Imágenes de páginas
PDF
EPUB

CHAPITRE II.

Qu'il faut humilier l'homme, en lui faisant corsnoire fa foibleße: mais non en le réduisant ́à la condition des bêtes.

SI donc l'orgueil vient de l'idée que l'hom me a de fa propre force & de fa propre excellence, il femble que le meilleur moyen de l'humilier, foit de le convaincre de fa foiblefle. Il faut piquer cette enflure pour en faire fortir le vent qui la caule. Il faut le détromper de l'illufion par laquelle il fe reprefente grand à foi-même, en lui montrant fa petiteffe & fes infirmités, non afin de le réduite par-la a l'abattement & au defefpoirs mais afin de le porter à chercher en Dieu, le foutien, l'appui, la grandeur & la force qu'il ne peut trouver en fon être, ni dans tout ce qu'il y joint.

Mais il faut bien fe donner de garde de le faire en la maniere de certains auteurs, qui fous prétexte d'humi icr l'orgueil de l'hom me, l'ont voulu réduire à la condition des bêtes, & fe font portés jufqu'à foutenir qu'il n'avoit aucun avantage fur les autres animaux. Ces difcours font un effet tout contraire à celui qu'ils ont prétendu, & ils paflent juftement plutôt pour des jeux d'efprit, que pour des difcours ferieux. Il y a dans l'homme un fentiment fi vif & fi clair de fon excellence au-deffus des bêtes, que c'eft en vain que l'on prétend l'obfcurcir par de petits raifonnemens & de petites hiftor

CHAP.

II.

res vaines ou fauffes. Tout ce que la verité peut faire eft de nous humilier, & fouvent même on ne trouve que trop de moyens de rendre toutes fes lumieres inutiles, quelque vives qu'elles foient. Que peut-on donc efperer de ces petites raifons, dont on fent la faufleté par un témoignage interieur qu'on ne fauroit étouffer?

Qu'il eft à craindre que ces difcours, au lieu de naitre d'une reconnoiffance fincere de la baffeffe de l'homme, & d'un defir d'abattre fon orgueil, ne viennent au contraire d'une fecrete vanité, ou d'une corruption encore plus grande! Car il y a des gens qui voulant vivre comme des bêtes, ne trouvent rien de fort humiliant dans les opinions qui les rendent femblables aux bêtes ; ils y trouvent au contraire un fecret foulagement, parce que leurs déreglemens leur deviennent moins honteux, cn paroiffant plus conformes à la nature. Ils font d'ailleurs bien-aifes de rabailler avec eux ceux dont l'éclat & la grandeur les incommode, & ils ne fe foucient gueres de n'être pas differens des bêtes, pourvu qu'ils mettent au même rang Rois & les Princes, les Savans & les PhiloLophes.

les

Ne nous amufons donc point à chercher dans ces vaines fantaifies des preuves de notre foibleffe, nous en avons affez de veritables & de réelles dans nous-mêmes. Il ne faut

que confiderer pour cela notre corps & no. tre efprit, non de cette vûe fuperficielle & trompeufe, par laquelle on fe cache ce que fon ne veut pas voir, & l'on n'y voit que e qui plaît, mais d'une vûe plus diftincte,

plus étendue & plus fincere, qui nous découvre à nous-mêmes tels que nous fommes, & qui nous montre ce que nous avons veritablement de foibleffe" de force, de baflefle & de grandeur.

[ocr errors]

CHAPITRE III.

Defcription de l'homme, & premierement de la machine de fon corps. Combien l'idée qu'il a de fa force eft mal fondée. L'homme fuit de Se comparer aux autres creatures, depeur de reconnoître fa petiteß en toutes choses. il le faut forcer à faire cette comparaison.

E

N regardant l'homme comme de loin, nous y appercevons d'abord une amé & un corps attachés & liés enfemble par un noeud inconnu & incomprehenfible, qui fait que les impreffions du corps paffent à l'ame, & que les impreffions de l'ame paffent au corps, fans que perfonne puiffe concevoir la raifon & le moyen de cette communication entre des natures fi differentes. Ensuite, en s'en approchant comme de plus près, pour connoitre plus diftinctement ces diffetentes parties, on voit que ce corps eft une machi ne compofée d'une infinité de tuyaux & refforts propres à produire une diverfité infinic d'actions & de mouvemens, foit pour la confervation même de cette machine, foir pour d'autres ufages aufquels on l'emploie, & que l'ame cft une nature intelligente, capable de bien & de mal, de bonheur & de mifere : qu'il y a certaines actions de la ma

CHAP. chine du corps, qui fe font indépendamment III de l'ame: qu'il y en a d'autres où il faut qu'elle contribue par fa volonté, & qui ne fè feroient pas fans elle : & que de ces actions, les unes font néceffaires à la confervation même de la machine, comme le boire & le les autres font deftinées à d'autres

manger,

fins.

Cette machine, quoiqu'unie fi étroitement à un efprit, n'eft ni immorrelle, ni incapable d'être troublée & dereglée : au contraire elle eft d'une telle nature, qu'elle ne peut durer qu'un certain nombre d'années, & qu'elle renferme en foi des caufes de fa deftruction & de fa ruine. Souvent même elle fe rompt & fe défait en fort peu de tems. Elle eft fujete, lors même qu'elle fubfifte, à une infinité de déreglemens pénibles qu'on appelle des maladies. Les Medecins ont en vain cflaye d'en faire le dénombrement. Il y en a plus qu'ils n'en fauroient connoître, parce que cette multitude innombrable de refforts & de tuyaux déliés qui doivent donner pallage à des humeurs & à des efprits, ne peut prefque fubfifter, fans qu'il y ar ive du défordre: & ce qu'il y a de plus fâcheux,eft que ce défordre ne demeure pas dans le corps; il paffe à l'efprit, il l'afflige, il l'inquiéte, il le travaille, & il lui caufe de la douleur & de la trifteffe.

L'homme a le pouvoir de remuer certaines parties de fa machine qui obéiffent à fa volonté ; & par le mouvement de cetre machine, il remue auffi quelques corps étran gers, felon le degré de la force. Cette force eft un peu plus grande dans les uns que dans

les autres ; mais elle eft fort petite en tous: de forte que pour les ouvrages un peu plus IIL confiderables, il eft obligé de fe fervir des grans mouvemens qu'il trouve dans la nature, qui font ceux de l'eau, de l'air & du feu. C'eft par-la qu'il fupplée à fa foibleffe, & qu'il fait beaucoup plus qu'il ne pourroit faire par lui même. Mais avec tout cela, tout ce qu'il fait cft fort peu de chofe: & c'eft en le confiderant avec tous les fecours qu'il peut emprunter des corps étrangers par fon induftrie, que nous ferons voir que la vanité qu'il tire de fa puiflance & de fa force cft très-mal fondée.

Mais ce qui fait naître ou qui entretient dans l'homme cette idée préfomptueule, c'est que l'amour-propre le refferre & le renferme tellement en lui-même, que de toutes les chofes du monde il ne s'applique qu'à celles qui ont rapport à lui, & qui font liées avec lui. Il fe fait en quelque forte une éternité de fa vie, parce qu'il ne s'occupe point de tour ce qui cft au deçà & au-dela; & un monde du petit cercle de créatures qui l'environnent, fur lefquelles il agit, ou qui agiffent fur lui; & c'eft par la place qu'il fe donne dans ce petit monde, qu'il fe forme cette idée avantageufe de fa grandeur.

Il femble que ce foit pour diffiper cette illufion naturelle, que Dieu ayant deffein d'humilier Job fous la majefte fouveraine, Job.ch. le fait comme fortir de lui-même pour lui 38. 39. faire contempler ce grand monde, & toutes les créatures qui le remplifient, afin de le convaincre par-là de fon impuiflance & de fa foibleffe, en lui faifant voir combien ily

« AnteriorContinuar »