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CHAP.

qui

Mais il faut bien fe donner-de-garde de II. le faire en la maniere de certains auteurs, fous prétexte d'humilier l'orgueil de l'homme, l'ont voulu réduire à la condition des bêtes, & fe font portés jufqu'à foûtenir qu'il n'avoit aucun avantage fur les autres animaux. Ces difcours font un effet tout contraire à celui qu'ils ont prétendu, & ils paffent justement plutôt pour des jeux d'efprit, que pour des difcours férieux. Il y a dans l'homme un sentiment fi vif & fi clair de fon excellence au-deffus des bêtes, que c'eft en vain que l'on prétend l'obfcurcir par de petits raisonnemens & de petites hiftoires vaines ou fauffes. Tout ce que la verité peut faire eft de nous humilier, & fouvent même on ne trouve que trop de moyens de rendre tontes fes lumieres inutiles, quelques vives qu'elles foient. Que peut-on donc efperer de ces petites raifons, dont on fent la faufleté par un témoignage interieur, qu'on ne fauroit étouffer?

Qu'il eft à craindre que ces difcours, au-lieu de naitre d'une reconnoiffance fincere de la bafleffe de l'homme, & d'un defir d'abattre fon orgueil, ne viennent au-contraire d'une fecrete vanité, ou d'une corruption encore plus grande! Car il ya des gens qui voulant vivre comme des bêtes, ne trouvent rien de fort humi

liant dans les opinions qui les rendent CHAP femblables aux bêtes; ils y trouvent au- IL, contraire un fecret foulagement, parceque leurs déreglemens leur deviennent moins honteux, en paroiffant plus conformes à la nature. Ils font d'ailleurs bienaifes de rabaiffer avec eux ceux dont l'éclat & la grandeur les incommode, & ils ne fe foucient guéres de n'être pas differens des bêtes, pourvû qu'ils mettent aur même rang les Rois & les Princes,les Savans & les Philofophes.

Ne nous amufons donc point à chercher dans ces vaines fantaifies des preuves de notre foibleffe, nous en avons alfez de véritables & de réelles dans nousmêmes. Il ne faut que confiderer pour cela notre corps & notre efprit, non de cette vae fuperficielle & trompeufe, par laquelle on fe cache ce que l'on n'en veut pas voir, & l'on n'y voit que ce qui plaît, mais d'une vue plus diftincte,plus étendue & plus fincere, qui nous découvre à nousmêmes tels que nous fommes,& qui nous montre ce que nous avons véritablement de foibleffe, de force, de baffefle & de grandeur.

CHAPITRE III.

Defcription de l'homme,& premierement de la machine de fon corps. Combien l'idée qu'il a de fa force eft mal fondée. L'homme fuit de fe comparer aux autres créatures, de-peur de reconnoître fa petitesse en toutes choses. It le faut forcer à faire cette comparaison.

EN regardant l'homme comme de

loin, nous y appercevons d'abord une ame & un corps attachés & liés ensemble par un nœud inconnu & incomprehenfible, qui fait que les impreffions du corps paffent à l'ame, & que les impreffions de Fame paffent au corps, fans que perfonne puiffe concevoir la raifon & le moyen de cette communication entre des natures fi differentes. Enfuite en s'en approchant comme de plus près, pour connoître plus diftinctement ces differentes parties, on voit que ce corps eft une machine compofée d'une infinité de tuyaux & de refforts propres à produire une diverfité infinie d'actions & de mouvemens, foit pour la confervation même de cette machine, foit pour d'autres ufages aufquelson l'emploie, & que l'ame eit une nature intelligente, capable de bien & de mal, de bon

heur & de mifere: qu'il y a certaines ac- CHAP.
tions de la machine du corps, qui fe font IIL
indépendamment de l'ame: qu'il y en a
d'autres où il faut qu'elle contribue par fa
volonté, & qui ne fe feroient pas fans elle:
& que de ces actions les unes font nécef-
faires à la confervation même de la ma-
chine, comme le boire & le manger, les
autres font deftinées à d'autres fins.

Cette machine, quoiqu'unie si étroitement à un efprit, n'eft ni immortelle,ni incapable d'être troublée & déreglée: aucontraire elle eft d'une telle nature qu'elle ne peut durer qu'un certain nombre d'années, & qu'elle renferme en foi des caufes de fa deftruction & de fa ruine. Souvent même elle se rompt &fe défait en fort peu de temps.Elle est fujette,lors même qu'elle fubfifte, à une infinité de déreglemens penibles qu'on appelle des maladies.Les Médecins ont en vain eflayé d'en faire le dénombrement. Il y en a plus qu'ils n'en fauroient connoître, parceque cette multitude innombrable de refforts & de tuyaux déliés qui doivent donner paffage à des humeurs & à des efprits, ne peut prefque fubfifter, fans qu'ily arrive du defordre: & ce qu'il y a de plus fàcheux, eft que ce defordre ne demeure pas dans le corps ; il passe à l'esprit, il l'afAlige, il l'inquiete, il le travaille, & il lui

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CHAP caule de la douleur & de la trifteffe.

III

L'homme a le pouvoir de remuer certaines parties de fa machine qui obéiffent à fa volonté, & par le mouvement de cette machine,il remue auffi quelques corps étrangers felon le degré de fa force.Cette force eft un peu plus grande dans les uns que dans les autres; mais elle eft fort petite en tous de forte que pour fes ouvrages un peu plus confiderables, il eft obligé de fe fervir des grans mouvemens qu'il trouve dans la nature, qui font ceux de l'eau,de l'air & du feu. C'est par là qu'il fupplée à fa foibleffe, & qu'il fait beaucoup plus qu'il ne pourroit faire par luimême. Mais avec tout cela, tout ce qu'il fait eft fort peu de chofe: & c'eft en le confiderant avec tous les fecours qu'il pent emprunter des corps étrangers par fon induftrie, que nous ferons voir que la vanité qu'il tire de fa puiflance & de fa force eft très-mal fondée.

Mais ce qui fait naître ou qui entretient dans l'homme cette idée préfomtueufe, c'est que l'amour propre le refferre & le renferine tellement en lui-même, que de toutes les chofes du monde il ne s'applique qu'à celles qui ont rapport à lui, & qui font liées avec lui. Il fe fait en quelque forte une éternité de fa vie, parcequ'il ne s'occupe point de tout ce qui eft au-deçà

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