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qu'il en fera gloire; mais fi cette femme le trompe lui-même, qu'il n'en foit pas aimé, quoiqu'amoureux, & que cependant il croye l'être; s'il découvre la vérité, & que cette femme infidéle fe donnoit par goût à un autre, lorfqu'elle fe faifoit payer à lui de fes rigueurs, fa défaite & fa confufion ne fe pourront pas exprimer; & on le verra pâlir à table fans cause apparente, dès qu'un mot jetté au hazard lui rapprochera cette idée.

Un autre rougit d'aimer fon efclave qui a des vertus; & fe donne publiquement pour le poffeffeur d'une femme fans mérite, que même il n'a pas. Ainfi on affiche des vices effectifs & fi de certaines foibleffes pardonnables venoient à paroître, on s'en trouveroit accablé.

Je ne fais pas ces réflexions pour encourager les gens bas, car II. Partie.

R

ils n'ont que trop d'impudence. Je parle pour ces ames fieres & délicates, qui s'exagerent leurs propres foibleffes, & ne peuvent fouffrir la conviction publique de leurs fautes.

Alexandre ne vouloit plus vivre après avoir tué Clitus; fa grande ame étoit confternée d'un emportement fi funefte. Je le loue d'être devenu par-là plus tempérant; mais s'il eût perdu le courage d'achever fes vaftes deffeins, & qu'il n'eût pû fortir de cet horrible abattement, où d'abord il étoit plongé, le reffentiment de fa faute l'eût pouffé trop loin.

Mon ami, n'oubliez jamais que rien ne nous peut garantir de commettre beaucoup de fautes. Sachez que le même génie qui fait la vertu, produit quelquefois de grands vices. La valeur & la préfomption, la juftice & la dureté

la fageffe & la volupté, se sont mille fois confonduës, fuccédées, ou alliées. Les extrêmités fe rencontrent & fe réuniffent en nous. Ne nous laiffons donc pas abattre. Confolons-nous de nos défauts, puifqu'ils nous laiffent toutes nos vertus ; & que le fentiment de nos foibleffes ne nous faffe pas perdre celui de nos forces. Il est de l'effence de l'efprit de fe tromper; le cœur a auffi fes erreurs. Avant de rougir d'être foibles, mon très-cher ami, nous ferions moins déraifonnables de rougir d'être hommes.

REFLEXIONS

CRITIQUES

SUP

QUELQUES POETES,

Avec des corrections & des augmen tations confidérables.

SECONDE EDITION.

LA FONTAINE.

Li

ORSQU'ON a entendu parler de la Fontaine, & qu'on vient à lire fes Ouvrages, on est étonné d'y trouver, je ne dis pas plus de génie, mais plus même de ce qu'on appelle de l'efprit, qu'on n'en trouve dans le monde

le plus cultivé. On remarque avec la même surprise la profonde intelligence qu'il fait paroître de fon art; & on admire qu'un efprit fi fin ait été en même-temps fi naturel.

Il feroit fuperflu de s'arrêter à louer l'harmonie variée & légere de ses Vers; la grace, le tour, l'élégance, les charmes naïfs de fon ftyle & de fon badinage. Je remarquerai feulement que le bon fens & la fimplicité font les caracteres dominans de fes Ecrits. Il eft bon d'oppofer un tel exemple à ceux qui cherchent la grace

& le brillant hors de la raifon & de la nature. La fimplicité de la Fontaine donne de la grace à fon bon fens, & fon bon fens rend fa fimplicité piquante: de forte que le brillant de fes Ouvrages naît peut-être effentiellement de ces deux fources réunies. Rien n'empêche au moins de le croire; car

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