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Tant la fureur troubloit mon âme :
Et bien que mon sang amassé
Autour de mon cœur fust glacé,
Mes propos n'estoient que

de flame.

Pensif, frenetique et resvant,
L'esprit troublé, la teste au vent,
L'œil hagard, le visage blesme,
Tu me fis tous maux éprouver,
Et, sans jamais me retrouver,
Je m'allois cherchant en moy-mesme.

Cependant, lorsque je voulois,
Par raison enfraindre tes loix,
Rendant ma flame refroidie,
Pleurant, j'accusay ma raison,
Et trouvay que la guerison
Est pire que la maladie.

Un regret pensif et confus
D'avoir esté et n'estre plus

Rend mon ame aux douleurs ouverte ;
A mes despens, las! je voy bien

Qu'un bon-heur comme estoit le mien
Ne se connoist que par

la

perte.

POUR M. LE DAUPHIN

DELOS flottant sur l'onde s'agitoit

Ains que Phebus en elle eust pris naissance; Ainsy la France en l'orage flottoit

Lorsque naquit un soleil à la France.

Sainte Latonne, ardent but de nos vœux,
Par ta vertu si chaste et si feconde,
Pour assurer la terre à ses nepveux,
De petits dieux tu repeuples le monde,
Et, relevant notre empire abattu,
Tu le remets en sa base si ferme,
Qu'estant sans fin, ainsi que ta vertu
Il n'est du Ciel limité d'aucun terme.

SONNET

SUR LA MORT DE M. RAPIN

PASSANT, cy gist Rapin, la gloire de son âge,
Superbe honneur de Pinde et de ses beaux secrets,
Qui, vivant, surpassa les Latins et les Grecs,
Soit en profond sçavoir ou douceur de langage.

Eternisant son nom avecq' maint haut ouvrage,
Au futur il laissa mille poignants regrets
De ne pouvoir attaindre, ou de loin ou de près,
Au but où le porta l'estude et le courage.

On dit, et je le croy, qu'Apollon fut jaloux,
Le voyant comme un Dieu reveré parmi nous,
Et qu'il mist de rancœur si-tost fin à sa vie.

Considere, passant, quel il fust icy-bas,
Puisque sur sa vertu les dieux eurent envie,
Et que tous les humains y pleurent son trespas.

DIALOGUE

CLORIS ET PHILIS

CLORIS.

PHILIS, œil de mon cœur et moitié de moy-mesme,
Mon amour, qui te rend le visage si blesme?
Quels sanglots, quels soupirs, quelles nouvelles pleurs,
Noyent de tes beautez les graces et les fleurs?

PHILIS.

Ma douleur est si grande, et si grand mon martyre, Qu'il ne se peut, Cloris, ny comprendre ny dire.

CLORIS.

Ces maintiens égarez, ces pensers esperdus,
Ces regrets et ces cris par ces bois espandus,
Ces regards languissans, en leurs flammes discrettes,
Me sont de ton amour les paroles secrettes.

PHILIS.

Ha! Dieu, qu'un divers mal diversement me point! J'ayme, hélas! Non, Cloris, non, non, je n'ayme point.

CLORIS.

La honte ainsi dément ce que l'amour décelle:
La flame de ton cœur par tes yeux estincelle,
Et ton silence mesme, en ce profond malheur,
N'est que trop éloquent à dire ta douleur.
Tout parle en ton visage ; et, te voulant contraindre,
L'amour vient, malgré toi, sur ta lèvre se plaindre;
Pourquoy veux-tu, Philis, aymant comme tu fais,
Que l'amour se démente en ses propres effets?

Ne sçais-tu que ces pleurs, que ces douces œillades,
Ces yeux, qui se mourant font les autres malades,
Sont théâtres du cœur, où l'amour vient jouer
Les pensers que la bouche a honte d'avouer?
N'en fais donc point la fine, et vainement ne cache
Ce qu'il faut, malgré toy, que tout le monde sçache,
Puisque le feu d'amour, dont tu veux triompher,
Se montre d'autant plus qu'on le pense étouffer.
L'Amour est un enfant nud, sans fard et sans crainte,
Qui se plaist qu'on le voye, et qui fuit la contrainte.
Force donc tout respect, ma chere fille, et croy
Que chacun est sujet à l'Amour comme toy.
En jeunesse j'aymay, ta mere fit de mesme,
Licandre aima Lisis, et Félisque Philesme;
Et si l'âge esteignit leur vie et leurs soupirs,
Par ces plaines encore on en sent les zéphirs.
Ces fleuves sont encor tout enflez de leurs larmes,
Et ces prez tout ravis de tant d'amoureux charmes
Encore oit-on l'Echo redire leurs chansons,

Et leurs noms sur ces bois gravez en cent façons.
Mesmes que penses-tu? Berenice la belle,
Qui semble contre Amour si fiere et si cruelle,
Me dit tout franchement en pleurant, l'autre jour,
Qu'elle estoit sans amant, mais non pas sans amour.
Telle encor qu'on me voit, j'ayme de telle sorte,
Que l'effet en est vif, si la cause en est morte.
Es cendres d'Alexis Amour nourrit le feu
Que jamais par mes pleurs éteindre je n'ay peu.
Mais comme d'un seul trait notre ame fut blessée,
S'il n'avoit qu'un desir, je n'eus qu'une pensée.

PHILIS.

Ha! n'en dis davantage,et, de grace, ne rends [grands. Mes maux plus douloureux, ni mes ennuis plus

CLORIS.

D'où te vient le regret dont ton ame est saisie?
Est-ce infidelité, mépris ou jalousie ?

PHILIS.

Ce n'est ny l'un ny l'autre, et mon mal rigoureux Excède doublement le tourment amoureux.

CLORIS.

Mais ne peut-on savoir le mal qui te possède?

PHILIS.

A quoy serviroit-il, puisqu'il est sans remède?

CLORIS.

Volontiers les ennuis s'alégent au discours.

PHILIS.

Las! je ne veux aux miens ni pitié ni secours.

CLORIS.

La douleur que l'on cache est la plus inhumaine.

.PHILIS.

Qui meurt en se taisant semble mourir sans peine

CLORIS.

Peut-estre en la disant te pourrois-je guerir.

PHILIS.

Tout remede est fâcheux alors qu'on veut mourir.

CLORIS.

Au moins avant la mort dis où le mal te touche.

PHILIS.

Le secret de mon cœur ne va point en ma bouche.

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