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cependant elle y tombe enfuite épuifée par ses réflexions.

DE L'ESPRIT DU JEU.

C'Eft une maniere de génie que T'efprit du jeu, puifqu'il dépend également de l'ame & de l'intelligence. Un homme que la perte trouble ou intimide, que le gain rend trop hazardeux, un homme avare, ne font pas plus faits pour jouer, que ceux qui ne peuvent atteindre à l'efprit de combinaifon. Il faut donc un certain dégré de lumiere & de fentiment, l'art des combinaifons, le goût du jeu, & l'amour mesuré du gain.

On s'étonne à tort que des fots poffédent ce foible avantage. L'habitude & l'amour du jeu, qui tournent toute leur application & leur mémoire de ce feul côté, fuppléent l'efprit qui leur manque. Fin du premier Livre.

LIVRE

II.

DES PASSIONS.

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OUTES les paffions roulent fur le plaifir & la douleur comme dit M. Loкc: c'en est l'effence & le fond.

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Nous éprouvons en naiffant ces deux états: le plaifir, parce qu'il eft naturellement attaché à être la douleur, parce qu'elle tient à être imparfaitement. Si notre existence étoit parfaite, nous ne connoîtrions que le plaifir. Etant imparfaite nous devons connoître le plaifir & la douleur: or c'est de l'expérience de ces deux contraires que nous tirons l'idée du bien & du mal. Mais comme le plaifir & la douleur ne viennent pas à tous I. Partie.

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les hommes par les mêmes chofes, ils attachent à divers objets l'idée du bien & du mal: chacun felon fon expérience, fes paffions, fes opinions, &c.

Il n'y a cependant que deux organes de nos biens & de nos maux; les fens, & la réflexion.

Les impreffions qui viennent par les fens font immédiates & ne peuvent fe définir; on n'en connoît pas les refforts: elles font l'effet du rapport qui eft entre les chofes, & nous, mais ce rapport fecret ne nous eft pas connu.

Les paffions qui viennent par l'organe de la réflexion font moins ignorées. Elles ont leur principe dans l'amour de l'être ou de la perfection de l'être, ou dans le fentiment de fon imperfection & de fon déperiffement. Nous tirons de l'expérience de notre être une idée de grandeur, de plaifir, de puiffance que nous

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voudrions toujours augmenter: nous prenons dans l'imperfection de notre être une idée de petiteffe, de fujettion, de mifere, que nous tâchons d'étouffer: voilà toutes nos paffions.

Il y a des hommes en qui le fentiment de l'être eft plus fort que celui de leur imperfection; de-là l'enjouement, la douceur, la modération des defirs.

Il y en a d'autres en qui le fentiment de leur imperfection eft plus vif que celui de l'être ; de-là l'inquiétude, la mélancolie, &c.

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De ces deux fentimens unis c'est-à-dire, celui de nos forces & celui de notre mifere naiffent les plus grandes paffions; parce que le fentiment de nos miferes nous pouffe à fortir de nous-mêmes, & que le fentiment de nos reffources nous y encourage nous porte par l'efpérance. Mais ceux qui ne fentent que leur mi

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fere fans leur force, ne fe paffionnent jamais tant; car ils n'ofent rien efpérer: ni ceux qui ne fentent que leur force fans leur impuiffance, car ils ont trop peu à defirer; ainfi il faut un mêlange de courage & de foibleffe, de trifteffe & de présomption. Or cela dépend de la chaleur du fang & des efprits; & la réflexion qui modere les velleïtés des gens froids, encourage l'ardeur des autres, en leur fourniffant des reffources qui nourriffent leurs illufions. D'où vient que les paffions des hommes d'un efprit profond font plus opiniâtres & plus invincibles, car ils ne font pas obligés de s'en diftraire comme le refte des hommes par épuifement de penfées; mais leurs réflexions au contraire font un entretien éternel à leurs defirs qui les échauffe ; & cela explique encore pourquoi ceux qui pen

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