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les chofes que ce qu'elles ont de plaifant & leur furface. Cet efprit qu'ils croyent fi aimable est fans doute bien éloigné de la Nature, qui fe plaît à fe repofer fur les fujets qu'elle embellit, & trouve la variété dans la fécondité de fes lumieres, bien plus que dans la diverfité de ses objets. Un agrément fi faux & fi fuperficiel eft un art ennemi du cœur & de l'efprit, qu'il refferre dans des bornes étroites; un art qui ôte la vie de tous les difcours, en banniffant le fentiment qui en eft l'ame, & qui rend les converfations du monde auffi ennuyeufes, qu'infenfées & ridicules.

DU GOUT.

LE Goût eft une aptitude à bien juger des objets du fentiment. Il faut donc avoir de l'ame pour avoir du goût; il faut avoir auffi

de la pénétration, parce que c'eft l'intelligence qui remue le fentiment. Ce que l'efprit ne pénetre qu'avec peine ne va pas fouvent jufqu'au cœur, ou n'y fait qu'une impreffion foible; c'eft-là ce qui fait que les chofes qu'on ne peut faifir d'un coup d'oeil, ne font point du reffort du goût.

Le bon goût confifte dans un fentiment de la belle nature; ceux qui n'ont pas un esprit naturel, ne peuvent avoir le goût jufte. Toute vérité peut entrer dans un livre de réflexion, mais dans les ouvrages de goût nous aimons que la vérité foit puifée dans la Nature; nous ne voulons pas d'hypothèses, tout ce qui n'est qu'ingénieux eft contre les régles du goût.

Comme il y a des dégrés & des parties différentes dans l'efprit, il y en a de même dans le goût. Notre goût peut, je crois, s'étendre

tendre autant que notre intelligence; mais il eft difficile qu'il paffe au-delà. Cependant ceux qui ont une forte de talent se croyent prefque toujours un goût univerfel, ce qui les porte quelquefois jufqu'à juger des chofes qui leur font les plus étrangeres. Mais cette préfomption qu'on pourroit fupporter dans les hommes qui ont des talens, fe remarque auffi parmi ceux qui raifonnent des talens, & qui ont une teinture fuperficielle des régles du goût, dont ils font des applications tout-à-fait extraordinaires. C'eft dans les grandes Villes, plus que dans les autres, qu'on peut obferver ce que je dis; elles font peuplées de ces hommes fuffifans qui ont affez d'éducation & d'habitude du monde, pour parler des chofes qu'ils n'entendent point, auffi font - elles le théatre des plus impertinentes déI. Partie. C

cifions; & c'eft-là que l'on verra mettre à côté des meilleurs ouvrages, une fade compilation des traits les plus brillans de morale & de goût, mêlés à de vieilles chanfons & à d'autres extravagances, avec un ftile fi bourgeois & fi ridicule, que cela fait mal au cœur.

Je crois que l'on peut dire fans témérité que le goût du grand nombre n'est pas jufte le cours : deshonorant de tant d'ouvrages ridicules en eft une preuve fenfible. Ces écrits, il eft vrai, ne se foutiennent pas; mais ceux qui les remplacent ne font pas formés fur un meilleur modéle : l'inconftance apparente du Public ne tombe que fur les Auteurs. Cela vient de ce que les chofes ne font d'impreffion fur nous que felon la proportion qu'elles ont avec notre efprit; tout ce qui eft hors de notre sphere nous échap

pe, le bas, le naïf, le fublime, &c.

Il est vrai que les habiles réforment nos jugemens, mais ils ne peuvent changer notre goût, parce que l'ame a fes inclinations indépendantes de fes opinions; ce que l'on ne fent pas d'abord, on ne le fent pas par dégrés, comme l'on fait en jugeant. De-là vient qu'on voit des ouvrages critiqués du peuple, qui ne lui en plaifent pas moins ; car il ne les critique que par réflexion, & les goûte par fentiment.

Que les jugemens du Public épurés par le temps & par les Maîtres foient donc, fi l'on veut, infaillibles; mais diftinguons-les de fon goût, qui paroît toujours récufable.

Je finis ces obfervations: on demande depuis long-temps s'il eft poffible de rendre raifon des matieres de fentiment: tous avouent

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