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des Grecs, tant leur habileté à perfuader tout ce qu'ils vouloient, sembloit dange reufe. Il est à préfumer qu'on n'eût pas fait plús de grâce aux poëtes, fi on avoit envifagé leur art fous le même point de vue.

Enfin les lettres triomphèrent, & la nation italienne fe trouva heureufement affez tranquille pour les adopter. On n'avoit plus rien à craindre des grandes puissances qui avoient lutté avec Rome, & l'avoient mise en fi grand péril. Les Grecs abondoient à Rome où ils étoient attirés par la néceffité de leurs affaires, l'amour de la gloire & le défir de la fortune; fans parler de la fervitude qui fut un moyen de plus pour polir les maîtres de l'univers. Les Romains avoient fait beaucoup d'ef claves en Grèce; plufieurs de ces esclaves étoient favans: ils étoient employés dans les grandes maisons en qualité de secrétaires, d'inftituteurs, d'ordonnateurs des fêtes & des plaifirs. Ils firent goûter aux vainqueurs les arts de leur patrie, & Rome commença d'avoir des littérateurs.

Le premier ouvrage noblement penfé &

purement écrit, qui fortit de cette nouvelle école des lettres, ce fut le poëme de Lucrèce fur la nature des choses; ouvrage rempli de détails heureux & fortement rendus, ouvrage où la grâce fe trouve affortie avec l'élevation du ftyle, quoique dans un fujet ingrat à caufe de l'efprit fyftématique qui y règne. La phyfique d'Epicure n'étoit guère propre à enfanter de beaux vers. Mais l'auteur fema ce fonds de tant de beautés épifodiques; il y répandit tant d'images gracieufes ou grandes, que ce poëme eft encore un des plus beaux monumens de l'ancienne Rome.

Il s'en falloit bien que les productions du théâtre euffent le même mérite. Foibles copies des pièces grecques, infectées d'un mauvais goût qui ne règnoit point en Grèce on y admit les pointes, les jeux de mots tous ces faux ornemens qui, aux yeux des Romains groffiers, en faifoient la principale beauté. C'eft ce que nous appercevons dans les comédies de Plaute injuflement critiquées par Horace. C'étoit des fpectacles bons pour des foldats

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& des citoyens qui n'avoient nulle idée du beau dans les arts. Il faut croire que la tragédie n'étoit pas plus avancée; & fr nous avions les pièces de Nevius & d'Ennius, cela fe trouveroit juftifié par le fait.

Cependant ces auteurs, tout groffiers qu'ils étoient, avoient un caractère eftimable, c'est qu'ils étoient moins infectés que leurs fucceffeurs, du défaut de l'imitation. A travers les bouffonneries de Plaute, on remar ༥...༧༩ ༤ que le défir de peindre les mœurs romaines &'de former un théâtre national. Ennius dans les fragmens que nous en avons paroit plus romain que Virgile; il décrit les guerres de Rome avec um pinceau où il cas ractérife les grands hommes qui y fouèrent le principal rôle, il avoit fenti que chaque? nation avoit fon caractère qu'il faut conferver dans les écrits qui lui appartiennent. Mais le goût de l'imitation entraîna tous les efprits, & l'on fe paffionna tellement pour les modèles grecs, que Pon ne fit, pour ainfi dire, autre chofe que de les copier & de les traduire.

Jamais aucune nation, peut-être, n'a

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porté plus loin le goût de l'imitation que les Romains. Ils craignoient de voler de leurs propres ailes & s'afferyiffoient à fuivre les traces des Grecs; de façon que le peuple le plus audacieux de la terre dans Les entreprises guerrières, fut le plus timide dans les arts.

Catulle, Horace, Virgile n'ont fouvent fait que traduire les morceaux qui les avoient le plus frappés dans les écrivains grecs. On trouve chez eux non-feulement des vers, mais des pièces entières rendues avec génie fans doute, mais qui décèlent un goût d'imitation trop fervile dans de fi grands hommes. Je ne prétends rien ôter à leur gloire; ils en ont acquis affez dans ce qui leur appartient véritablement. D'ailleurs ils ont fixé la jufte opinion que tous les fiècles doivent avoir des belles productions de la Grèce, puifqu'étant plus près de la nature, ils n'ont pas cru pouvoir mieux faire que de la copier d'après ces grands maîtres.

Ils ont plus fait, ils nous ont confervé des morceaux précieux que nous aurions perdus fans eux, & qui ne fe trouvent plus

que dans leurs imitations. Il eft vifible que plufieurs Odes d'Horace font des traductions des poëtes grecs que nous n'avons plus. Virgile qui a imité tant d'endroits d'Homère, avoit fans doute emprunté également des autres poëtes que le malheur des tems nous a ravis. Mais on peut avec juftice lui faire le reproche d'avoir plus fongé aux détails, qu'au plan & aux beautés d'invention dans le poëme de l'Enéïde. Que n'imaginoit-il un plus grand nombre d'épisodes femblables à celui de Didon dans le quatrième livre, de Nifus & d'Euryale dans le neuvième ? Que n'imitoit-il Homère dans l'art d'arranger une vafte machine, & de tracer de grands caractères, comme il l'a fouvent imité fi heureusement dans fes vers?

Il avoit un avantage fur fon modèle, c'étoit une fenfibilité exquise qui animoit tout, ce pathétique de l'expreffion que nul autre poëte n'a poffédé dans le même degré que lui. S'il y eût joint l'étendue du plan &, la peinture des moeurs romaines, il eût fait peut-être un poëme auquel on

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