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n'y étoit point tombé, il feroit le premier auteur de l'Italie, il n'eft que le fecond.

Je veux développer ici une idée qui m'a fouvent occupé, & que je crois juste. Dante & Pétrarque ont été contemporains; ils ont créé la langue italienne. Dante a paru d'abord, Pétrarque eft venu enfuite. Ces deux grands hommes ont partagé à cette époque l'attention de l'Italie; tous deux ont entraîné les peuples après eux; l'enthousiasme qu'ils ont infpiré, a été jufqu'à l'adoration. Mais Dante plus obscur dans fon style, plus bizarre dans la com pofition de fes tableaux, plus févère dans les images, ne s'eft point trouvé au niveau d'une nation amollie par une longue défuétude des guerres & la jouiffance des arts qui corrompent les anciennes mœurs. Le plaifir que fon poëme fit en naiffant, par la nouveauté frappante des images, la fingularité des tableaux, & les traits fatyriques dont il est semé, ce plai→ fir céda bientôt à celui que firent les fonnets & les chansons de Pétrarque, fi clair, fi doux, fi correct, fi élégant dans fon ftyle.

La paffion qui rempliffoit le cœur de Pétrarque, & qu'il exprime de toutes les manières poffibles, les tranfports de la joie, les mouvemens de la crainte, les illufions de l'efpérance, les accens de la douleur, les gémiffemens mélancoliques du défespoir, toutes ces viciffitudes du cœur humain, ces agitations fi vives, ce faififfement fi profond fut un charme dont peu de cœurs pouvoient se défendre. Pétrarque amoureux, paffionné pour la belle Laure, donna le ton à l'Italie; il en fut. le dieu, & fa langue qu'il parla fi bien, devint à jamais celle de l'amour,

Voilà à quoi tient fouvent le génie des nations, à un grand homme qui leur imprime fon caractère; de façon que la nation est d'abord telle, parce que le génie. d'un homme lui a fait goûter de certains plaifirs, & elle fe perpétue dans cet état, parce que l'imitation de tout un fiècle. fortifie ce caractère primitif qui devient ineffaçable quand la langue de cette nation: a pris une confiftance folide. On refte comme on étoit, parce qu'on s'elt accou

tumé à une forte d'idées au-delà defquelles on ne voit rien de mieux. La molleffe habituelle du langage influe fur les mœurs. Si ce langage eft extrêmement féduifant dans la bouche des femmes que la nature a douées d'affections fi douces & fi tendres, quelqu'effort que l'on faffe pour s'élever aux grandes idées, on retombe toujours dans le caractère de sa langue; de façon qu'on eft rarement fublime, mais presque toujours élégant, doux, sensible & voluptueux.

Le Dante prit un sujet bifarre, mais piquant par les détails. La fatyre conduifit fa plume, & l'on vit reparoître dans l'enfer les fcélérats qu'on avoit connus fur la terre. Le ftyle fort énergique de ce poëte se rapprochoit davantage des anciens. Pétrarque plus doux & infpiré par la belle Laure, foupira fes amours, non dans l'élégie & dans l'églogue, mais dans une forme de poéfie que ces tems-là avoient inventée. Le retour des mêmes fons à la fin des vers, ufage que le Dante avoit également adopté, ne lui coûtoit pas beau

coup

dans une langue organifée de manière que prefque tous les mots fe terminent par des voyelles. Grande platonicienne en amour, la mufe de Pétrarque eut quelque chofe de célefte. Elle s'accordoit très bien avec les idées de chevalerie d'alors. La pureté de son style, la justesse de fes images, la mélodie de fes vers la fenfibilité & la mélancolie de fes pensées, lui attirèrent une foule de partisans. Il devint le roi de la poéfie italienne.

La deftinée de la langue qu'il parloit fut balancée entre lui & le Dante. Il étoit poffible que le Dante l'emportât, s'il avoit mieux choisi fon fujet, & fait un ouvrage plus régulier. Alors la langue italienne anroit eu plus de force & d'énergie, elle ne fe feroit point amollie par ces peintures éternelles de l'amour, qui ont occu pé depuis ce tems-là les poëtes de cette nation. Pétrarque plus égal dans fon style, parlant un langage plus clair & plus favorable aux paffions tendres, enleva tous les fuffrages, & le Dante n'eut que la feconde place.

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Voyez jufqu'où un exemple féduifant peut emporter une nation. Il y a près de fix fiècles que Pétrarque n'eft plus, & fon efprit domine encore dans l'Italie. C'est lui qui l'a remplie de fonnets dont les autres nations ne fe foucient plus. Le peuple le plus ingénieux de la terre eft esclave de la coutume, & ne peut point fortir du cercle étroit que le poëte de Vauclufe a tracé autour de lui. Les biblio thèques regorgent de poéfies abandonnées, & s'en rempliffent encore tous les jours. On ne peut fe défendre d'un fentiment de douleur en réfléchiflant à cet abus de l'efprit & d'une sensibilité factice. Car aucun de ces poëtes ne reffemble à Pétrarque, & ne paroît avoir fenti ce qu'il a fi bien exprimé.

Rendons justice à l'Italie; parmi cette foule de faifeurs de fonnets & de canzoni contre lefquels nous nous élevons avec raifon, il s'eft trouvé des poëtes qui, s'écartant de la route battue, ont entrepris des ouvrages d'un autre genre, & les ont exécutés avec un bonheur qui a étonné

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