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n'avoit même différé fi long-tems, que pour mieux choifir; enfin il fe déchargea du Gouvernement fur le Duc de Medina-Cœli celui de tous les courtisans qui lui étoit le plus agréable; ce Miniftre joignoit à la lenteur & à la pareffe ordinaires aux Efpagnols une inexpérience profonde, un efprit borné & timide; il n'avoit de recommandable que fa naiffance & fa probité; tout le Royaume le plaignit d'ofer fe charger d'un fardeau qui furpaffoit fes forces; la foibleffe & les malheurs de fon miniftere acheverent d'ôter à l'Espagne un refte de confidération dont elle jouiffoit encore en Europe: jamais Monarchie ne courut plus rapidement vers fon déclin ; elle eût été en moins de deux ou trois campagnes lá proye de la France, fi Louis XIV. n'avoit eu d'autres ennemis à combattre que les Efpagnols.

Le nouveau Miniftre fit d'abord dans la Monnoye une opération qui ruina le tiers des Particuliers du Royaume, & dont les fuites appauvrirent l'Efpagne de plus de cinquante millions. Vers le milieu du regne de Philippe IV.la rareté de l'or & de l'argent avoit obligé le Gouver

nement à donner à la Monnoye de Billon une valeur prefqu'auffi forte qu'à celle de l'argent, & on avoit porté celle de Por & de l'argent une fois plus haut que fa valeur intrinfeque. Il parut tout à coup un édit qui diminuoit des deux tiers les efpeces d'or & d'argent, & qui fupprimoit la Monnoye de Billon, avec ordre aux Particuliers de la porter dans certains Bureaux où l'on donneroit en échange des billets de même valeur, payables en fix mois ; ceux qui perdoient à cette opération, fe plaignirent avec aigreur; on fe fouleva à Tolede & à Madrid; le commerce ceffa, & les denrées devinrent d'une cherté qui mit le Peuple au défefpoir; cependant les Etrangers acheterent à vil prix la monnoye de billon dans laquelle il y avoit un alliage d'argent affez fort, & gagnerent jufqu'à quinze ou vingt millions; ils fe prévalurent auffi du rabais de la monnoye d'or & d'argent qui étoit réduite à la moitié de fa jufte valeur, & en firent fortir du Royaume pour des fommes immenses: bientôt, faute d'efpeces, on agit dans plufieurs Provinces d'Efpagne, comme dans les Pays où l'or n'a pas encore pé

nétré. On échangeoit denrées pour denrées, on donnoit du drap pour des beftiaux, du bois pour des grains. C'est ainfi que par le défaut d'une fage adminiftration les Efpagnols étoient devenus un des Peuples le plus malheureux de l'Univers; quelques années de paix, une œconomie falutaire, & de l'ordre auroient pû rétablir la Monarchie qui ne fuccomboit que fous le poids des abus ; car enfin les gallions de l'Amérique, les concuffions des Vice-Rois & des Gouverneurs faifoient entrer chaque année des tréfors dans le Royaume. Il est vrai qu'il n'entroit dans les coffres du Roi que la neuvieme partie de ce qu'on levoit fur les Peuples; mais enfin ce Roi recevoit tous les ans près de 120000000 de nos livres d'aujourd'hui. Pourquoi prodiguer les deux tiers de fes revenus en pensions inutiles, en appointemens (a) immenfes? Pourquoi fouffrir que le refte fût proye des Miniftres, tandis qu'il ne

la

(a) A la mort du Marquis de Ceralvo qui mourut cette année, le Roi gagna foixante & dix mille piaftres qu'il lui donnoit chaque année pour les appointemens. Il y avoit alors quarante Grands d'Espagne qui partageoient ainfi entr'eux prefque tous les revenus de la Monarchie.

pourvoyoit ni à la paye des armées, ni à l'entretien des flottes, ni à celui de la Maifon Royale ; il arriva enfin que le Royaume fe trouva fans marine, fans armées, & le Roi & les Reines, pour ainfi dire, fans domeftiques: il en étoit de Charles II. comme d'un grand Seigneur qui avec des revenus immenfes, faute d'ordre & d'œconomie, eft fans ceffe réduit aux expédiens pour fubfifter.

Une fimple ordonnance du Roi auroit pu rendre des efpeces au commerce, & par conféquent remédier à la mifere puplique. Il falloit forcer fes Sujets de porter à la Monnoye une partie de lá prodi gieufe quantité d'or & d'argent qui décoroit leurs buffets; lui-même devoit donner l'exemple. Je ne crois rien dire de trop (a), en prétendant qu'il y avoit alors en Espagne pour plus d'un milliard d'ar

(a) Le luxe en vaiffelle étoit tel chez les Grands, les Miniftres & les Financiers, que płufieurs d'entr'eux comptoient jufqu'à douze cents douzaines d'affiettes plates beaucoup plus pefantes que les nôtres, & jufqu'à douze cents plats. Ils s'eftimoient pauvres en argenterie quand ils n'avoient que huit cents douzaines d'affiettes & deux cents plats on avoit des échelles d'argent pour monter à ces buffets fu

genterie, foit dans les Eglifes, foit chez les Particuliers, tandis qu'on auroit eu peine à compter deux cents millions d'argent monnoyé dans le commerce; mais il eft tems de reprendre le fil de l'Hiftoire, ou plutôt des malheurs de l'Espagne.

En réjouiffance du mariage du Roi, on célébra un Auto dà fè; celui-ci attira d'autant plus de concours, qu'on n'en avoit point vu depuis mil fix cent trentedeux; vingt-deux victimes périrent dans les flammes: il y eut plufieurs de ces malheureux prefque tous Juifs qui fe jetterent d'eux-mêmes dans le feu, d'autres qui faifoient brûler leurs mains & puis leurs pieds, en les avançant fur les flammes, & en les y tenant avec un courage héroïque; foixante autres prifonniers, foit Juifs, foit Mufulmans, foit Chrétiens furent condamnés au fouet, aux galeres, ou à la prifon. Il n'y avoit guères que les Juifs fans biens qui fuffent punis par l'Inquifition: ceux qui s'étoient enrichis, foit par le commerce, foit par les èm

perbes. Ceux qui ont été en Efpagne fçavent quelles richeffes ineftimables renferment les Eglifes.

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