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fe forment & deviennent l'inftrument dont le génie fe fert pour fe faire entendre aux efprits. On invente des caractères, qui affujettiffent la pensée fous des formes différentes ici plus refferrée, elle marche avec mesure, fe captive fous certaines règles, confulte l'oreille, ce juge févère de l'harmonie, & l'on voit naître les vers: là elle prend plus de développement & d'étendue, aspire à une plus grande clarté, ne paffe point légèrement fur les idées intermédiaires, & évite à l'efprit la fatigue de fuppléer ce que le poëte avoit omis. La profe paroît d'abord plus fimple, ensuite revêtue de pompe & de grâce. Les différentes manières d'écrire s'établiffent par la diverfité des efprits, dont les uns voient avec plus de vivacité, les autres avec plus de fang-froid. Mais déjà on fent qu'il est toujours néceffaire de bien voir.

Que la poéfie foit née à la campagne ou dans les villes, toujours eft-il certain qu'elle eft le résultat de la société perfectionnée, des hommes raffemblés entr'eux, liés par le befoin & par le plaifir, vive

VUES GÉNÉRALES.

S

ment épris des charmes de la vie sociale, & rebutés des horreurs d'un état où chacun étoit fon maître & fon juge. Dès qu'il y eut des magiftrats chargés de maintenir les premières loix, de veiller à leur obfervation, & de punir les infracteurs, la société acquit plus de confistance, & les ames bienveillantes purent travailler à donner des mœurs plus douces à leurs femblables. Le chant, fi naturel à l'homme, fut perfectionné par de telles ames, ils le revêtirent de préceptes & d'images qui intéreffoient le cœur ; ils furent les législateurs des mœurs, s'il faut en croire le témoignage de l'antiquité. Ils changèrent les forêts en gras pâturages, firent naître les moissons fous les mains de l'homme laborieux & content. Ils charmoient, par le chant, l'ennui de ces pénibles travaux, ils en

montroient le fruit dans les douces unions fociales, dans les jouiffances d'une vie paisible, bien préférable à l'agitation & aux alarmes de la guerre.

Le fpectacle des champs défrichés & embellis par leurs mains, dut affecter A iij

6 VUES GÉNÉRALES. délicieusement les premiers hommes. Que falloit-il pour être poëte? Sentir & peindre l'un étoit plus facile que l'autre ; mais il est aifé de peindre quand on fent vivement. Auffi les peintres ne furent point rares, & les premières idilles furent des chanfons que chacun compofoit dans fa famille, felon qu'il étoit inspiré, ramenant toujours les images des champs dans fes vers, comme ce qui le touchoit de plus près, & ce qui plaifoit davantage au petit peuple qui l'environnoit. De-là cette ancienne possession où eft la poésie, de nous entretenir des travaux & des objets de la campagne. Même en célébrant la guerre, Homère & Virgile s'y repofoient avec complaisance; il leur reftoit au moins cela d'une fociété dégradée qui avoit perverti les hommes, que les anciens poëtes avoient réformés. Au milieu du carnage des batailles, fe préfentoit une comparaifon prife de la nature & des champs, comme pour rappeler à l'homme qu'ils font l'afile des mœurs pures, & le

modèle de la belle poéfie.

VUES GÉNÉRALES.

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Il ne faut point chercher autre part que chez les Grecs l'origine de l'art des vers. Car fi tous les peuples en ont eu à leur manière, fi l'on a trouvé des poëtes dans les glaces de la Norwège, dans le Canada, & même dans le Groensland que font ces productions informes, en comparaison des premières poéfies des Grecs? L'Egypte, tant vantée par fa fageffe & fa civilisation n'eut point de poëtes dont les ouvrages foient parvenuş jusqu'à nous. Les Egyptiens avoient cependant des chants. Les Chinois en ont auffi, & même des poëmes entiers d'une haute antiquité. On en peut dire autant des Arabes & de beaucoup de nations de l'Orient. Nous favons que la poéfie étoit cultivée chez les druïdes, que les bardes du nord excitoient les guerriers aux actions hardies & généreuses, par des chansons dépofitaires des exploits de leurs ancêtres. Mais les Grecs feuls nous ont conservé ce que les autres peuples ont laiffé perdre. Ils ont pouffé plus loin qu'eux l'art de peindre la pensée & le fentiment en lan

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gage mefuré, ils ont mis dans leurs vers toute la nature en harmonie.

Il n'y a pas eu d'autre caufe du progrès de l'art parmi eux que leur génie même. Nous ne lisons nulle part qu'Héfiode ait eu des encouragemens des princes & des riches de fon temps. On fait la vie pauvre & errante qu'Homère menoit dans la Grèce; nul troubadour ne fut auffi malheureux que lui, & cependant la nature eft fi belle & fi riante dans fes vers, qu'on le croiroit nourri dans cette opulence qui peut tout peindre avec grâce, parce qu'elle jouit de tout avec profufion.

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Mais, quand les lettres eurent pris plus de force, & que de grands Etats les eurent adoptées, qu'Athènes fut gouvernée par des orateurs & qu'elle attira toute la Grèce à fon théâtre ; quand les difciples de Socrate furent devenus les modèles de l'art d'écrire, & les premiers hommes de leur nation, on fe jetta en foule vers les lettres, à la culture defquelles étoient attachées tant de gloire & de fi flatteuses récompenfes. Le goût des arts devint un

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