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que nous pouvons tirer du peu de renseignements qu'il nous a transmis.

Regnier appartenait à une famille considérable de la bourgeoisie. 11 était neveu de Philippe Desportes, le poëte le mieux renté du temps. Son père rêva dès le premier jour pour le jeune Mathurin la fortune de l'abbé de Tiron, et le fit tonsurer à l'âge de onze ans. Si plus tard il cherche à le détourner du culte des muses, c'est que l'homme de plaisir » veut la fin sans les moyens. Regnier, tout poëte qu'il était, fut plus conséquent. Comptant sur la protection de son oncle, il comprit qu'il devait suivre la même voie que lui, et s'adonna à la culture des lettres. Dans sa position, un homme vulgaire eût probablement bien fait son chemin. Regnier ne réussit pas. A vingt ans, affolé par la pauvreté, se voyant méprisé du peuple et des grands, il cherche un protecteur. Il part pour Rome à la suite du cardinal de Joyeuse; il y passe huit ans, puis, après un court séjour en France, il y retourne à la suite du duc de Béthune. Deux ans après, il était de retour à Paris, aussi pauvre, aussi mécontent qu'avant son départ. Le diplo. mate n'avait pas mieux réussi que le poëte.

Rentré en France, Regnier s'attacha à son oncle Desportes, qui l'aimait beaucoup, assure-t-on, mais dont la tendresse, toutefois, ne paraît pas avoir été fort active. Il ne fit rien obtenir à son neveu, et ne lui laissa rien par son testament. Peut-être croyait-il, comme on l'a conjecturé, qu'un homme d'un tel mérite ne pouvait manquer d'être bientôt largement pourvu.

Dans la maison de son oncle, qui avait su« rimer une bonne table » et recevait beaucoup de monde, Regnier se lia plus ou moins avec les beaux-esprits du temps, de même qu'il y trouva, grâce à son humeur satirique et à son admiration un peu trop enthousiaste pour le talent et la brillante position de Desportes, l'occasion de se mettre quelques mauvaises affaires sur les bras. Tallemant en rapporte trois.

« Desportes, dit-il, estoit en si grande réputation, que tout le monde luy apportoit des ouvrages, pour en avoir son sentiment. Un advocat luy apporta un jour un gros poëme qu'il donna à lire à Regnier, afin de se deslivrer de cette fatigue; en un endroit, cet advocat disoit :

Je bride icy mon Apollon.
Regnier escrivit à la marge:

Faut avoir le cerveau bien vide
Pour brider des Muses le Roy;

Les Dieux ne portent point de bride,
Mais bien les asnes comme toy.

Cet advocat vint à quelque temps de là, et Des Fortes luy rendit son livre, après luy avoir dit qu'il y avoit de bien belles choses. L'advocat revint le lendemain, tout bouffy de colère, et, luy montrant ce quatrain, luy dit qu'on ne se mocquoit pas ainsy des gens. Des Portes reconnoist l'escriture de Regnier, et il fut contraint d'as ouer à l'advocat comme la chose s'estoit passée, et le pria de ne luy point imputer l'extravagance de son nepveu. »

On a raconté bien des fois la querelle de Regnier avec Malherbe. Voici comment la rapporte Tallemant (I, 274): « Sa conversation (de Malherbe) estoit brusque: il parloit peu, mais il ne disoit mot qui ne portast. Quelquefois mesme il estoit rustre et incivil, tesmoin ce qu'il fit à Desportes. Regnier l'avoit mené disner chez son oncle; ils trouvèrent qu'on avoit desjà servy. Des portes le receut avec toute la civilité imaginable, et luy dit qu'il luy vouloit donner un exemplaire de ses Pseaumes, qu'il venoit de faire imprimer. En disant cela, il se met en devoir de monter à son cabinet pour l'aller querir. Malherbe luy dit rustiquement qu'il les avoit desja

1. T. I, 95.

veues, que cela ne meritoit pas qu'il prist la peine de remonter, et que son potage valloit mieux que sesPseaumes. Il ne laissa pas de disner, mais sans dire mot, et après disner ils se separerent et ne se sont pas veus depuis. Cela le brouilla avec tous les amys de Desportes, et Regnier, qui estoit son amy, et qu'il estimoit pour le genre satyrique à l'esgal des anciens, fit une satyre cantre luy qui commence ainsi :

« Rapin, le favory, etc. 1»

M. James de Rothschild ne trouve pas dans cette grossièreté de Malherbe une explication suffisante de sa rupture avec Regnier. « S'il est vrai, dit-il avec raison, que cette malencontreuse boutade ait eu réellement quelque influence sur la rupture des deux poëtes, l'on conviendra du moins qu'elle en a été plutôt l'occasion que la cause. La véritable raison de la querelle, je la trouve, non pas dans une insulte particulière, mais dans l'opposition, je dirai même dans l'incompatibilité de nature et de talent des deux poetes. Une amitié établie entre deux esprits si différents ne pouvait être ni solide ni durable. «'Les qualités et les défauts de Regnier, dit <<< M. Sainte-Beuve, étaient tout l'opposé des défauts et « des qualités de Malherbe. » Rien de plus vrai. La richesse de l'expression, quelquefois même surabondante, la hardiesse des images et des prosopopées de Regnier, faisaient un étrange contraste avec cette "froide et sèche correction, cette réserve exagérée qu'affectait Malherbe dans tout ce qu'il écrivait. Regnier, poëte joyeux, doué d'une facilité de composition surprenante,

1. Cette anecdote, comme la plupart de celles que Tallemant rapporte dans son Historiette sur Malherbe, est tirée presque mot pour mot des Mémoires pour la vie de Malherbe, attribués à Racan. M. Tenant de Latour, le dernier éditeur de Racan, s'est attaché à démontrer que ces Mémoires sont bien l'œuvre du poëte à qui on les attribue, et il me paraît y avoir réussi.

2. Essai sur les Satires de Mathurin Regnier. Paris, A. Aubry, 1863, in-8, p. 17.

mais profondément insouciant, livrant au public ses vers tels qu'ils sortaient de sa plume, sans les retoucher jamais, ressemblait peu à ce scrupuleux versificateur qui limait et relimait pendant trois ans la même pièce, pesant chaque substantif, étudiant chaque épithète; « ce tyran des mots et des syllabes, » comme l'appelle spirituellement le vieux Balzac, « qui traitait l'affaire << des participes et des gérondifs comme si c'était celle << de deux peuples voisins et jaloux de leurs fron« tières; qui dogmatisait jusqu'au dernier moment << de l'usage et la vertu des particules, gourmandant sa << garde sur les solécismes qu'elle commettait, et que la << mort devait surprendre délibérant si erreur et doute << sont masculins ou féminins. » J'ajouterai que Regnier, disciple et admirateur de Ronsard et de Du Bellay, souffrait de voir ces dieux naguère adorés de tous, maintenant brisés et traînés dans la boue. Nourri de la lecture de ces maîtres, professant pour leurs théories un culte véritable, Mathurin Regnier s'emporta contre l'audacieux novateur qui voulait restreindre la littérature en des limites si étroites, et réduire la poésie, cet élan de l'âme vers l'idéal, à un simple jeu de patience; il écrivit la IX® Satire. >>

C'est peut-être à cette querelle qu'il faut rattacher le duel de Regnier avec Maynard, le disciple aimé de Malherbe, raconté par Tallemant (VII, 409), dans les termes suivants : "... ..Voicy un duel un peu moins sanglant: Regnier le satirique, mal satisfait de Maynard, le vient appeler en duel qu'il estoit encore au lit; Maynard en fut si surpris et si esperdu qu'il ne pouvoit trouver par où mettre son haut de chausses. Il a avoué depuis qu'il fut trois heures à s'habiller. Durant ce temps-làꞌ, Maynard avertit le comte de Clermont-Lodeve de les venir séparer quand ils seroient sur le pré. Les voylà au rendez-vous. Le comte s'estoit caché. Maynard allongeoit tant qu'il pouvoit; tantost il soustenoit qu'une espée estoit plus courte que l'autre; il fut une heure à

tirer ses bottes ; les chaussons estoient trop estroits. Le comte rioit comme un fou. Enfin le comte paroist. Maynard pourtant ne put dissimuler : il dit à Regnier qu'il luy demandoit pardon; mais au comte il luy fit des reproches, et luy dit que pour peu qu'ils eussent esté gens de cœur, ils eussent eu le loisir de se couper cent fois la gorge. »

Ici tout l'avantage est du côté de Regnier. Il n'en est pas de même de son combat avec Berthelot, dont la relation, attribuée à Sigognes, se trouve à la fin de ce volume. Le sujet de la querelle des deux satiriques n'est pas connu. Ce qu'il y a de certain, c'est que cette pièce, intéressante en ce qu'elle donne sur la personne de Regnier des renseignements qu'on ne trouve pas ailleurs, est postérieure à la mort de Desportes, puisqu'elle reproche à Regnier la pension qu'il tient de la cour.

Cette pièce présente notre poëte comme un homme de grande taille et fortement constitué. Regnier luimême parle en plus d'un endroit de la fougue de son tempérament. S'il nous dit quelque part qu'il est mélancolique, que sa façon est rustique, qu'il n'a même pas l'esprit d'être méchant, il ne faut pas le prendre au mot. 11 n'était pas ennemi de l'élégance; il portait volontiers satin, velours et taffetas1, et il ne laissait pas d'être un joyeux compagnon 2. Ce qui lui manqua pour réussir dans le monde, c'est la souplesse, et peut-être

1. Voy. p. 236.

2. Dans la Satyre XV, p. 120, il dit à Philippe Hurault de Chiverny qu'il veut aller à Royaumont

D'un bon mot faire rire, en si belle saison,

Lui, ses chiens et ses chats et toute la maison.

Un sixain gravé sous le portrait de Gros-Guillaume dit que

Son minois et sa rhetorique

Valent les bons mots de Regnier

Contre l'humeur mélancolique.

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