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un peu d'hypocrisie, à défaut d'une conduite régu

lière.

Regnier mourut trop tôt. Il mourut au moment où sa pension de deux mille livres, son canonicat de Chartres et trois ou quatre éditions de ses satyres avaient plus que réalisé son modeste rêve :

Un simple bénéfice et quelque peu de nom1.

Il mourut au moment où l'avenir lui souriait, où le roi le pensionnait, où le comte de Cramail et le marquis de Cœuvres le protégeaient, où l'abbé de Royaumont l'accueillait familièrement; au moment où les passions qu'expliquent, sans les justifier, sa puissante constitution, son tempérament ardent, commençaient à se calmer; au moment où ce feu qu'il n'avait pas toujours su maît:iser allait passer tout entier dans ses œuvres; il mourut au moment où son talent venait

1. Au seizième siècle et au dix-septième, un écrivain pouvait avoir de la réputation avant d'avoir rien publié. Les œuvres nouvelles circulaient en manuscrit. Elles étaient lues à la cour et chez les grands seigneurs; un public lettré les recherchait et les jugeait. Ce fut le cas pour Regnier, qui était connu et convenablement apprécié avant l'impression de ses œuvres. On lit dans le Registre-journal de Henri IV, par l'Estoile, édition Champollion, t. II, p. 494, sous la date du 15 janvier 1609:

« Le jeudi 15, M. D. P. (Du Puy) m'a presté deux satyres de Reynier, plaisantes et bien faites, comme aussi ce poete excelle en ceste maniere d'escrire, mais que je me suis contenté de lire, pour ce qu'il est après à les faire imprimer. >>

Et plus loin:

« Le lundi 26, j'achetai les Satyres du sieur Renier, dont chacun fait cas comme d'un des bons livres de ce temps, avec une autre bagatelle intitulée : le Meurtre de la Fidelité, espagnol et françois. Elles m'ont cousté les deux, reliées en parchemin, un quart d'escu. >>

Il s'agit là, ou de la première édition, qui, bien que datée de 1608, n'aurait paru que dans les premiers jours de 1609, ou de la seconde, qui contient deux Satires de plus que la première, les deux Satires que Du Puy aurait montrées à l'Estoile en manuscrit. Dans tous les cas, on voit que la réputation de Regnier était faite.

d'atteindre son complet développement. Lisez les premières satyres de Regnier, puis lisez Macette, et comparez:

Regnier mourut en 1613: Macette est de 1612!

Il serait intéressant de ranger les œuvres de Regnier dans l'ordre chronologique, pour se rendre un compte exact de ses progrès. Je l'ai tenté sans grand succès 1.

J'ai dit que Regnier avait été attiré vers le culte de la poésie par l'exemple de la fortune de son oncle. Mais quelque chose de plus puissant décida de sa vocation. C'est ce qu'il appelle son ver-coquin. Regnier était certainement né poëte; mais il n'atteignit pas à la perfection du premier coup. Il commença de bonne heure à faire des vers, et la première de ses pièces qui lui ait paru digne de voir le jour fut composée lorsqu'il avait près de trente ans. C'est la satire VI, qui est loin d'être un chef-d'œuvre. Elle est mal conçue et mal conduite, et ce qu'on y trouve de bien est imité des Capitoli du Mauro. Ce n'est que dans les pièces composées après son retour à Paris qu'on voit sa personnalité se dégager peu à peu, son plan se dessiner, sa marche s'assurer, son vers s'éclairer et s'affermir.

Ce que voulait Regnier, c'était faire de la satire à la façon antique. Il se proposait pour modèles Horace et surtout Juvénal. Mais il n'avait pas lu les anciens seulement: outre les poètes italiens, outre Ronsard et la pléïade, il avait lu quelques vieux auteurs français qui devaient faire une vive impression sur son esprit, un

1. Ses premiers essais n'ont pas été conservés. La Satire VI fut composée à Rome. Les Satires II, III, IV, VIII et IX ont été écrites après le retour de Rome et avant la mort de Desportes. Il est plus difficile d'assigner une date aux Satires V, VII, X et XI. Bien que ces deux dernières n'aient paru qu'en 1609, je serais tenté de croire qu'elles sont plus anciennes que la Satire IX. Toutes les autres Satires ont dû être composées après 1606. J'aimerais à regarder Macette comme la dernière

en date.

esprit de la nature du leur. Il possédait à fond Marot, Rabelais, Villon, le Roman de la Rose. On s'en aperçoit à chaque instant en lisant ses œuvres.

N'exagérons pas, cependant on a voulu faire un crime à Regnier de ses emprunts. Cela n'est peut-être ni juste, ni bien entendu, ni prudent.

Cela peut n'être pas juste, car, au dix-septième siècle, il y avait des poètes fort estimables qui s'ingéniaient à faire entrer sournoisement dans leurs œuvres, ici un vers d'Horace, là un hémistiche de Virgile, pour donner à des critiques non moins estimables le plaisir de découvrir ces heureuses intercalations et de louer l'adresse merveilleuse de l'ouvrier qui en était l'auteur. C'étaient jeux d'honnêtes gens, et si Brossette a blâmé chez Regnier ce qu'il avait approuvé chez Boileau, je ne crois pas pour cela que Regnier ait songé à s'approprier le bien d'autrui.

Cela peut n'être pas bien entendu, car nous sommes naturellement les héritiers de ceux qui nous ont précédés; dès lors nous ne devons pas blâmer ceux qui nous transmettent, même après s'en être servis, mais surtout s'ils l'ont amélioré, ce qu'ils ont trouvé de bon dans l'héritage de leurs prédécesseurs. Emprunter à la manière de Virgile, de Regnier ou de Molière, c'est faire acte de bon père de famille. Molière, lorsqu'il écrivit le Tartuffe, connaissait la Lena des Amour d'Ovide; mais il ne connaissait peut-être ni le Roman de la Rose, ni le Discours de Charles de L'Espine1, sans parler des autres sources où Regnier peut avoir puisé, et le Tartuffe ne serait pas ce qu'il est si Molière n'avait eu la Macette sous les yeux.

1. Dans les Delices de la poesie françoise (recueil publié par F. de Rosset), Paris, Toussaint du Bray, 1615, in-8, p. 789. Il résulte de la lecture de cette pièce qu'elle fut composée du vivant de Desportes, et M. Tricotel indique un recueil de 1069 où elle figure. Regnier a donc pu la connaître. Mais qu'il y a loin de cette œuvre à Macette!

Enfin, cela peut n'être pas prudent. Que Brossette se soit donné le plaisir de signaler les emprunts de Regnier, c'est bien; mais celui qui, maintenant, vient dénoncer ces emprunts, celui-là ne doit-il rien à personne? N'a-t-il pas un peu... imité Brossette?

Il est facile, d'ailleurs, de démontrer que ces emprunts qu'on reproche à Regnier n'ont pas la gravité qu'on leur prête. M. James de Rothschild, dans son Essai sur les Satires de Mathurin Regnier 1, l'a fait dans de trèsbons termes, et je ne puis mieux faire que de le citer.

« Selon moi, Regnier est parfaitement original, aussi original du moins que peut l'être un satirique, l'homme qui s'attache à peindre des ridicules et des vices qui sont et demeureront les mêmes partout et toujours.

<< Imbu fortement de la lecture d'Horace, de Juvénal et de Perse, avec cette facilité qu'ont les hommes de génie de s'assimiler les grandes idées, il a souvent transporté dans ses poésies quelques traits des satiriques latins; mais ces imitations, le poëte ne les a point faites à dessein. Quand Regnier écrivait :

Puis souvent la colère engendre de bons vers,

peut-être songeait-il au facit indignatio versum de Juvénal; mais certainement il ne cherchait pas à traduire les vers du satirique. L'on n'a pas seulement reproché à Regnier d'avoir emprunté aux Latins quelques idées générales, quelques pensées saillantes, Certains critiques l'accusent d'avoir pris aux Anciens des caractères. Que Regnier ait songé à l'importun d'Horace quand il a composé son Fâcheux, et que la Lena des Amours d'Ovide soit le prototype de sa Macette, cela me paraît incontestable. Mais ces caractères si vraiment romains, comme il les a transformés, comme il les a rajeunis! C'étaient des Romains du temps d'Auguste; ce sont des Parisiens du xvr° siècle. « Il les a dépouillés,

1 Page 23.

«< comme l'a très-bien dit M. Sainte-Beuve, des habi«tudes antiques, et, pour ainsi dire, de la tunique << romaine, pour les revêtir des mœurs et du pourpoint << de son temps. »...

Regnier, en effet, n'était pas un de ces faiseurs de marqueteries dont j'ai parlé tout à l'heure. Ennemi du travail, un peu trop même, il n'aurait pu s'astreindre à la longue élaboration d'une de ces œuvres où là patience fait beaucoup plus que le génie. Il agissait, il vivait, il observait, et, lorsqu'un sujet était mûr, bien vivant dans son esprit, il le produisait d'un seul jet. Inspiration, observation, réminiscences, tout se mêlait, se fondait, et l'œuvre apparaissait belle et grande, même alors que des scories la voilaient par endroits.

On a souvent fait à Regnier un reproche qui paraît grave au premier abord. Tout le monde connaît les vers de Boileau et leur fameuse variante. Le législateur du Parnasse, averti à temps, évita l'écueil dans lequel il reprochait à Regnier d'être tombé. Mais un de ses devanciers, Du Lorens, avait été moins heureux. Dans la satire XXIII, édition de 1646, p. 180, il dit naïvement: Si mon siècle m'approuve habile cuisinier, J'ay rencontré son goût en suite de Renier, Qui coule aussi bourbeux que le père Lucile 1; Mais pour le reformer je ne suis pas concile. Prenant la chose au pis, quand il seroit parfait, Il ne me feroyt pas hayr ce que j'ay fait.. Si parfois neantmoins je croyois mon courage, Par depit ou degoust je chirois sur l'ouvrage.

Cette façon de critiquer les licences de Regnier, trente ans après sa mort, n'est-elle pas suffisante pour le justifier? Regnier écrivait comme on écrivait de son temps. Mais si son expression n'est pas toujours chaste,

1. C. Lucilius, poëte sa tirique latin.

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