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CHAPITRE

VII.

DE L'ANGLETERRE.

L'ANGLETERRE

NGLETERRE connue dans l'antiquité fous le nom de Bretagne, fut peuplée, s'il en faut croire Tacite, par différentes nations étrangères; la Calédonie ou l'Ecoffe par des Germains, le couchant de l'île, par des Efpagnols, & le refte du pays, par les Gaulois. Les caractères de ces différens peuples étoient encore remarquables du tems de Tacite, & ces indications de la nature trompent rarement. Lorfque les Romains entreprirent la conquête de la grande Bretagne, & qu'ils l'eurent foumife, ils n'y portèrent point les lettres, ou elles n'eurent point le tems de s'y établir. Les malheurs furvenus à l'Empire, fe firent fentir aux Bretons du tems de l'invafion des Barbares, quand les légions romaines ne furent plus affez nombreuses pour repouffer les efforts des Calédoniens qui preffoient les parties méridionales

ridionales de l'île, & réduifoient fans ceffe les malheureux Bretons aux dernières extré mités. Comment cultiver les arts de la paix dans cet état de guerre continuelle ! Auffi il n'y a aucun monument confidérable qui attefte que les lettres latines aient fleuri dans cette contrée, comme elles fleuriffoient dans d'autres provinces de l'Einpire. Il eft dit feulement quelque part, que les Bretons avoient pris des Gaulois une teinture d'éloquence..

Ce qu'on nous raconte des poéfies du Nord, des chanfons de Fingal, & des autres Bardes de l'Ecoffe, n'est pas appuyé fur des témoignages bien authentiques. D'ailleurs ce qui nous refte de ces poëtes, ce font des pièces informes qui fe fen-. tent de toute la groffièreté des peuples barbares. Les plus anciens de ces morceaux ne remontent peut-être pas au-delà de l'établissement du Chriftianifme dans l'île, lorsqu'elle étoit déjà poffédée par les Anglo-Saxons.

Depuis cette époque jusqu'à la conquête de l'île par les Normands, on ne voit pas

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de trace de littérature, excepté ce qu'on en apprenoit dans les monaftères; & l'on fait le peu à quoi cela fe réduifoit. L'arrivée des Normands en Angleterre fit un grand bien au pays; ils contribuèrent à civilifer la nation, à lui donner des mœurs, à enrichir la langue des fignes & des tours du langage françois qui fut celui de la cour & de tous les actes publics. Ce que l'Anglois a emprunté du françois, eft même, de l'aveu de leurs auteurs, la partie la plus riche & la plus harmonieuse de leur langue. L'idiôme provençal, au témoignage de Dryden, fut auffi une des fources où les Anglois puisèrent, lorsque les Trou badours brilloient à la cour des comtes de Provence, & qu'un roi d'Angleterre époufoit une Provençale.

- Tous ces faits font attellés par le dictionnaire même de la langue angloife. On y voit l'origine de cet idiôme formé du faxon, du françois & du provençal. Mais par les travaux du génie & l'habitude d'écrire, cet idiome eft devenu une des premières langues de l'Europe.

Si nous remontons à une époque plus reculée que la véritable formation de la langue fous les règnes d'Henri VIII & d'Elifabeth, nous trouverons peu d'écri vains & une langue moins avancée que celle de quelques peuples européens du même tems. Chaucer qui fleuriffoit vers le commencement du quatorzième fiècle, ne vaut pas à beaucoup près nos fabliaux d'alors, & notre roman de la Rofe. Il est moins intelligible pour les Anglois, que nos auteurs de ce tems-là ne le font pour nous, ce qui annonce une langue qui tendoit à fe polir, mais qui n'étoit pas encore formée.

Les Anglois n'ont pas un feul livre de profe de même époque, que l'on puiffe) comparer aux Mémoires de Joinville & à ceux de Philippe de Commines. Il faut aller jufques vers la fin du feizième fiècle pour trouver un autre poëte après Chaucer. C'eft Edmond Spenfer dont les érudits de cette nation font beaucoup d'eftime. Mais il n'eft rien moins que grand poëte; il fe fauve feulement par ce respect de

fuperftition qu'on a pour l'antiquité.

Shakespéar qui vivoit fous le règne d'Elifabeth, eft le premier qui ait écrit purement fa langue. On le regarde avec jufte raifon comme le fondateur du théâtre anglois où il eft en poffeffion de regner depuis deux fiècles. C'eft un grand peintre de la nature, un homme de génie, qui s'élevant au-deffus de toutes les règles établies, a trouvé le fecret d'intéreffer fa nation en lui préfentant fans choix tous les objets qu'il a voulu peindre. Lorfqu'on a propofé ce tragique à l'admiration & même à l'imitation de l'Europe, plufieurs voix fe font élevées avec force contre cette prétention. Ceux qui réclamoient avec plus de fondement, s'appuyoient fur les loix reçues dans tous les théâtres réguliers, & invoquoient fur-tout l'autorité des Grecs nos maîtres dans tous les genres.

On a dit, & ce n'eft pas fans raison, que le poëte dramatique ne doit point s'affranchir des règles des trois unités, parce que fi on les viole, l'illufion théâtrale n'est plus la même, l'intérêt moins con

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