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'des arts, on étoit moins difficile, & l'enthousiasme des peuples devoit avoir plus d'intensité. Mais à mesure que les nations fe font polies, que les efprits fe font éclairés, on a reconnu des défauts qu'une espèce de religion littéraire empêchoit d'appercevoir, & le génie fans rien perdre de fes droits, a été mis à sa véritable place.

Par-tout où le fentiment a reconnu les caractères du vrai génie, il a fait fon choix, & il a dit : voici le tableau d'un grand maître que je ne dois point confondre avec les barbouillages des artistes médiocres. Les faux amateurs n'en ont pas moins continué de ranger dans leurs galeries, de mauvaises copies à côté d'excellens originaux. Ils n'avoient point l'efprit d'en faire la différence; il fuffifoit que tel tableau fût de l'école flamande ou de l'école d'Italie.

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Il en a été de même pour les livres. Tout ce qui étoit grec & latin d'une haute antiquité, a paru excellent à certains érudits du feizième siècle, comme fi du tems de la république d'Athènes & du fiècle de Ciceron, il n'y avoit pas eu de mauvais auteurs à Rome & en Grèce, comme il y en avoit en France fous le siècle de Louis XIV. Ce qu'on auroit dû faire dès-lors, & qu'il importe encore plus de faire aujourd'hui, c'est le triage du bon & du mauvais, fans diftinction d'époque & de nation, fans refpect pour les préjugés reçus, puifque ce font ces mêmes préjugés qui retardent les progrès de la litté rature de plufieurs peuples accoutumés à admirer & à défendre tout haut ce que peut-être ils défapprouvent & condamnent tout bas du moins nous pouvons le préfumer des bons

efprits de ces nations, & s'ils ofoient parler, peut-être que leur opinion entraîneroit la multitude affervie depuis long-tems à une admiration de routine.

Nous avons fenti que la feule manière de rendre notre travail utile au public, étoit de le mettre fur la voie pour apprécier les auteurs claffiques de la littérature européenne. Nous nous fervons de ce mot de claffique, non dans le fens qu'on l'emploie dans les collèges, mais pour désigner tout ce qui a ce degré d'excellence qui fait qu'un auteur est des premiers dans le genre où il a écrit.

La littérature ancienne & moderne, réduite à ces élémens primitifs, formée de tout ce qu'il y a eu de plus exquis dans tous les fiècles, fe trouve débarraffée par ce moyen, de

tous les décombres de tant de réputations ruinées, de tant de livres qui n'ont furnagé un moment au mépris public, que pour s'y perdre enfuite & s'y noyer à jamais. Un autre avantage que l'on retire de ce choix fait avec févérité & avec fagefse, c'eft que l'efprit s'accoutume à ne prendre qu'une nourriture excellente, loin de fe jetter indiftinctement fur toute forte de livres qui ne font que gâter la raifon & lui ôter de fes forces.

C'est peut-être de toutes les habitudes la plus utile que l'on puiffe contracter dans la jeuneffe. L'ame eft alors une cire molle qui prend toutes les impreffions des objets qu'on y applique. Si les livres dont on fait alors fon étude affidue, font choifis avec foin, s'ils refpirent le fentiment de l'honnête & du beau, s'ils peignent en traits de flamme ce qui a

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été pensé & fenti de plus noble & de plus grand, qui doute que le jeune homme ne fe paffionne pour fon auteur, & que fon ame ne s'aggrandiffe & ne s'élève avec la sienne?

Mais fi au contraire, l'on fe permet dans ce premier âge toute forte de lectures indifféremment, fi le goût qui n'est pas encore formé s'habitue à trouver tout également bon & paffable, fi l'on n'eft point doué de cette supériorité d'instinct qui fait que l'on rebute ce qui n'a point la faveur du génie; alors l'éducation du jeune homme eft manquée, & il fe trouve condamné, pour ainsi dire, à ne plus difcerner l'excellent du médiocre, & à n'apporter qu'un fentiment foible ou un jugement timide, aux délibérations qu'il forme en lui-même pour prononcer fur le mérite d'un ouvrage. C'eft ainfi que tant de bons

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