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CHAPITRE XVI.

Que ce que cet Auteur fait faire à notre efprit. pour trouver fes idées dans fon Etendue intelligible infinie, eft contraire à l'experience, & aux loix generales que Dieu s'eft prefcrites à lui-même pour nous donner la connoiffance de fes ouvrages.

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Près avoir fait voir dans le chapitre 141 que cette étenduë intelligible infinie,en la maniere que cet Auteur la reprefente,eft tout à fait intelligible, & n'eft qu'un amas de contradictions, & après avoir montré dans le 15. que, quand on la fupoferoit telle qu'il veut qu'elle foit, il feroit impoffible que notre efprit y put trouver les idées des chofes qu'il ne connoîtroit pas, & qu'il auroit befoin de connoître: il ne me reste plus, pour un entier renverfement de cette nouvelle Philofophie des Idées, qu'à montrer que, quand ce qu'il fait faire à notre esprit, pour lui faire trouver fes idées dans cette étendue intelligible infinie, pouroit lui fervir à les y trouver (ce qui ne peut être, comme nous venons de le faire voir) on n'en devroit pas moins rejetter comme des chimeres tout ce qu'il dit fur cela, parce qui eft manifeftement contraire à ce que nous favons certainement fe paffer dans notre efprit, qui eft la plus certaine des experiences, & aux loix

génera

générales que Dieu s'eft prefcrites à lui-même pour nous donner la connoiffance de ses ouvrages.

Il n'eft befoin pour lé reconnoître, que de faire deux réflexions. La 1. eft que cet Auteur n'a pas entrepris d'expliquer comment notre efprit pouroit voir les corps dans quelque cas extraordinaire, comme feroit la fupofition phantaftique que Dieu n'en eût point créé, & qu'ils fuffent feulement poffibles: mais que fon deffein eft d'expliquer la maniere génerale & ordinaire dont notre efprit voit effectivement les corps que Dieu à créez, & fans laquelle il lui feroit impoffible de les voir. Or, quand on a un deffein tel que celui-là, il ne fuffit pas de dire des chofes purement poffibles, & fe picquer de fubtilité en inventant des fyftemes imaginaires: il faut fur-tout prendre garde, de ne rien fupofer de contraire à ce qui eft certainement; puifque rien n'eft plus capable de faire rejetter ces ingenieufes méditations que quand on peut dire : Vous vous tourmentez en vain, pour m'aprendre comment je fais une telle chofe; puifque je fuis affuré, par une experience que je ne puis démentir, que je ne la fais pas, mais que je fais tout le contraire.

La 2 Reflexion eft, que quand il s'agit, non de quelque effet extraordinaire & fans fuite, mais d'un effet commun, naturel, ordinaire, & qui eft une fuite de ce que Dieu a voulu qui arrivâc

Y

rivât dans le monde, felon les loix qu'il y a établies, il ne faut pas s'imaginer qu'il fuffise d'avoir bien prouvé, à ce que l'on croit, que Dieu en eft l'auteur, pour prétendre qu'il dépend tellement de sa volonté, qu'il n'y ait qu'a supoler qu'il fait cela à propos de rien, & parce feulement qu'il le veut, fans qu'on ait besoin d'en rechercher d'autre raifon. L'Auteur de la Recherche de la Verité n'a garde de contredire cela; puifque c'eft fa grande maxime, qu'il pouffe quelquefois plus loin qu'il ne faut, mais qui eft incontestable,quand Dieu agit felon le cours ordinaire des chofes de la nature. Or il n'eft point ici question de ce que Dieu fait dans les illuminations extraordinaires & furnaturelles de la grace, mais de ce qu'il fait au regard de nos plus ordinaires & plus naturelles perceptions des objets les plus communs.

Ces perceptions font de deux fortes, felon cet Auteur, liv. 1. ch. 1. Les premieres nous reprefentent quelque chofe hors de nous, comme un quarré, une maison, &c. Les fecondes ne nous representent que ce qui fe paffe dans nous, comme nos fenfations de la lumiere, des couleurs, des fons. Je commencerai par les der

nieres.

Il veut que Dieu en foit l'Auteur: on en demeure d'accord. Mais il faut de fon côté qu'il avouë, comme il fait auffi, que Dieu ne les caudans notre ame à propos de rien: mais

Le pas

qu'il

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qu'il ne le fait que par un ordre très-reglé, felon les deffeins qu'il a eus en joignant notre ame à un corps. Car, pour me reftreindre à la lumiere & aux couleurs, il enfeigne lui même, après M. Defcartes, que les fentimens de la lumiere & des couleurs ne nous font neceffaires, que pour connoître plus diftinctement les objets : & que c'est pour cela que nos que nos fens nous portent à les attribuer feulement aux objets. D'où il conclut que ces jugemens, aufquels les impreffions de nos fens nous portent, font très juftes fi on les confidere par raport à la confervation de nos corps.

Il ajoûte dans le ch, d'après, que la raifon pour laquelle toutes les fenfations ne peuvent pas bien s'expliquer par des paroles, comme toutes les autres chofes, c'est qu'il dépend de la volonté des hommes d'en attacher les idées à tels noms qu'il leur plaît: mais que ces mêmes hommes n'attachent pas, comme il leur plaît, leurs fenfations à des paroles, ni même à aucune autre chofe. Ils ne voïent point de couleurs, quoiqu'on leur en parle, s'ils n'ouvrent les yeux. Ils ne goûtent point de faveurs, s'il n'arive quelque changement dans l'ordre des fibres de leur langue, & de leur cerveau. En un mot, toutes les fenfations ne dépendent point de la volonté des hommes: iln'y a que celui qui les a faits qui les conferve dans cette mutuelle

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liv, 1. ch. 13.

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correfpondance des modifications de leur ame avec celle de leur corps.

Il s'enfuit de là deux chofes, L'une que Dieu ne caule ces fenfations dans notre ame, que quand il arrive quelque changement dans les organes de nos fens. L'autre que la fin de ces fenfations, & principalement de la lumiere & des couleurs, n'eft que pour nous faire connoître plus diftinctement les corps qui nous environnent, par raport à la confervation du notre; & que c'eft pour cela qu'il a été bon que nôtre ame les attribuât à ces corps, & qu'elle fe reprefentât les uns lumineux & les autres colorez d'une telle ou d'une telle couleur, felon que les corpufcules qui rejaliffent de ces objets auroient frapé differemment les filets du nerf optique,& les auroient diversement ébranlez. Voilà l'ordre commun & ordinaire, felon lequel Dieu cause en nous ces fenfations.

Mais il faut que la trop forte aplication, qu'a eue cet Auteur à faire trouver les idées de tous les corps que nous voyons dans fon étendue intelligible infinie, lui ait fait oublier toutes ces veritez, qu'il avoit auparavant fi bien expliquées, pour l'avoir rendu capable de nous vouloir perfuader, que quand notre ame voit un quareau de marbre blanc, ce n'eft point ce quareau qu'elle voit d'une figure quarée,mais qu'etle envisage une partie de l'étenduë intelligible infinie, & qu'elle la conçoit bornée comme il faut,

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