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I.

Une autre raison de cette demande, eft CHAP. que fouvent l'efprit eft convaincu qu'il faut craindre Dieu, mais que le coeur n'eft pas pour cela touché. Cepen lant c'eft la crainte du cœur qui amortit les tentations, & non la perfuafion de l'efprit. Et c'eft pourquoi le Prophete ne fe contente pas de craindre Dieu par l'efprit, à udicis enim tuis timui; mais il veut que fa chair foit percée de cette crainte, afin que le vif fentiment qu'elle en aura étouffe en elle toutes les tentations qui pourroient flatter fes fens. Une chair percée de cloux ne feroit gueres en état d'être attaquée par la tentation des plaifirs. Il defire donc que la crainte de Dieu faffe cet effet en lui, qu'elle foit auffi vive & auffi fenfible à fon ame, que des cloux qui perceroient effectivement fa chair.

Mais pourquoi faut-il defirer de craindre, puifque la crainte femble être un effet d'amour-propre? Car nous craignons le mal qui nous peut arriver, parce que nous nous aimons. Pourquoi donc, dira-t-on, cft-il neceffaire de la demander à Dieu ? N'avons-nous pas affez d'amour-propre pour craindre ce qui nous peut caufer le plus grand des maux? C'eft que quelque grand que foit notre amour-propre, il elt néanmoins aveugle, infenfible, ftupide, dérai fonnable. Il eft penétré de chofes de néant il eft fenfible aux plus grans objets. Il craint, fans raifon; & il ne craint point, lorfqu'il a toute forte de raifon de craindre. Il eft fans ordie & fans regle dans fes mouvemens. Une bagatelle l'occupe, le reinplit, le tranfporte, & fouvent ce qu'il y a

de plus grand au monde ne le touche point. C'eft donc une grande grace de Dieu, lorf qu'il nous fait fentir les chofes telles qu'elles font: car en nous faifant fentir vivement cele les qui font grandes, il amortit le fentinent trop vif que nous avons des petites.

CHAPITRE II.

La fenfibilité & l'infenfibilité de l'homme, également prodigieufes. Naißent d'un fond inconnu. Marquent le dereglement & la grandeur de l'homme, Tems de cette vie, tems de ftupidité.

Ly a dans l'homme une fenfibilité prodigieufe, capable de mouvemens demefurés de trifteffe, d'amour, de joie, de crainte, de defefpoir; & une fenfibilité étonnante, capable de refifter aux objets les plus terribles. Les mêmes chofes font mourir les uns, & n'émouvent pas feuleinent les autres fans que l'on voie bien la raifon & la caufe de ces differens effets.

Car ces mouvemens violens naiffent d'un fond inconnu, & d'un abyfine caché. Nul ne fait précisément les refforts qu'il faut faire agir pour les exciter : & tout ce que l'on fait, eft que la raifon ne les peut produire comme elle voudroit, lors même qu'elle les jugeroit utiles ; & qu'elle ne les peut de même reprimer, lorfqu'elle les juge pernicieux. Quand l'ame n'eft touchée que par une partic infenfible, rien n'eft capable

de l'émouvoir. Quand elle l'eft par une partic fenfible, tout cft capable de la faire fortir hors d'elle-même.

La violence & l'inégalité de ces mouvemens, font en même-tems des preuves du déreglement de l'homme & des marques de La grandeur. Elles nous font voir qu'il y a d'étranges refforts dans fon efprit, & que s'ils étoient vivement touchés, ils produiroient encore des mouvemens tout autres que ceux que nous reffentons ordinairement; qu'ainfi les Philofophes n'ont rien entendu, ni dans fon bonheur, ni dans fon malheur, en mettant l'un & l'autre dans les fentimens que nous pouvons éprouver dans cette vie. Rien n'eft plus ridicule que la penfee qu'ils ont eue, que nous pouvions être heureux des voluptés grof

fieres & communes

par

, par

CHAP

des curiofités fades, & par une contemplation froide de la verité & de la vertu. Ces mouvemens font trop languiffans pour nous rendre heureux, & fame de l'homme eft capable d'un plaifir & d'une joie infiniment plus vive & plus fenfible. Il en eft de même des maux. Quoiqu'on les fente bien plus vivement que les plaifirs, néanmoins ils pourroient encore être fentis mille fois plus vivement. Que s'il n'eft pas en notre pouvoir de nous procurer cette joie fi vive, ni ces douleurs Dieu ne veut pas perçantes, c'eft que qu'il dépende de nous en ce monde, de nous rendre ni heureux ni malheureux, & qu'il veut que l'un & l'autre foit un effet, ou de fa mifericorde, ou de fa justice dans l'autre.

II.

CHAP.

Le tems de cette vie eft donc proprement II. un tems de ftupidité. Toutes nos conabitfances y font obfcures, fombres, lan gutfantes, fi on les compare à ce qu'elles feront au moment de notre mort, qui levera comme un rideau pour nous faire voir les chofes telles qu'elles font. Ce fera alors que toutes les creatures difparoitront à nos yeux, & que nous ne verrons les Royaumes, les Principautés, les plaitirs & les manx de ce monde, que comme des atomes indignes de nous occuper. Dieu feul fera grand à notre vie en ce jour-la, felon l'expreffion de l'Ecriture. Mais ce que la mort aura trouvés fans fon amour, ne le verront grand que pour être remplis d'une terreur qui les fera abyfner dans l'enfer pour le cacher autant qu'ils pourront à une majesté fi redoutable: au lieu que ceux qui mourront dans fon amour, & qui feront purifiés de leurs fautes, ne le verront grand que pour reffentir en même tems des mouvemens ineffables d'amour & de joie, qui feront leur éternelle felicité.

Ifaie. 2.

II.

C'est ce que nous devons craindre & efperer pour l'autre vie. Mais dans cet état même d'affoupiffement où nous fommes ici plongés, l'aire ne laifle pas de fentir des mouvemens beaucoup plus vifs les uns que les autres. Ce qui lui marque la capacité qu'elle a d'en avoir de tout autres que ceux qu'elle reflent ordinairement. Le corps auSap. 9. quel elle cft attachée appefantit fa vigueur, & ralentit fes mouvemens; mais il ne les ralentit pas toujours également. Elle eft quelquefois plus itupide & plus infenfible

15.

à l'égard des chofes de Dieu, & quelquefois moins: & l'experience de ces differens états lui donne lieu de découvrir ce qui contribue à exciter ces divers fentimens, & à la mettre dans une difpofition fi inégale.

CHAPITRE III.

Infenfibilité, un des plus gran's maux de l'ame. Nait d'avuglement. idées confufes, qu'on Se forme de toutes chofes. Faußes & vraies idée d'un bal. Autres preuves de cet avenglement.

I

Left d'autant plus important, que l'ame s'applique à confiderer les caufes de fon infenfibilité pour Dieu, qu'elle la doit regarder comme un de fes plus grans maux. Car c'est ce qui donne entrée dans l'ame, aux impreffions des objets des fens, qui feroient peu capables de la toucher, fi elle l'étoit autant qu'elle le devroit être des chofes de l'autre vie. C'est ce qui la rend foible languiffante, pareffeufe dans les actions de piete. C'est ce qui lui fait eftimer les biens & les maux de ce monde beaucoup plus grans qu'ils le font. Enfin c'eft cette infenfibilité pour Dieu, qui la rend fenfible pour les Creatures, parce qu'elle ne fauroit être fans quelque pente, & qu'il faut toujours qu'elle s'attache à quelque objet. Ainfi un de fes principaux devois, c'eft de tâcher d'en reconnoître les caufes, & d'y apporter tous les remedes qui lui font poffibles.

Or il eft vifible, que la caufe generale de

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