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PLAINTE

EN

N quel obscur séjour le ciel m'a-t-il réduit? Mes beaux jours sont voilez d'une effroyable nuit, Et dans un mesme instant, comme l'herbe fauchée, Ma jeunesse est seichée.

Mes discours sont changez en funèbres regrets, Et mon ame d'ennuis est si fort éperdue, Qu'ayant perdu ma dame en ces tristes forests, Je crie, et ne sçay point ce qu'elle est devenue.

O bois! ô prez! ô monts! qui me fustes jadis, En l'avril de mes jours, un heureux paradis, Quand de mille douceurs la faveur de ma dame Entretenoit mon ame;

Or' que la triste absence, en l'enfer où je suis, D'un piteux souvenir me tourmente et me tue; Pour consoler mon mal et flatter mes ennuis, Hélas! répondez-moi, qu'est-elle devenue?

Où sont ces deux beaux yeux? que sont-ils devenus Où sont tant de beautez, d'Amours et de Vénus Qui regnoient dans sa veue, ainsi que dans mes veine Les soucis et les peines?

Hélas! fille de l'air, qui sens ainsi que moy
Dans les prisons d'Amour ton ame detenue,
Compagne de mon mal, assiste mon émoy,
Et réponds à mes cris, qu'est-elle devenue?

Je voy bien, en ce lieu triste et desesperé Du naufrage d'Amour ce qui m'est demeuré, Et, bien que loin d'icy le destin l'ait guidée, Je m'en forme l'idée.

Je voy dedans ces fleurs les tresors de son teint, La fierté de son ame en la mer toute esmeue : Tout ce qu'on voit icy vivement me la peint : Mais il ne me peint pas ce qu'elle est devenue.

Las! voici bien l'endroit où premier je la vy, Où mon cœur, de ses yeux si doucement ravy, Rejettant tout respect, découvrit à la belle

Son amitié fidelle.

Je revoy bien le lieu, mais je ne revoy pas
La reyne de mon cœur, qu'en ce lieu j'ai perdue,
O bois! ô prés! ô monts! ses fideles esbats,
Helas! repondez-moy, qu'est-elle devenue?

Durant que son bel œil ces lieux embellissoit,
L'agreable printemps sous ses pieds florissoit,
Tout rioit auprès d'elle, et la terre parée
Estoit enamourée.

Ores

que le malheur nous en a sçeu priver, Mes yeux, tousjours mouillez d'une humeur continue, Ont changé leurs saisons en la saison d'hyver, N'ayant sceu découvrir ce qu'elle est devenue.

Mais quel lieu fortuné si longtemps la retient?
Le soleil qui s'absente au matin nous revient,
Et par un tour reglé sa chevelure blonde

Eclaire tout le monde.

Si-tost que sa lumière à mes yeux se perdit, Elle est comme un esclair pour jamais disparue; Et quoy que j'aye fait, malheureux et maudit, Je n'ay peu descouvrir ce qu'elle est devenue.

Mais, Dieux! j'ay beau me plaindre, et tousjours souspirer,

J'ay beau de mes deux yeux deux fontaines tirer, J'ay beau mourir d'amour et de regret pour elle:

Chacun me la recelle.

O bois! ô prez! ô monts! ô vous qui la cachez, Et qui contre mon gré l'avez tant retenue, Si jamais de pitié vous vous vistes touchez, Hélas! répondez-moi, qu'est-elle devenue?

Fut-il jamais mortel si malheureux que moy?
Je lis mon infortune en tout ce que je voy;
Tout figure ma perte, et le ciel et la terre
A l'envy me font guerre.

Le regret du passé cruellement me point, Et rend l'objet present ma douleur plus aigue : Mais las! mon plus grand mal est de ne sçavoir point, Entre tant de malheurs, ce qu'elle est devenue.

Ainsi de toutes parts je me sens assaillir;
Et, voyant que l'espoir commence à me faillir,
Ma douleur se rengrège, et mon cruel martyre
S'augmente et devient pire.

Et si quelque plaisir s'offre devant mes yeux
Qui pense consoler ma raison abbatue,
Il m'afflige, et le Ciel me serait odieux
Si là-haut j'ignorois ce qu'elle est devenue.

Gesné de tant d'ennuis, je m'étonne comment, Environné d'Amour et du fascheux tourment Qu'entre tant de regrets son absence me livre, Mon esprit a pu vivre.

Le bien que j'ay perdu me va tyrannisant, De mes plaisirs passez mon ame est combatue; Et ce qui rend mon mal plus aigre et plus cuisant, C'est qu'on ne peut sçavoir ce qu'elle est devenue.

Et ce cruel penser qui sans cesse me suit, Du trait de sa beauté me pique jour et nuit, Me gravant en l'esprit la miserable histoire D'une si courte gloire.

Et ces biens qu'en mes maux encor il me faut voir Rendroient d'un peu d'espoir mon âme entretenue, Et m'y consolerois, si je pouvois sçavoir

Ce qu'ils sont devenus, ce qu'elle est devenue.

Plaisirs si tost perdus, helas! où estes-vous ? Et vous, chers entretiens qui me sembliez si doux, Où estes-vous allez? hé, où s'est retirée

Ma belle Cytherée ?

Ha! triste souvenir d'un bien si-tost passé! Las! pourquoy ne la voy-je, ou pourquoy l'ay-je Ou pourquoy mon esprit, d'angoisses oppressé,[veue; Ne peut-il découvrir ce qu'elle est devenue?

En vain, hélas ! en vain la vas-tu dépeignant Pour flatter ma douleur, si le regret poignant De m'en voir séparé d'autant plus me tourmente Qu'on me la représente.

Seulement au sommeil j'ai du contentement, Qui la fait voir présente à mes yeux toute nue, Et chatouille mon mal d'un faux ressentiment; Mais il ne me dit pas ce qu'elle est devenue.

Encor ce bien m'afflige, il n'y faut plus songer; C'est se paistre du vent, que la nuit s'alléger D'un mal qui tout le jour me poursuit et m'outrage D'une impiteuse rage.

Retenu dans des nœuds qu'on ne peut délier, Il faut, privé d'espoir, que mon cœur s'évertue Ou de mourir bien-tost, ou bien de l'oublier, Puisqu'on ne peut sçavoir ce qu'elle est devenue.

Comment, que je l'oublie! Ha! Dieux! je ne le puis. L'oubly n'efface point les amoureux ennuis Que ce cruel tyran a gravez dans mon ame En des lettres de flame.

Il me faut par la mort finir tant de douleurs. Ayons donc à ce point l'ame bien resolue, Et, finissant nos jours, finissons nos malheurs, Puisqu'on ne peut sçavoir ce qu'elle est devenue.

Adieu donc, clairs soleils, si divins et si beaux, Adieu l'honneur sacré des forests et des eaux, Adieu monts, adieu prez, adieu campagne verte, De vos beautez deserte.

Las recevez mon ame en ce dernier adieu. Puisque de mon malheur ma fortune est vaincue, Miserable amoureux, je vay quitter ce lieu, Pour sçavoir aux enfers ce qu'elle est devenue.

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