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Architecte ne fait pas le marbre qu'il emploie à un édifice, il le difpofe; & l'idée de cette dispofition, il l'emprunte encore de différens modéles qu'il fond dans fon imagination pour former un nouveau tout. De même un Poëte ne crée pas les images de fa poëfie, il les prend dans le fein de la Nature, & les applique à différentes chofes pour les figurer aux fens; & encore le Philofophe; il faifit une vérité souvent ignorée, mais qui existe éternellement, pour joindre à une autre vérité & pour en former un principe. Ainfi fe produifent en différens genres les chef-d'œuvres de la réflexion & de l'imagination. Tous ceux qui ont la vie affez bonne pour lire dans le fein de la nature, y découvrent, felon le caractere de leur efprit, ou le fond & l'enchaînement des vérités que les autres hommes ef

fleurent, ou l'heureux rapport des images avec les vérités qu'elles embelliffent. Les efprits qui ne peuvent pénétrer jufqu'à cette fource féconde, ou qui n'ont pas affez de force & de jufteffe pour lier leurs fenfations & leurs idées, donnent des fantômes fans vie, & prouvent plus fenfiblement que tous les Philofophes, notre impuiffance à créer.

Je ne blâme pas néanmoins ceux qui fe fervent de cette expreffion, pour caractériser avec plus de force le don d'inventer. Ce que j'ai dit fe borne à faire voir que la Nature doit être le modéle de nos inventions & que ceux qui la quittent ou la méconnoiffent, ne peuvent rien faire de bien.

Savoir après cela pourquoi des hommes quelquefois médiocres, excellent à des inventions où des hommes plus éclairés ne

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peuvent atteindre; c'eft là le fecret du génie que je vais tâcher d'expliquer.

DU GENIE ET DE L'ESPRIT.

JE crois qu'il n'y a point de génie fans activité. Je crois que le génie dépend en grande partie de nos paffions. Je crois qu'il fe forme du concours de beaucoup de différentes qualités, & des convenances fecrettes de nos inclinations avec nos lumieres. Lorfque quelqu'une des conditions néceffaires manque, le génie n'eft point, ou n'eft qu'imparfait : & on lui contefte fon nom.

Ce qui forme donc le génie des négociations, ou celui de la guerre, ou celui de la poëfie, &c. ce n'eft pas un feul don de la Nature, comme on pourroit croire: ce font plufieurs qualités foit de l'efprit, foit du cœur, qui

font inféparablement & intimement réunies.

Ainfi l'imagination, l'enthoufiafme, le talent de peindre ne fuffifent pas pour faire un Poëte: il faut encore qu'il foit né avec une extrême fenfibilité pour l'harmonie, avec le génie de fa langue & l'art des vers.

Ainfi la prévoyance, la fécondité, la célérité de l'efprit fur les objets militaires, ne formeroient pas un grand Capitaine, fi la fécurité dans le péril, la vigueur du corps dans les opérations laborieufes du métier, & enfin une activité infatigable n'accompagnoient ces autres talens.

C'eft la néceffité de ce concours de tant de qualités indépendantes les unes des autres, qui fait apparemment que le génie eft toujours fi rare. Il femble que c'est une espece de hazard, quand la Nature affortit ces divers

mérites dans un même homme. Je dirois volontiers qu'il lui en coûte moins pour former un homme d'efprit, parce qu'il n'eft pas befoin de mettre entre fes talens cette correfpondance que veut le génie.

Cependant on rencontre quelquefois des gens d'efprit qui font plus éclairés que d'affez beaux génies. Mais foit que leurs inclinations partagent leur application, foit que la foibleffe de leur ame les empêche d'employer la force de leur efprit, on voit qu'ils demeurent bien loin après ceux qui mettent toutes leurs reffources & toute leur activité en œuvre en faveur d'un objet unique.

C'est cette chaleur du génie & cet amour de fon objet, qui lui donne d'imaginer & d'inventer fur cet objet même. Ainfi felon pente de-leur ame, & le caractere de leur efprit, les uns ont

la

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