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morales. Ce ton de probité & d'honneur qui les diftinguoit, fe fit fentir dans leurs ouvrages.

C'étoit un excellent livre que le Spectateur, un cours périodique de morale, de manières, de littérature, à la portée de tous les efprits. Chacun pouvoit y lire fes devoirs, apprendre à fe corriger de fes ridicules & de fes vices, connoître les grands hommes de fa nation, les apprécier à l'aide des obfervations dont on accompagnoit les citations faites dans les différens discours. Le Spectateur fut le modèle d'un grand nombre d'ouvrages du même genre, qui formeroient une petite bibliothèque instructive & amufante ; car les fujets y font extrêmement variés. L'efprit ne fe fatigue pas à cette lecture on peut quitter le livre & le reprendre à fon gré. Il finit, pour ainfi dire, à chaque difcours, & le difcours fuivant présente un nouvel objet.

Swift qu'on a appellé fort improprement le Rabelais de l'Angleterre, eut autant de fineffe, d'efprit, de gaieté même que Rabelais quand il est bon: mais ses écrits

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eurent un but bien plus moral, & fa plaifanterie fut fouvent une fource d'avantages pour fa nation.

Addiffon excella dans les vers comme dans la profe. Ce ne fut pas une petite gloire pour lui d'avoir célébré dignement le vainqueur de Malplaquet & de Bleinheim.

Pope traita plufieurs genres avec fuccès. Il fut prefque le rival de Boileau dans fon Effai fur la critique. Il embellit d'images poëtiques les idées de Platon, dans P'Effai fur l'homme, ouvrage qui fait depuis plus d'un demi-fiècle, l'admiration de l'Europe. Il fut manier avec adreffe Parne de la fatyre, & fes traits firent fouvent des bleffures mortelles à fes détracteurs. Enfin il mit le comble à fa gloire & à ses travaux littéraires, par ses traductions en vers, de l'Iliade & de l'Odyffée, entreprise étonnante pour un homme de ce génie, & qui prouve combien il aimoit paffionnément les anciens.

Poëte à l'âge de seize ans, il s'effaya d'abord dans l'églogue; Wicherley l'un des meilleurs comiques de la nation, Bolingbroke,

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Bolingbroke, Shaftbury, conçurent dèslors les plus belles efpérances de fes ta. lens. Son Epître d'Héloïfe à Abaïlard paffe pour un chef-d'œuvre de fenfibilité, d'élégance & d'harmonie. Ce morceau eft très-connu dans notre langue par le bonheur avec lequel Colardeau l'a imité. Tant de titres de gloire donnèrent à Pope la première place parmi les poëtes de fa nation. Elle ne lui fut point contestée de fon vivant; on prétend que l'opinion a changé depuis. Il faut avouer que la fatalité du génie eft bien fingulière, fi on le relègue aujourd'hui au fecond & même au troifième rang.

Laiffons cette foule de poëtes qui ont décrit les objets champêtres & les plaifirs de la campagne, fans avoir ajouté un fentiment à ceux de Virgile, ni une image à celles de Théocrite. Une nation qui fe glorifie d'avoir beaucoup de poëtes de ce genre, fait preuve de fon goût pour la vie fimple & rurale; mais elle n'eft en droit de s'énorgueillir de fes richesses, qu'autant que ces poëtes font excellens. R

کرنا

Les Grecs ont eu Théocrite, Mofchus & Bion; les Romains n'ont eu que Virgile; les Allemands, Gefner; les autres nations, chacune leurs poëtes bucoliques plus ou moins intéreffans; les François mêmes leur Fontenelle; mais Thompson brille comme un aftre parmi les modernes qui ont traité les images des champs- & les objets de la nature. L'immenfité du plan & la manière dont il eft rempli; tout l'univers phyfique & moral appellé fous le pinceau du poëte; des images tendres ou gracieufes, des traits fublimes, une fenfibilité profonde, un enthoufiafme foudain qui enlève l'ame du lecteur dans la région du poëte qui décrit; tous ces tableaux forment un enfemble raviffant pour l'efprit & pour le cœur. Il y a peu d'hommes avec qui on aime mieux vivre à la campagne qu'avec Thompson. Il nourrit la raifon & la mélancolie méditative. On fort meilleur & plus poëte de fa lecture. On le reprend avec le même plaifir que les Géorgiques ou latines ou françoifes; parce qu'il abonde comme Virgile, en tableaux

& en idées, & que le fentiment est toujours l'acceffoire ou le fupplément de l'image.

Young moins eftimé des Anglois qu'il ne le fut de notre nation, lorfque nous le vîmes refferré & embelli dans une traduction élégante, eft diffus, vagabond dans fes pensées & dans fon ftyle qui rend le défordre de fon imagination & de fon ame. Rêveur profond & folitaire, il ne fe plaît qu'à l'ombre des cyprès funèbres, dans les grandes penfées de l'avenir, & parmi l'horreur des tombeaux. Son énergie est souvent forcée : fa langue femble manquer à fes conceptions; il fe tourmente pour exprimer le sentiment qui l'agite, & ses efforts ne font pas toujours heureux. Il règne plus de douceur, de mélancolie touchante & un ton de couleur plus tendre dans Hervey, qui a écrit en profe fur les mêmes fujets. Ses tombeaux excitent l'émotion délicieufe que l'on éprouve en voyant le paysage où le Pouffin a peint l'Arcadie. On fe plaît à partager la trifteffe d'Hervey; celle d'Young fatigue.

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