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fans avoir le fentiment de leurs beau tés, font des juges fort médiocres pour ne pas dire mauvais. Incapables d'apprécier par eux-mêmes les pro- * ductions du génie, ils se traînent fur les opinions reçues; & tel eft le respect qu'ils ont pour l'antiquité, qu'il ne leur arrivera jamais de déroger à ce qu'ils trouvent établi : fi la littérature n'avoit jamais eu que de pareils juges, elle feroit encore dans l'enfance.

D'autres entraînés par le torrent de leur fiècle, & ayant eu fans cesse les oreilles battues de certains jugemens fur les écrits modernes, ne font que répéter ce qui paffe de bouche en bouche, incapables également d'ébranler une réputation ufurpée, ou d'en affermir une qui lutte contre la cabale du mauvais goût. Peu d'hommes font nés avec ce courage d'efprit

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qui nous fait dire hardiment la vérité; moins encore ont un difcernement affez juste pour sentir ce qui est vrai malgré les préjugés de leur fiècle.

En fait d'ouvrages d'efprit, c'eft le fentiment qui difcerne, mais il faut qu'il foit accompagné de lumière & de goût. Ce n'est pas fans raifon que les fages nous ramènent toujours aux principes d'utilité générale, & qu'ils veulent que les charmes de l'éloquence & de la poéfie aient en vue quelque chofe d'intéreffant pour l'hu manité. Le vrai goût n'eft que cela; on le trouve éminemment dans les préceptes qu'Horace a jettés dans tous les ouvrages. A mefure que la raifon des peuples européens s'eft perfectionnée, on a fenti la jufteffe des principes de cet ingénieux écrivain; la France, fur-tout, qui les a fuivis de plus près, semble être de

venue pour l'Europe le modèle du vrai goût.

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Cependant les richesses littéraires fe font accumulées depuis trois siècles, & les modernes écrivant beaucoup plus que les anciens, grace l'invention de l'imprimerie, l'Europe s'eft trouvée inondée de livres de tout genre; les uns (c'est le plus grand nombre) entièrement dénués de principes de goût, les autres annonçant par leurs titres mêmes de pièces d'éloquence, de poëmes, d'hiftoires, de contes & de romans, que leurs auteurs auroient dû s'attacher à fuivre les traces de ceux qui avoient excellé dans ces fortes de matières.

Si on vouloit rechercher curieufement cette multitude d'auteurs, on auroit plutôt compté les grains de fable que la mer pouffe fur ses rivages; & cependant que de livres

ont été confacrés à ces recherches puériles dont il ne pouvoit réfulter aucun avantage pour l'auteur qui se fatiguoit à les faire, ni

pour qui s'ennuyoit à les lire!

le lecteur

Il faut donc faire un choix pour n'être pas accablé par le poids énorme des livres qui s'accumulent de jour en jour & qui nous forcent d'agrandir nos bibliothèques fans augmenter peut-être de beaucoup la maffe de nos connoiffances. En littérature furtout, il importe plus qu'on ne penfe, de s'attacher aux auteurs claffiques qui ont brillé dans différens pays, & dont la réputation s'eft fortifiée avec les années, non par les moyens connus de la brigue & des cabales, mais par le fuffrage de tous les peuples qui, à la longue, n'élèvent qu'une voix pour préconifer ce qui eft véritablement beau, véritablement utile.

Il faut avouer qu'à cet égard les anciens ont un avantage fur nous, c'est la prescription des fiècles. Homère compte trois mille ans de réputation. Les auteurs de la belle antiquité grecque en comptent au moins deux mille, & les Latins ont cette prérogative qui leur eft commune avec les Grecs. Ce préjugé si favorable aux anciens, ne doit point prévaloir fur la raifon qui eft de tous les tems & qui juge les fautes d'Homère comme celles de Corneille, en payant un juste tribut de louanges au génie de l'un & de l'autre.

Ainsi point d'admiration exclusive, point de ces préventions aveugles pour les auteurs qui ont vécu à des époques très-reculées; ne nous laiffons point féduire par les honneurs extraordinaires que leurs contemporains leur ont décernés. A la naissance

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