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enfin fe déchire dans toute fa longueur. Alors les œufs détachés de l'ovaire fe préfentent à l'ouverture, & leur enveloppe se send à l'endroit qui répond à la tête de l'embryon. Comme fa bouche paroit d'abord avec les barbillons, tandis que le refte du corps eft engagé dans une espece de gaze transparente, il fait de petits efforts jufqu'à ce qu'il foit entièrement dégagé de la peau mince qui l'environne: aufi-tôt il paroit fur le jaune dans une position recourbee; il n'est attaché à rien, fi ce n'est par plufieurs vaiffeaux qui partent du nombril, & pénètrent dans la fubftance du jaune. Toutes fes parties, quoiqu'extrêmement petites, font fi développées, qu'on pourroit facilement compter les rayons de fes nageoires. Dans cet état, le foctus refte renfermé dans le ventre de sa mère, jufqu'à ce qu'il ait confommé le jaune, ou du moins jufqu'à ce que cette fubílance soit affez diminuée pour paffer, avec fon corps, par l'ouverture du ventre. A peine en eft-il forti, qu'un œuf femblable vient prendre la place du premier. Tous les œufs des petits qui doivent naître dans l'année éclofent ainfi fucceffivement & de la même manière. J'ai vu avec admiration un groupe de ces petits poiffons attachés l'un à l'autre, dans le cabinet de M. Vaillant.

Nous avons dit que l'Afcite, par fa naiffance extraordinaire, tient le milieu entre les vivipares & les ovipares; en effet, il n'eft pas vivipare, puifque le développement ne fe fait point dans la matrice, & qu'il reçoit fa nourriture du jaune de l'oeuf, & non point du placenta par le cordon ombilical: on ne peut pas non plus le mettre au nombre des vivipares, puifqu'il ne pond pas fes œufs lorfqu'ils font formés ; & que le foetus ne fe développe point dans fon intérieur, mais au dehors. Ce poiffon forme donc, dans le fyfteme de la génération, un ordre à part, un être intermédiaire.

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La reproduction du Cheval-marin n'eft moins remarquable que celle de l'Afcite. Au retour du printemps, fi on examine les boucliers qui avoifinent l'anus de ce poiffon. on voit qu'ils font renflés des deux côtés & furbaiffés dans le milieu; de forte qu'ils forment, fous chacune de ces plaques offeufes, deux efpèces de cloifons parallèles, qui contiennent une grande quantité d'oeufs renfermés dans une véhicule très-déliée : c'est là, que dans un temps prefcrit par la nature,

les

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embryons fe développent de la même manière que dans l'Afcite. Cette conformation particulière des boucliers paroit d'autant plus néceffaire dans cette famille de poifons, que leur corps, étant couvert de lames offeufes, n'eft pas fufceptible de fe dilater affez pour faciliter l'accroiflement des œufs.

Nous venons de confidérer en général la manière dont les poiffons fe reproduifent; nous avons vu que dans certaines espèces, les petits naiffent vivans; que dans d'autres familles, les œufs éclofent hors du ventre de la mère; & enfin nous avons trouvé qu'il y a parmi eux quelques individus qui paroilfent former la nuance entre les vivipares & les ovipares. Il nous refte à examiner comment s'opère la fécondation des œufs dans ces trois différens ordres de poiffons. Quoiqu'il n'y ait point de véritable accouplement dans les familles vivipares ni dans les espèces intermédiaires, puifque les mâles n'ont point de membre propre à la génération; il n'est pas moins vrai qu'entre les individus des deux Texes, il doit y avoir un rapprochement qui facilite l'injection de la liqueur feminale fur les œufs renfermés dans le ventre de la femelle. Cette obfervation n'eft pas nouvelle. Ariftote a décrit, avec des détails bien circonftanciés, toutes les particularités qui concernent l'accouplement des Raies; il à même annoncé que ces poiffons ont des mem bres particuliers, par lefquels ils s'accrochent pendant le temps de l'accouplement; mais il n'a point déterminé en quoi confiftent ces organes: il étoit réservé à M. Bloch de découvrir quelles étoient ces parties & leur ufage dans l'acte de la génération. Ce favant Naturalifle qui a travaillé avec tant de fuccès à l'Hiftoire des poiffons, a démontré que les appendices qu'on trouve près de l'anus, dans les mâles des Raies & des Chiens de mer, ne font pas des doubles membres deflinés à la génération, comme l'avoient prétendu quelques Ichthyologiftes modernes ; mais des efpèces de pieds, dont le male fe fert pour tenir la femelle pendant l'accouplement. En effet, la diffection de ces organes, compofés de muscles, d'os, & de cartilages, annonce que M. Bloch a découvert leur véritable deftination. Dans les espèces vivipares & dans les intermédiaires, les œufs font donc fécondés dans le ventre de la femelle par l'injection de la liqueur féondante fur l'ovaire.

A l'égard des espèces ovipares les
Naturalistes

Naturaliftes ne font pas d'accord fur la manière dont s'opère la fécondation il y a à ce fujet deux différentes opinions. Quelques obfervateurs prétendent que le mâle fuit la femelle, & qu'il répand la femence fur les œufs après qu'elle les a pondus; d'autres au contraire difent que les femelles fuivent les mâles, qu'elles avalent la laite à mesure qu'ils la répandent, & qu'ainfi les oeufs font fécondés avant la ponte.

La première opinion paroît la plus probable; elle est même fondée sur l'observation & fur l'expérience. Combien de fois n'a-t-on pas vu le mâle fuivre avec inquiétude la femelle, nager au deffus d'elle fans la toucher, & jeter fa laite fur les œufs à mefure qu'elle les laiffoit tomber ! Combien de fois ne l'a-t-on pas vu abandonner la femelle, pour aller féconder les œufs par l'irroration de la femence, & fouvent la verser indistinctement fur des œufs d'efpèces différentes! Combien de fois enfin ne l'a-t-on pas vu fuivre des œufs qui étoient emportés par le courant, & repaffer cent fois fur les lieux où ils fe fixoient! L'expérience vient encore à l'appui de cette opinion. On a enlevé fouvent des œufs du corps de quelques Truites, on les a mis dans un baquet avec de l'eau, & on y a répandu une certaine quantité de la laite des mâles, en leur preffant le ventre; les œufs ont été ainfi fécondés, & ont produit du fretin: ceux au contraire qu'on n'a point mis en contact avec la liqueur fécondante des mâles, n'ont rien produit. M. Jacobi a répété avec fuccès ces expériences fur des oeufs de Truite & de Saumon qu'il eft parvenu à féconder artificiellement. Comme ces découvertes peuvent être d'une grande utilité dans l'économie-pratique, nous allons les tranfcrire ici telles que M. Gleditsch les a données dans les Mémoires de l'Académie de Berlin, 1764, P. 55.

« M. Jacobi fit faire, pour fon but, une caiffe d'une grandeur arbitraire; par exemple, de douze pieds de longueur, autant de largeur, & fix pouces de profondeur.

» A un des bouts de la caiffe, il fit clouer par deffus une planche d'environ un pied de largeur, qui avoit au milieu un trou carré de fix pouces, lequel étoit garni en dedans d'un treillage de fil de laiton ou d'archal, dont les réfeaux avoient un tiers de pouce de distance. A l'autre bout de la longueur de la caiffe, & à l'exception de quatre pouces de profondeur,

la même ouverture étoit revêtue en dehors d'un treillage pareil à celui qui vient d'être décrit, afin que, tant à l'entrée de l'eau qu'à fa fortie, les rats ne puffent y pénétrer, ni aucun autre animal propre à détruire les œufs des poiffons.

»Pour interdire d'autant mieux toute avenue à ces animaux, il fit mettre fur la caiffe entière une couverture qui l'enveloppoit exactement, & au milieu de laquelle il y avoit un trou de fix pouces en carré, par lequel le fretin pouvoit recevoir une quantité fuffifante d'air & de lumière, quoique celle-ci ne fût pas réputée tout à fait néceffaire.

» Une caiffe ainfi faite peut être avantageufement placée au courant d'un ruiffeau & encore mieux près d'une fource un peu abondante, qui aille fe rendre dans quelque petit étang; après quoi il s'agit de faire les autres difpofitions néceffaires pour l'expérience, & nous allons voir en quoi elles confiftent.

» L'eau néceffaire qui coule d'une femblable fource doit être raffemblée dans un petit canal, & tellement gouvernée, qu'il en entre environ l'épaiffeur d'un pouce par le treillage décrit ci-deffus, dans la caiffe convenablement placée au deffous du canal, & que cette eau aille fortir par l'ouverture grillée qui fe trouve à l'autre bout de la caiffe, & y prenne un écoulement continuel.

» Mais avant que de paffer à l'expérience même, on répand au fond de la caiffe l'épaiffeur d'un pouce de fable groffier bien lavé, ou de gros gravier; & fi c'eft ce dernier, on pofe deffus une couche de caillous de diverfes groffeurs; de façon que ces pe tites pierres fe touchent de fort près, & ne laiffent entre elles que des interfices fort étroits. Les plus gros cailloux qu'on puiffe employer à cet ufage ne doivent pas furpaffer le volume d'une noix.

» Vers l'entrée de l'hiver, on peut faire une ou plufieurs caiffes femblables à celle qui a été décrite, & les placer aux endroits qui ont été pareillement indiqués. En effet, le meilleur temps de l'année où l'on puiffe faire des expériences pour la production des Saumons, eft en novembre, parce qu'alors les poiffons mâles & femelles de cette espèce paffent des grandes rivières dans les ruiffeaux & dans les eaux courantes, pour y dépofer

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fucceffivement leurs oeufs. Enfuite on paffe aux expériences même, & l'on y procède de la manière fuivante.

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Quand on a raffemblé autant de Saumons qu'on veut en avoir pour fon but, on prend, par exemple, un vaiffeau de bois, où l'on verfe une mesure d'eau de pompe bien claire; enfuite on tient fufpendue, au deffus de ce vaiffeau, une femelle de Saumon, en l'empoignant par la tête. Quand une partie des oeufs que ce poiffon renferme fe trouvent bien à maturité & difpofés à la fécondation ils s'écoulent pour l'ordinaire, & tombent d'eux-mêmes; ou bien, il fuffit de paffer doucement le plat de la main fur le ventre du poiffon, pour qu'une partie de ces œufs en forte & tombe dans l'eau, où ils vont à fond. On en fait autant avec le Saumon mâle; & l'on en emploie fucceffivement autant que cela paroît néceffaire, pour que les oeufs qui font tombés dans l'eau foient imprégnés d'une quantité fuffifante de femence. Il faut pour cet effet que l'eau commence à prendre une couleur blanchâtre; c'eft une marque que l'opération a réussi.

» Après que les œufs de Saumon ont été fécondés de la manière fufdite, & par un travail auffi fimple que celui qui a été indiqué, on les tranfporte, avec l'eau où ils fe trouvent, dans la caiffe dont on a donné la defcription, & on les y verfe de façon qu'ils entrent tout doucement dans les petits interftices du gros gravier étendu au fond, & qu'ils puiffent s'y loger en pleine sûreté. Auffi-tôt après on fait couler une quantité fuffifante d'eau fraîche de fource par le canal qui eft au deffus de la caiffe, & cet écoulement doit continuer fans interruption; mais afin que les œufs ne foient pas emportés par le mouvement du courant, & qu'ils demeurent immobiles dans l'endroit où ils font placés, le cours de l'eau, à travers la caiffe & par deffus le gravier, ne doit jamais être trop fort ni trop rapide; au contraire, il faut que ce foit fimplement un paffage perpétuel, mais tout à fait doux & tranquille par deffus la couche dont le fond de la caiffe eft couvert. On peut tirer de là des conféquences fort utiles fur les places qui font naturellement convenables aux différentes efpèces de poiffons, pour déterminer celles qu'ils occupent & doivent occuper dans le temps qu'ils répandent leur femence dans l'eau, fuivant que. ces eaux font de profondeurs différentes, &

relativement à la difpofition du terrain.....

» Comme il eft de toute néceffité que les œufs de Saumon, introduits dans la caiffe, foient nétoyés de temps en temps, & débarraffés de l'efpèce de vifcofité ou de toute autre impureté que l'eau y dépofe, on peut fe fervir pour cet effet d'une aîle d'oie ou de quelques groffes plumes bien fortes, qu'on fait paffer & repaffer tout doucement au deffus de la furface de l'eau. Il eft manifefte que la précipitation d'une vifcofité déliée fur la femence de poiffon, eft le plus fouvent cause que les œufs n'éclofent pas, & qu'on peut expliquer par-là pourquoi toutes les espèces de poiffons ne peuvent pas fe multiplier indiftinctement dans toutes fortes d'eaux. Au bout d'environ cinq femaines, les petits Saumons fe rouvent déjà formés dans la caiffe fufdite, & parviennent fucceffivement à un état où ils peuvent se mouvoir.

» Notre obfervateur, dont rien n'égale l'exactitude, continue M. Gléditsch, a auffi découvert un nombre confidérable de monftres parmi les poiffons provenus de la fécondation artificielle; mais fur-tout il en est plus venu des œufs d'une Truite que des autres. Entre autres, il s'en eft trouvé qui avoient deux têtes avec un corps d'ailleurs irrégulier; d'autres n'avoient qu'un ventre à deux; & parmi ceux-ci, on en voyoit dont les ventres s'étoient tellement réunis, qu'ils fembloient attachés l'un à l'autre dans toute leur longueur; d'autres tenoient ensemble, comme fi l'on avoit vu deux Truites Pune à côté de l'autre, dans l'eau. Quelques uns préfentoient deux corps qui alloient fe confondre en une feule queue; mais le plus extraordinaire de ces monftres étoit, fans contredit, celui qui étoit formé par deux petits poiffons réunis en croix, & n'ayant qu'un feul ventre commun. Notre Naturaliste à observé de plus, au fujet de tous ces monftres & de divers autres, qu'ils ne prolongeoient leur vie qu'auffi long-temps qu'ils pouvoient tirer de la nourriture de leur propre eftomac; ce qui ne duroit presque jamais plus de fix femaines ».

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Ce feroit une foible objection de dire que cette liqueur, mêlée avec une grande maffe d'eau, doit perdre fon activité & fa vertu prolifique; car cette femence n'eft fans doute ni moins puiffante, ni moins active que la pouffière des étamines des fleurs, qui, quoique répandue dans l'air & agitée par les vents,

ne laiffe pas de produire la fécondation des femences, de l'aveu de prefque tous les Botanistes.

Il faut donc conclure que la fécondation des poiffons ovipares ne le fait pas, comme celle des oifeaux, dans le ventre de la mère ; mais lorfque ces oeufs groffis caufent à la femelle qui en eft chargée une fenfation incommode, qui l'invite à s'en débarraffer, elle abandonne les retraites profondes, elle s'approche du rivage, & dépofe fur un fable fin, recouvert d'un peu d'eau douce & exposé aux rayons du foleil, les oeufs que le mâle vient arrofer de fa laite. L'eau falée est trop corrofive; celle qui eft profonde n'a point un degré fuffifant de chaleur pour faire éclore le frai. Les infectes font d'ailleurs en plus grand nombre fur les bords de la mer & fur le courant des rivières; ils fourniffent une pâture appropriée aux petits poiffons nouvellement éclos. Toutes ces confidérations font autant de caufes phyfiques, qui femblent déterminer plufieurs familles à fortir de la mer pour aller frayer dans les eaux douces. C'est ainfi que l'on voit, à la fin de l'hiver, lorsque les eaux font troubles & groffies par l'abondance des pluies, les Saumons quitter la mer, & remonter en troupe les fleuves & les rivières. L'ordre qu'ils obfervent dans le cours de leur voyage eft tout à fait admirable. On a remarqué qu'ils marchent toujours fur deux rangées, qui forment, par leur difpofition, les deux côtés d'un triangle. Ordinairement le plus gros, qui eft une femelle, ouvre la marche; enfuite, à la diftance d'une braffe, il en vient deux autres; & la file continue ainfi dans un ordre fymétrique: de forte que s'il s'en trouve trente & un enfemble, il y en a quinze de chaque côté. Lorfqu'ils fe rencontrent dans leur marche une chûte d'eau, une digue, ou une cataracte, ils favent les franchir avec une adreffe qui tient du prodige; ils ployent leur corps en arc de cercle, ils le bandent comme un reffort, & en frappant l'eau de leur queue, ils s'élancent avec Ja rapidité d'un trait, & franchiffent, en bondiffant, l'impétuofité de la cataracte, eût-elle vingt pieds d'élévation. Auffi-tôt que l'obftacle eft furmonté, chaque poiffon reprend fon rang, & ils avancent tous dans le même ordre. Les femelles forment l'avant-garde, les mâles font au milieu, les plus petits font les derniers. Les pêcheurs connoiffent fi bien l'ordre & la marche de ces poiffons, que

lorfqu'ils prennent de petits mâles, ils annoncent d'avance que la troupe n'eft pas nombreufe, & que la pêche fera peu abondante.

Tous les ans, les Saumons parcourent les fleuves, & font de très-longs voyages. Ceux du Nord, par exemple, remontent l'Elbe, & vont jufqu'en Bohème par la Moulde, & jufqu'en Suiffe par le Rhin; ceux de l'Océan paffent dans la Loire, & remontent jufqu'au Pont-du-Château, près d'Iffoire, où il y a une belle pêcherie. Dans le cours de leur voyage, quand le temps eft frais & l'air bien calme, ils fe tiennent toujours au milieu des fleuves, près de la furface de l'eau; alors leur marche s'annonce par un bruit semblable à celui d'une tempête; mais lorsqu'il fait chaud & que le temps eft orageux, ils s'enfoncent

dans l'eau, & on n'aperçoit point leur paffage. Au rapport des pêcheurs, ils fe plaifent dans les rivières rapides, dont les bords font ombragés, & ils évitent celles qui ont peu de fond. Le bois, les tonneaux, les planches qui flottent fur l'eau, le bruit des moulins, & la couleur rouge les effrayent beaucoup. Il importe par conféquent à ceux qui font intéreffés à la pêche du Saumon, qu'il n'y ait point de tuiles rouges fur les bâtimens qui fe trouvent fur le bord des rivières. Lorfque ce poiffon aperçoit un Chien de mer, ou qu'il entend un bruit inconnu, il revient auffitôt fur fes pas. C'eft ce qui arriva en Suède en 1743. Le bruit de l'artillerie les effraya fi fort, qu'ils retournèrent dans la mer. Quelques obfervateurs ont effayé de calculer la viteffe du Saumon. Giefsler prétend qu'il ne fait qu'un mille dans l'efpace de vingt-quatre heures. Nous ne croyons point qu'on puiffe rien déterminer à cet égard, puif qu'il y a plufieurs caufes ou circonfances locales qui concourent à accélérer ou à retarder la rapidité de fa courfe. On dit que quand le foleil eft clair, fa marche eft confidérablement rallentie, parce qu'il s'amufe à jouer fur la furface de l'eau. En compenfant tous ces obftacles, on fait qu'années communes, les Saumons entrent dans le Rhin au commencement de février, & qu'à la fin de mars, on les pêche déjà à Rusheim; c'est-àdire, que dans l'efpace de fix femaines ou deux mois, ils ont fait un voyage de cent milles, en comptant les détours & les finuofités du fleuve.

A mefure que les Saumons avancent, la troupe diminue, parce que les couples fe

féparent pour aller faire leur ponte. Lorfque la femelle trouve une eau vive & limpide, qui coule fur un lit de gravier, elle s'y arrête, creufe un fillon dans plufieurs endroits, & y jette fon frai. Plufieurs Naturalistes, amis du merveilleux, font un récit embelli de la précaution dont ufent les Saumons pour mettre leur frai à l'abri des flots & de la tempête. Après avoir creufé une foffe longue de trois ou quatre pieds, & d'une largeur à peu près égale, le male & la femelle, difent-ils, conftruisent de concert, autour de cette foffe, une digue avec des pierres, pour rompre l'impétuofité de l'eau, & garantir leurs œufs de la rapidité du courant; mais en réduisant toutes ces relations exagérées à leur juste valeur, il eft certain que toutes leurs précautions, dans ces circonftances, se réduifent à creufer, avec les nageoires du ventre, des fillons dans les endroits les plus tranquilles, & qu'ils y dépofent leurs œufs. M. Steller, qui a obfervé les migrations du Saumon avec beaucoup de foin, ne parle point de la conftruction de cette digue; il fait mention uniquement d'une particularité qui n'étoit point encore connue. Il a vu le mâle & la femelle fe frotter le ventre l'un contre l'autre, afin de faciliter, par cette compreffion réciproque, dans l'un, la ponte des œufs & dans l'autre, l'émiffion de la laite. Sous ce rapport, les Saumons reffemblent à la Perche, à la Carpe, & à plufieurs autres poiffons, qui, au moment de la ponte, fe frottent le trou ombilical contre un corps pointu ; & preffent ainfi la capfule de l'ovaire, au rapport de Linné. Ce qu'il y a de certain & de véritablement curieux dans l'hiftoire des Saumons, c'est qu'ils reviennent, l'année fuivante, au même endroit où ils avoient frayé l'année précédente, comme l'hirondelle retourne, le printemps fuivant, au bâtiment où elle avoit déjà fait fon nid & élevé fes petits. Cette expérience a été faite à Châteaulin, en Bretagne. On mit des anneaux de cuivre à la queue de douze Saumons qu'on avoit pris, & qu'on rejeta dans la mer les pécheurs en prirent cinq au même endroit l'année d'après, & trois dans le cours de la feconde & de la troifième année. Les Princes orientaux, qui aiment beaucoup la pêche, s'amufent à attacher des anneaux d'or & d'argent aux Saumons, & les font remettre en liberté ces fignes fervent à leur faire connoitre les migrations, leur âge, & plufieurs autres particularités fort intéref

fantes. On prétend qu'on a découvert, par ce moyen, la communication de la mer Cafpienne avec la mer Noire & le Golfe Perfique.

On verra, par tout ce que nous venons de dire à l'égard du Saumon, combien est fort le penchant qu'ont les poiffons pour la propagation de leurs efpèces ; ils quittent la mer qui leur fournit une nourriture abondante; ils remontent les fleuves, où ils ont une infinité de dangers à effuyer & mille obftacles à vaincre, pour aller chercher, à des distances très-éloignées, un lieu commode, une fituation favorable à la naiffance de leur progéniture. L'homme, qui juge tout d'après lui-même, s'étonnera peut-être de Fintérêt que ces animaux paroiffent prendre à leur réproducion, tandis que l'attrait ordinaire du plaifir ne femble pas les y engager; mais peut-on douter que ce mobile puiffant ne les anime, puifqu'on les voît, dans la faifon de leurs amours, aller & revenir, s'approcher de leurs femelles, & ne pas les abandonner même dans les plus grands dangers. M. Steller, que nous avons déjà cité, a vu des Saumons máles & femelles, dans le temps qui précède la ponte des œufs, fe rapprocher les uns des autres, fe ferrer, fe mordre les nageoires ; & il ne doute point que ces careffes ne produi fent, dans ces animaux, quelque fecrète jouiffance..

NOMBRE ET GROSSEUR DES CUFS. Les œufs des poiffons font tres-petits, en comparaifon de ceux des autres animaux ovipares; leur groffeur n'eft pas même proportionnée à la grandeur du corps; car les ocufs des Truites & des Saumons ont à peu près trois lignes de diamètre; tandis que ceux du Silure, qui pèfe cent livres, font plus petits qu'un grain de millet: mais fi l'on confidère leur nombre & la prodigieufe fécondité de leurs espèces il n'eft point de claffe dans le règne animal qui puiffe leur être comparée. M. Bloch ena compté cent mille & plus dans un poiffon qui ne pefoit pas plus d'une demi-livre; M. Petit, de l'Académie des Sciences, en a trouvé trois cent quarante-deux mille cent quarante-quatre dans une Carpe qui avoit feize pouces de longueur ; & Leuwenhoek a calculé qu'une Morue peut en pondre plus de neuf millions. Cette étonnante fécondité paroît indifpenfable, quand on examine les périls continuels auxquels ces œufs font expolés, foit par les inondations & les tempêtes

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