux maux de la vie.

CHAPITRE II.

Qu'il faut humilier l'homme en lui faifant connoître fa foiblefje: mais non en le réduifaut à la condition des bêtes.

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I donc l'orgueil vient de l'idée que l'homme a de fa propre force & de fa propre excellence, if feinble que le meilleur moyen de l'humilier, foit de le convaincre de fa foibleffe. Il faut piquer cette enflure pour en faire fortir le vent qui la caufe. Il faut le détromper de l'illufion par laquelle il fe reprefente grandà foi-même, en lui montrant fa petitefle & fes infirmités, non afin de le réduire par là l'abattement & au defefpoir; mais afin de le porter à chercher en Dieu le foutien, l'appui, la grandeur & la force qu'il ne peut trouver en fon être, ni dans tout ce qu'il y joint. A iij

L

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