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mon enfant, et pour ne plus nous séparer!..... Que ma sérénité, ma tranquillité, te consolent.... Je me flatte que tu trouveras toujours un asile dans le château de S***. Hélas que n'ai-je pu t'assurer un sort! J'emporte encore un autre regret, il faut que je l'avoue... (Ici Marianne regarda fixement sa maîtresse, et l'attention qu'elle prêtoit à ce discours arrêta et suspendit ses larmes.)

Tu sais, continua madame de S***, qu'il y a ici une maîtresse d'école pour apprendre à lire aux enfans du village. La grande partie des habitans est en état de la payer; mais il existe beaucoup de pauvres paysans qui ne peuvent lui donner la modique rétribution qu'elle exige. Si j'eusse vécu quelques années de plus, j'aurois am, assé l'argent nécessaire (c'est-à-dire, cent écus) pour faire une petite rente à cette sœur d'école, afin qu'elle pût instruire gratis les pauvres filles du village. Mais, puisque Dieu n'a pas permis que j'eusse cette satisfaction, je dois me soumettre sans murmure à sa volonté. A ces mots, Marianne saisit avec transport une des mains de madame de S***, en s'écriant : O ma chère maîtresse !... Elle n'en put dire davantage,

ses sanglots lui coupèrent la parole, et madame de S***, se levant et s'appuyant sur son bras, reprit avec elle le chemin du château.

Madame de S*** ne survécut que peu de jours à cette conversation. Parvenue au dernier degré d'abattement et de foiblesse, elle fut obligée de garder le lit. Marianne, au désespoir, ne quitta plus son chevet: tous les domestiques fondoient en larmes dans tous les coins de la maison. La cour du château étoit remplie des habitans du village, qui venoient tour à tour s'informer des nouvelles de leur dame, de leur bienfaitrice, et qui ne sortoient du château que pour aller à l'église former les vœux les plus ardens pour la conservation d'une vie si pure et si précieuse. Enfin madame de S***, toujours aussi tranquille et aussi résignée, vit approcher sa dernière heure avec ce courage sublime que la religion seule peut donner. Marianne reçut son dernier soupir...

Ah Dieu ! s'écria Pulchérie en pleurant, la pauvre Marianne, que va-t-elle devenir!...-Les veilles, la fatigue et le chagrin causèrent une funeste révolution dans sa santé ; elle tomba dangereusement malade;

mais à peine fut-elle en état de se lever, qu'elle prit la résolution de quitter S***. Elle fit ses paquets, se rendit à l'église où sa maîtresse étoit enterrée, baigna de larmes son tombeau, et partit ensuite pour Charleville, sa patrie (a), vivement regrettée du curé et des habitans. On fut deux ans sans entendre parler d'elle. Enfin; au bout de ce temps, le curé reçut d'elle une boîte qui contenoit cent écus, et une lettre conçue en ces termes :

De Charleville, ce 24 septembre 1775.

« MONSIEUR LE CURÉ,

>> Les voilà enfin, ces cent écus que » ma chère et digne maîtresse, comme >> vous le savez, désiroit à l'article de la >> mort. Dieu soit loué! ses dernières vo

(a) Charleville est une ville charmante, à cinquantedeux lieues de Paris, en Champagne, dans le ci-devant Rethelois. Elle n'étoit sujette à aucune espèce d'impositions. Elle est située sur la Meuse; elle n'est séparée de la jolie ville de Mézières que par un pont et une chaussée.

>> lontés seront exécutées, et la bonne » œuvre qu'elle projetoit aura lieu. Si » j'avois eu du surplus d'argent, je vous >> aurois porté moi-même les cent écus » de ma maîtresse ; mais je n'ai pas seu>>lement de quoi payer la moitié du » voyage. Avec cela, j'ai le cœur aussi » content que je peux l'avoir, après la » perte que j'ai faite; et je suis soulagée » d'un terrible poids qui m'oppressoit » jour et nuit. Je vous conjure, M. le » curé, de faire tout de suite la rente à la » sœur d'école. Ce sera pour moi une >> grande consolation d'apprendre qu'elle >>> est en fonction d'enseigner à lire gratis >> aux pauvres jeunes filles, et que toutes » les bonnes mères du village, et même >> des environs, qui ne pouvoient pas la » payer, lui envoient leurs enfans. J'es»père que tous ces petits innocens et » leurs familles prieront Dieu pour ma >> maîtresse, leur bienfaitrice, et que vous » leur direz, M. le curé, qu'ils le doivent, » Maintenant je ne demande plus qu'une » grâce au Seigneur; c'est d'avoir les » moyens de retourner quelque jour à » S***. Quand j'aurai vu de mes yeux » l'école de charité fondée par ma chère

» maîtresse, je n'aurai plus rien à désirer » en ce monde.

» Je suis avec respect, monsieur le curé,

>> Votre très-humble, etc.

>> MARIANNE RAMBOUR. >>

Le curé fut pénétré d'admiration en lisant cette lettre son âme étoit faite pour sentir toute la sublimité d'une semblable action. Le lendemain au prône, il lut à haute voix la lettre de Marianne. Cette lecture touchante fit fondre en larmes tous les habitans ; et le curé lui-même, ne pouvant retenir ses pleurs, fut plusieurs fois obligé de s'interrompre... - Je le crois, interrompit César. Oh! comme j'aurois pleuré, si j'eusse été là !.... Mais, maman, la fondation a-t-elle eu lieu ?..... -Assurément. Le curé a placé les cent écus. Cette somme, fruit des veilles et du travail sans relâche, durant deux ans, de la vertueuse Marianne, a produit une rente pour la sœur d'école, qui l'a mise en état de montrer gratis à tous les pauvres

enfans de S***.

A présent, mes enfans, dites-moi si cette action ne vaut pas bien celle d'Ambroise?...

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