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nous pouvons étendre jusques vers le milieu du siecle, les letres ne paroissent pas être considérablement déchuës dans nos Gaules de cette grande réputation où nous les avons vûës au siècle précédent : comme l'on y avoit encore et la même liberté et les mêmes motifs pour les attirer, l'on y apportoit aussi la même application, et l'on y avoit le même succès. Entre les divers moïens que l'on y emploïoit, les plus ordinaires étoient les Ecoles publiques où l'on enseignoit toutes les sciences dont les Romains faisoient profession. Il y avoit de ces Ecoles établies presque dans toutes les principales villes des Gaules, comme nous l'avons montré; et elles y subsistèrent avec éclat jusqu'à ce que les Barbares s'étant rendus maîtres du païs, le réduisirent en servitude, et y firent tomber le goût pour les letres ave la politesse de ceux qui les cultivoient. Alors en y établissant une nouvelle domination, ils y établirent aussi des mœurs étrangeres.

Hier.ep. 93. p. 771. 1. | Rut. it. 1. 1.

Sur. 31. Jul. p. 406.

I. 20. 209.

210. Sym. 1. 4. ep.

18. 30. 15. 52.

IV. Jusques-là nos Gaulois eurent une pleine liberté de continuer la pratique d'un autre moïen, qu'ils emploïoient pour se perfectionner dans les sciences. C'étoit de fréquenter les Ecoles des païs étrangers qui avoient le plus de réputation pour les belles connoissances, et le goût le plus fin pour la belle literature. 'Lors donc qu'ils avoient fait leurs études dans leur païs, où selon le temoignage de S. Jerôme, n. elles étoient très-florissantes, ils alloient ordinairement à v Rome, tant pour se perfectionner dans la science du Droit, en fréquentant le Barreau, que pour polir leur éloquence, en modérant par la gravité Romaine ce qu'ils avoient naturellement ou de trop abondant, ou de trop diffus. C'est ce que firent en ce siecle un très-grand nombre de jeunes Gaulois d'entre la noblesse. Nous ne nommerons ici que Protade, Minerve et Florentin ses freres, S. Germain depuis Evêque d'Auxerre, S. Rustique, qui le fut de Narbone dans la suite, le Poëte Rutilius, Pallade son parent; et ceux-ci suffisent pour nous assurer de ce que firent les autres. On verra dans leurs éloges combien ils ont fait d'honneur à leur nation dans cette capitale de l'Empire. Il fallait qu'ils s'y distinguassent bien éminemment au-dessus des autres étrangers et des naturels du païs; puisque très-souvent on les choisissoit préférablement à tous les autres, pour y remplir les chaires d'éloquence, et y exercer les premieres charges qui demandoient un sçavoir au-dessus du commun.

V. Non-seulement nos Gaulois alloient fréquenter les Ecoles de Rome, mais ils entretenoient encore d'étroites liaisons de literature dans les autres païs beaucoup plus éloignés, où il se trouvoit des gens célebres pour l'érudition. L'Afrique, la Palestine, la Campanie, possédoient alors les trois plus grandes lumieres qui fussent dans l'Eglise, S. Augustin, S. Jerôme et S. Paulin de Nole. Ils étoient comme les trois Oracles des Chrétiens au commencement de ce siecle. Nos Gaulois furent de ceux qui témoignerent et plus d'émulation pour les consulter, et plus d'empressement pour profiter de leus doctes avis. Ni le trajet des mers, ni les autres difficultés des chemins n'étoient point capables de former des obstacles à leur juste zéle, et de les empêcher de s'instruire auprès de ces grands hommes. Non contens de les enHier. ep. 89. p. 729. tretenir par letres, 'ils alloient fort souvent eux-mêmes en personne jouir de leurs sçavantes conversations. Sans entreprendre une exacte énumération de tous ceux qui par leurs letres ou par leurs voïages ont entretenu ces nobles liaisons, nous pouvons nommer S. Rustique de Narbone, qui revient ici sur les rangs, un autre Rustique different de cet Evêque, S. Delphin de Bourdeaux, S. Amand son successeur, S. Severe Sulpice, S. Prosper, Hilaire son collegue dans la défense de la Grace de J. C. les Prêtres Didier, Ripaire, Posthumien, les Moines Alexandre, Minerve ou Minere, le Poëte Sanctus, Dardane Préfet des Gaules. Ici il faut se rappeller le grand nombre de letres aussi édifiantes qu'instructives, et les autres écrits sur des matieres ou de pieté ou de controverse, et sur l'Ecriture Sainte, auxquels cet heureux commerce de nos Gaules a donné ou le jour, ou l'ocasion de les produire au jour.

Sul. Dial. 1. n. 4. Aug. ep. 226. n. 10.

VI. Il n'étoit pas jusqu'au sexe le moins letré qui ne voulût entrer pour quelque chose dans un commerce qui avoit des suites si avantageuses. Comme l'étude et le goût pour I'Ecriture Sainte regnoit alors parmi les Fidéles de l'Eglise des Gaules, et que les femmes, ainsi que les autres, s'y appliquoient avec un grand zéle; celles qui y trouvoient des difficultés avoient ordinairement recours à S. Jerôme pour en avoir l'explication. Nous en avons entr'autres deux illustres exemples dans Hedibie et Algasie, deux dames Gauloises célebres dans l'Histoire. Nous saisissons l'ocasion d'en parler, parce qu'elle Hier. ad., Hed., p. ne se presentera plus dans la suite. 'Hedibie étoit descenduë de Patére et de Delphide, ces célebres Orateurs de ît nous

167.

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le

p. 290.

Till. H. E., t. 12., Hier. ad Alg., p. 186.

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avons parlé sur le IV siecle. S. Jerôme ne la connoissoit pas personnellement; mais il n'ignoroit pas l'ardeur de sa foi, quoiqu'elle demeurât à l'extrêmité des Gaules, peut-être à Baïeux, dont on croit que sa famille étoit originaire. Elle envoïa en une seule fois au S. Docteur douze questions, par moïen d'un homme de Dieu nommé Apodême, qui étant parti des derniers confins des Gaules et des bords de l'Océan alloit le trouver à Bethléem. 'La premiere de ces douze ques- Ad Hed. ibid. tions est pour sçavoir comment on peut être parfait, et quelle conduite doit tenir une veuve qui n'a point d'enfans. Les autres questions regardent d'autres matieres, et la plûpart la difficulté qu'il y a d'accorder les Evangelistes sur le sujet de la resurrection de J. C.

VII. 'Ce fut par le même Apodéme qu'Algasie, qui ad Alg. semble avoir fait alors sa demeure vers Cahors, proposa aussi à S. Jerôme onze autres questions sur divers endroits de l'Evangile et de S. Paul. Algasie avoit la réputation d'une personne éminente en piété. Elle étoit à Dieu de tout son cœur, et le péché ne regnoit point en elle. 'S. Jerôme, qui Ibid. | ad Hed. étoit toujours charitablement disposé à aider les pieux efforts du sexe dévot, répondit aux dames Gauloises séparément par deux sçavantes letres, qui pourroient passer pour des traités entiers. 'Quoique ses réponses soient fort justes et Dupin, bib. t. 3. fort instructives, ale Saint ne laisse pas de renvoïer ces Hier. ad. Alg. deux Dames, pour avoir de plus amples éclaircissemens,

412.

à son Commentaire sur S. Mathieu, et à divers autres Ad. Hed.

de ses Ouvrages. Il renvoïe Algasie en particulier au Ad. Alg. Prêtre Alethe depuis Evêque de Cahors, afin d'en tirer

p. 1806.

P.

des réponses de vive voix. Presqu'en même temps 'il en- In Zach. P., voïa dans les Gaules par le Moine Sisinne qui étoit allé 1706, in Mal. pr., le visiter, ses Commentaires sur les Prophétes Zacharie et Malachie, qu'il dédia l'un à S. Exupere Evêque de Toulouse, et l'autre aux deux serviteurs de Dieu Alexandre et Mi

nerve.

VIII. Ce zéle et cette application à cultiver les letres dans nos Gaules, les y conserverent presque dans tout leur ancien lustre durant les premieres années de ce siecle. C'est de quoi nous fournissent des preuves incontestables les monumens précieux qui nous restent de ce temps-là. Tels sont les écrits de S. Severe Sulpice, de S. Hilaire d'Arles, de S. Eucher, de S. Prosper, de Salvien, de Vincent de Lerins,

de Cassien, particulierement son traité sur l'Incarnation. On voit par ces écrits, que la langue latine qui en ce siecle, comme dans ceux qui l'ont précédé, étoit la langue vulgaire de nos Gaulois, retenoit encore ses principales beautés, et que le bon goût pour la belle éloquence n'étoit pas encore entierement tombé parmi eux. On y voit aussi avec quelle politesse ils écrivoient l'Histoire, et qu'ils possédoient encore dans toute sa perfection la véritable maniere de traiter la Théologie, en la puisant dans ses seules et véritables sources, qui sont l'Ecriture et la Tradition : maniere qui a mérité depuis de servir de modéle dans les siecles les plus éclairés, et d'un goût le plus exquis pour les hautes Sciences. De même, le peu de pieces de poësie qui nous reste du commencement de ce V siecle, comme le Poëme d'un mari à sa femme, composé certainement par un Gaulois; le Poëme sur la Providence, attribué avec le précédent à S. Prosper, mais sans raison; le poëme incomparable de celui-ci contre les ingrats; celui du Poëte Rutilius sur son retour de Rome dans les Gaules sa patrie: ce peu de pieces, dis-je, nous fait voir que la poësie conservoit encore alors parmi nos Gaulois presV., ep. 1 de rat. que toute son élevation, et toute son élegance. Un célebre Critique ne fait pas même difficulté de soutenir que certains endroits de ces Poëmes approchent de la beauté et de la politesse de ceux des Anciens, et que quelques autres vont même jusqu'à les éclipser.

ud.

IX. Il y a toujours eu, et il y aura toujours une grande connexion entre la Science et la conservation de la doctrine de l'Eglise. Celle-ci sur tout dépend de l'autre autant que de toute autre chose. Plus on est instruit, plus on est en état de veiller à la conservation de ce dépôt sacré, et de s'opposer à l'erreur qui voudroit ou l'enlever ou le corrompre. Au contraire plus l'ignorance est grande, moins l'erreur trouve d'opposition, et plus elle fait de progrès. Nous avons déja vú de quelle utilité fut dans ces conjonctures la science de nos Gaulois contre les hérésies des Donatistes, des Ariens, des Priscillianistes et des Ithaciens au IV siecle. En celui-ci elle ne fut pas moins utile à l'Eglise contre les autres hérésies qui s'éleverent, soit dans nos Gaules, soit ailleurs. Il semble même que Dieu y conserva les Sciences dans un état encore si florissant, particulierement à dessein d'y former de zélés défenseurs pour les combattre.

X. La premiere qui osa se montrer, fut celle de Pélage. Quoiqu'elle ne parût pas d'abord dans les Gaules, nos Gaulois eurent néanmoins la gloire d'être des premiers qui l'atta

querent de front. 'Deux de leurs Evêques, S. Héros d'Ar- Aug., ep. 175, n.1, les, et Lazare d'Aix, tous deux injustement déposés de l'é- not. piscopat, et chassés de leurs siéges, se trouverent par une providence particuliere en Palestine, où Pélage répandoit le venin de son hérésie. Si-tôt que nos deux généreux Prélats en eurent connoissance, ils emploïerent tout leur zéle

pour arrêter le cours d'une hérésie si pernicieuse. 'Ils firent Gest. Pel., n. 2. 9. un abrégé des erreurs qu'ils avoient recueillies des livres de 23. 29. 30. Pélage, et de ceux de Célestius son disciple. 'A cet abrégé

n. 23.

1, n. 32.

ils joignirent les articles sur lesquels Célestius avoit été condamné au Concile de Carthage en 412, et ceux qu'Hilaire avoit envoïés de Sicile à S. Augustin. 'Ensuite ils présente- n. 2.9., | in Jul.,1. rent cet écrit en latin à Euloge, qui présidoit au Concile assemblé à Diospolis en 415, exprès pour examiner les erreurs dénoncées par ces deux prélats. 'Cependant l'un d'eux étant Gest. Pel., n. 2. 62. tombé dangereusement malade, ils ne purent se trouver au Concile au jour marqué: 'de maniere que Pélage n'aïant point n.3.

d'accusateur en tête, 'n'eut pas de peine à se justifier, et à élu- n. 2. 3. 17. 45. 56. der par ses artifices le jugement des Evêques assemblés.

Merc. comm., c. 3,

p. 19.

XI. Le mauvais succès du Concile de Diospolis ne refroidit point le zéle de nos deux Evêques Gaulois. Ils écrivi- cp. 175., n. 1, ep. rent contre Pélage aux Evêques d'Afrique; et leurs letres 166, n. 2. présentées par Orose furent luës dans un Concile de 68 Evêques de la Province Proconsulaire, tenu à Carthage en 416. Pélage et Célestius y furent anathematizés. Ces Hérésiarques ne s'en tenant point à cette condamnation, et se croïant injustement persécutés en Occident, s'adresserent aux Evêques d'Orient, et envoïerent à Constantinople quelquesuns de leurs Evêques fugitifs. Mais ils eurent toujours de re- Merc., com., c. 3, doutables adversaires en nos deux Prélats Héros et Lazare, qui accuserent de nouveau Pélage en 417, dans un Concile où présidoit Theodote Evêque d'Antioche. Enfin cet Hérésiarque y fut condamné, et chassé des saints lieux de Jerusalem.

p. 18. 19.

XII. Dans les Gaules mêmes nos autres Evêques ne firent pas paroître moins de zéle, pour combattre l'hérésie de Pélage, lorsqu'elle s'y montra. Un Moine nommé Lépo- Genn., vir.ill.,c.59. rius en fut infecté, quoique le fonds de son hérésie eût un

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