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l'invention de ftile, les autres celle du raifonnement, ou l'art de former des fyftêmes. D'affez grands génies ne paroiffent prefque avoir eu que l'invention de détail. Tel eft Montagne. La Fontaine, avec un génie différent de celui de ce Philofophe, eft néanmoins un autre exemple de ce que je dis. Defcartes au contraire avoit l'efprit fyftêmatique & l'invention de deffein. Mais il manquoit, je crois, de l'imagination dans l'expreffion, qui embellit les pensées les plus com

munes.

A cette invention du génie est attaché, comme on fait, un caractere original, qui tantôt naît des expreffions & des fentimens d'un Auteur, tantôt de fes plans, de fon art, de fa maniere d'envifager & d'arranger les objets. Car un homme qui eft maîtrisé par la pente de fon efprit & par des im

preffions particulieres & perfonnelles qu'il reçoit des chofes, ne peut, ni ne veut dérober fon caractere à ceux qui l'épient.

Cependant il ne faut pas croire que ce caractere original doive exclure l'art d'imiter. Je ne connois point de grands hommes qui n'ayent adopté des modéles. Rouffeau a imité Marot: Corneille, Lucain & Seneque: Boffuet, les Prophétes: Racine, les Grecs & Virgile. Et Montagne dit quelque part qu'il y a en lui une condition aucunement fingereffe & imitatrice. Mais ces grands hommes, en imitant, font demeurés origi naux, parce qu'ils avoient à peu près le même génie que ceux qu'ils prenoient pour modéles; de forte qu'ils cultivoient leur propre caractere, fous ces Maîtres qu'ils confultoient, & qu'ils furpaffoient quelquefois : au lieu que ceux qui n'ont que de l'efprit font toujours

de foibles copistes des meilleurs modéles, & n'atteignent jamais leur art. Preuve incontestable qu'il faut du génie pour bien imiter & même un génie étendu pour prendre divers caracteres ; tant s'en faut que l'imitation donne l'exclufion au génie.

J'explique ces petits détails pour rendre ce chapitre plus complet, & non pour inftruire les gens de lettres qui ne peuvent les ignorer. J'ajouterai encore une réflexion en faveur des perfonnes moins fçavantes: c'eft que le premier avantage du génie eft de fentir & de concevoir plus vivement les objets de fon reffort, que ces mêmes objets ne font fentis & apperçus des autres hommes.

A l'égard de l'efprit, je dirai que ce mot n'a d'abord été inventé que pour fignifier en général les différentes qualités que j'ai définies, la jufteffe, la profon

deur

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deur, le jugement, &c. Mais parce que nul homme ne peut les raffembler toutes chacune de ces qualités a prétendu s'approprier exclufivement le nom générique ; d'où font nées des difputes très-frivoles car au fond il importe peu que ce foit la vivacité ou la jufteffe, ou telle autre partie de l'efprit, qui emporte l'honneur de ce titre. Le nom ne peut rien pour les chofes. La queftion n'eft pas de favoir fi c'est à l'imagination ou au bon fens qu'appartient le terme d'efprit. Le vrai intérêt, c'eft de voir laquelle de ces qualités, ou des autres que j'ai nommées, doit nous infpirer plus d'ef time. Il n'y en a aucune qui n'ait fon utilité, & j'ofe dire fon agrément. Il ne feroit peut-être pas difficile de juger s'il y en a de plus utiles, ou de plus aimables, ou de plus grandes les unes que les autres. Mais les hommes font inI. Partie. Ꭰ .

capables de convenir entre eux du prix des moindres chofes. La différence de leurs intérêts & de leurs lumieres maintiendra éternellement la diverfité de leurs opinions, & la contrariété de leurs maximes.

DU CARACTERE.

Tout ce qui forme l'efprit & le cœur eft compris dans le caractere. Le génie n'exprime que la convenance de certaines qualités ; mais les contrariétés les plus bizarres entrent dans le même caractere & le constituent.

On dit d'un homme qu'il n'a point de caractere, lorfque les traits de fon ame font foibles légers, changeans; mais cela même fait un caractere, & l'on s'entend bien là-deffus.

Les inégalités du caractere influent fur l'efprit ; un homme eft

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