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foué dans fes Ecrits: c'est, je penfe, dans Litr. II un de fes Factums.

Les louanges & l'amitié de Monfieur de Furetiere, répondit Monfieur l'Abbé, font de méchantes recommandations auprès de Meffieurs de l'Academie Françoife. Auffi B. a-t-il d'autres titres que ceux-là, pour appuier fes prétentions: fon propre mérite le recommande affez.

Affûrement, dit Monfieur le Chevalier, en riant, B. a de bons titres pour deman der une place dans l'Academie Françoife. Je ne connois perfonne plus capable que lui d'autorifer par fon exemple cette belle liberté de langage & de ftile fi vantée par Dupleix, & d'afranchir nos Auteurs de cette exactitude fcrupuleufe, qui eft une efpéce de fervitude, que Monfieur de Vaugelas impofe à nos meilleurs Ecrivains, & à laquelle l'Auteur des Doutes & des Remarques nouvelles fur la Langue Françoise voudroit affujettir tout le monde.

Sérieufement, repris je, B. feroit trèspropre à fervir en cela le public. Nous autres François, nous aimons le changement jufques dans le langage: il y a trop de temps que nôtre Langue eft en fa pureté quelque mêlange de la Dialecte Picarde, je ne fai quoi de plus fort, de plus brufque, de moins penfé, réveilleroit le goût, & piqueroit davantage, que tout ce rafinement, tous ces tours, & toute cette délicateffe qu'on affecte aujourd'hui, & dont on commence à fe laffer, parce qu'elle coûte trop, & qu'elle ne fe fait fentir qu'à fort peu de perfonnes. LS

Or

LETT. II.

Or nul n'a plus de difpofition naturelle à tempérer la pureté de nôtre Langue, à modérer ces excès de fineffe, de politeffe, de naïveté, & à faire cette espece de changement dans le langage, que le Bibliothécaire.

De la maniére dont vous vous y prenez, Meffieurs, nous dit Mr. l'Abbé, vous n'examinez point la question; vous la decidez: & fi ce que vous dites à l'honneur de B. prouve quelque chofe, il ne mérite pas feulement d'être de l'Académie Françoife, il est encore destiné de Dieu pour la réformer.

Je vous prie, Meffieurs, quittons ces airs de plaifanterie; prenons-en de plus féants à la differtation; & pour entrer dans nôtre fujet, on ne peut pas douter que B. ne foit favant.

Je doute qu'il le foit, comme doit l'être un Académicien, reprit Mr. le Chevalier. La fcience propre d'un homme de l'Academie Françoife eft beaucoup plus rare qu'on ne penfe: toute forte d'érudition ne lui convient pas. L'Histoire ancienne & moderne, les Mathematiques, la Theologie, la Medecine, la Phyfique même, font de belles Sciences; elles peuvent bien faire honneur à un Academicien; mais elles ne peuvent pas donner entrée dans l'Academie Françoife. Un Academicien doit favoir les belles Lettres; & il doit les favoir en galant homme. I faut qu'il ait lû tous les bons Auteurs Grecs, Latins, & François. Il faut qu'il fache les Poëtes Grecs, Latins, Italiens,

Efpa

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Efpagnols, & les nôtres: il doit pouvoir LETT. II, montrer le fort & le foible de tous les Ouvrages d'efprit, qui ont été faits en ces Langues-là. Par exemple, il doit être prêt à dire fon fentiment fur tous les excellens Poëtes Héroïques, depuis Homere & Virgile, je dirois jufqu'au Pere le Moine, s'il avoit plus de douceur dans le vers, & plus de vrai femblance dans les fictions; mais je dis jufqu'au Taffe. Il doit pouvoir prononcer fur tous les excellens Poëtes Tragiques, depuis Sophocle & Euripide, jufques à Corneille, & à Racine; fur tous les Comiques, depuis Ariftophane & Ménandre, Plaute & Térence, jusqu'à Moliere; fur tous les Satyriques, depuis Lucile & Horace, jufqu'à Regnier & à Defpreaux; fur tous les Lyriques, depuis Pindare & Horace, jufques au Pere Commire & à Benferade; de tous les faifeurs de Fables, depuis Efope & Phédre, juf qu'à la Fontaine; de tous les faifeurs de Chanfons, depuis Anacreon, jusqu'à Coulange; & de toutes les dixiemes Mufes, depuis la Sapho Gréque, jufqu'à la nôtre, qui a tout le vrai mérite de la Gréque fans en avoir les défauts.

Un Academicien doit encore être capable de juger des Grammairiens, des Orateurs, des Hiftoriens comme des Poëtes: inais fût-il un très-habile Critique de tous les Auteurs étrangers, parlât-il Grec comme Demofthene & Lucien, Latin comme Cefar & Ciceron, Espagnol com me Guevare, & Mariana, Italien comme Villani, & Boccace, s'il ne parloit FranL 6 çois

LETT. II.

çois comme Mr. de Buffi, ou comme Arifte & Eugene, il ne meriteroit point d'être de l'Academie Françoise.

Le fonds d'un Academicien, eft la fcience de la Langue Françoife: il en doit favoir toute la délicateffe & toute la force,, toute la hauteur & toute la naïveté, tous les tours, & toutes les figures propres du. difcours familier: rien de tout ce qui re garde nôtre Langue ne doit échaper à sa connoiffance, il faut qu'il doute auffi judicieufement que le Gentil-homme BasBreton, & qu'il puiffe juger auffi fainement & auffi fûrement que Monfieur Peliffon, & Monfieur Defpreaux.

Le premier foin d'un Academicien doit être d'embellir fa Langue naturelle, & de la conferver en fa pureté s'il fait les. Langues Grecque, Latine, Efpagnole, & Italienne, il faut que ce foit pour garentir la fienne du mêlange de ces Langues. étrangeres, ou s'il s'enrichit par le commerce qu'il a avec les Auteurs étrangers, il faut qu'il donne l'air François à tout ce qu'il reçoit d'eux, comme nos Rois donnent des Lettres de naturalité aux étrangers qu'ils reçoivent au nombre de leurs fujets.

Il ne fuffit pas à un Academicien de favoir nôtre Langue, il faut encore qu'il écrive poliment en François: il faut même qu'il foit éloquent, & qu'il fache accommnoder fon éloquence au fujet qu'il traite, le fublime doit entrer dans tout ce qu'il écrit, mais il doit favoir ménager, & affortir le fublime. En quelque genre

qu'il écrive, fes Ouvrages doivent être fi LTTI achevez qu'ils puiffent fervir de modéles. On doit trouver par tout je ne fai quoi d'aifé, de naïf, de noble, d'exact, & d'engageant, beaucoup de force & de delicateffe, beaucoup de jufteffe fans affectation, affez d'efprit pour en donner même aux Lecteurs, mais encore plus de folide & de bon fens, que d'efprit & de vivacité: un air d'honnetêté qui foit un gage de la politefle de l'Auteur: en un mot, je voudrois qu'on ne reçût de l'Academie que ceux qui auroient toutes les qualitez du veritable bel efprit, dont nous avons une fi belle peinture dans les Entretiens d'Arifte & d'Eugene, & qui feroient tels que plufieurs que nous connoiffons, je dirois tels que vous êtes, Meffieurs, fi je ne voulois ménager vôtre modeftie.

Vous n'avez guéres ménagé mon amour propre, repartis-je, jamais je ne conçûs fi bien qu'à préfent combien je mérite peu l'honneur que je poffede, & qui vous eft parfaitement dû, Meffieurs, car Monfeur le Chevalier vient de faire fon Portrait, & celui de Monfieur l'Abbé en voulant faire le portrait de ceux qui méritent d'être de l'Academie Françoise.

Sans vous dire, Meffieurs, repliqua Monfieur l'Abbé, qu'il eft impoffible que je me reconnoiffe dans une peinture qui vous reffemble à tous deux, voyons, je vous prie, fi nous y reconnoîtrons B. car c'eft-là de quoi il s'agit.

Pour nous en éclaircir choififfons dans fe magnifique caractère que vient de faire L7 Mon

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