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eft d'avoir fupofé pour inconteftable un principe qui ne lui eft pas particulier, mais qu'il a pris de la Philofophie commune. C'eft ce qui l'a en

traîné, , par une fuite prefque inévitable, dans tous les paradoxes qu'il en a tirez par des conféquences affez juftes, & qu'il a embraffez avec d'autant moins de précaution, qu'ils lui ont paru établir d'une maniere admirable la dépendance qu'ont nos efprits de Dieu, & leur union avec la raison fouveraine, qui eft le verbe divin, De forte qu'on peut dire de lui en cette rencontre, ce que dit S. Ambroife de la Mere des enfans de Zebedée : Et fi error eft, pietatis tamen error eft.

Ce principe eft que notre ame nè fauroit voir que ce qui lui eft intimement uni. Il a regardé cela comme incontestable, & il ne s'eft jamais mis en peine de le prouver, parce qu'il n'a pas cru qu'on en pût douter. Or, dès qu'un principe nous a paru clair & évident, ce nous est une efpece de neceffité d'en admettre toutes les fuites: & nous ne pouvons les regarder comme fauffes, tant que nous les confidererons comme aïant une liaison neceffaire avec ce principe. Il ne faut donc pas s'étonner, fi, s'étant laiffé prévenir de cette maxime commune que rien n'eft en état de pouvoir être vu par notre ame que ce qui lui eft prefent, c'est à dire, intimement uni. il a conclu de-là tout ce qui fuit.

Donc les chofes materielles, ne pouvant être

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unies

unies intimement à notre ame, n'en peuvent être aperçues par elles-mêmes.

Donc le foleil, par exemple, n'eft point vifi ble & intelligible par lui-même.

Done notre efprit a befoin pour voir le foleil d'un être reprefentatif du foleil, qui foit intimement uni à notre ame, ce qui s'apelle autrement le foleil intelligible.

Donc, quand nous regardons le foleil, c'est-àdire, que nous tournons nos yeux verslui, c'eft le foleil materiel que nous regardons, mais celui que nous voïons eft le foleil intelligible.

Donc, il faut chercher d'où nous pourons avoir, & comment, cet être reprefentatif du foleil,qui doit être intimement uni à notre ame. Or, de toutes les manieres dont on peut s'imaginer que cela fe fait, il n'y en a point où fe trouve moins de difficulté, & qui foit plus vraifemblable que de dire que cet être reprefentatif eft Dieu même, étant aifé de concevoir que l'ef prit peut voir ce qu'ily a dans Dieu, qui reprefente les êtres créez, puifque cela est très-fpirituel, très-intelligible & très-prefent à l'esprit. Donc rien n'eft plus conforme à la raison que de penfer que nous voïons toutes chofes en Dieu.

Mais en voulant expliquer comment cela fe faifoit, il s'eft trouvé plus embaraffé qu'il n'avoit cru. Car, aïant d'abord prétendu que nous voïons chaque chofe dans l'idée particuliere qu'elle

qu'elle a en Dieu,le foleil materiel dans le foleil intelligible, il s'eft trouvé empêché de rendre raifon pourquoi donc le foleil, étant toûjours de même grandeur, felon cette idée particuliere de Dieu, nous le voïons plus grand quand il eft à l'horifon que quand il eft au midi: & il s'eft trouvé réduit à dire que nous voïons toutes chofes dans une étendue intelligible infinie, dont toutes les parties étant de même nature chacune étoit propre à devenir à notre égard le foleil intelligible.

Il n'y a que ce dernier qui foit fort étrange. Mais pour tout le refte on n'a pas lieu de fe tant étonner qu'il l'ait regardé comme vrai ; puisqu'un efprit fi vif & fi penetrant ne pouvoit gueres aller moins loin, en fuivant le chemin. que lui faifoit faire ce qu'il a pris pour un principe indubitable, fur lequel on devoit juger de ce que notre efprit pouvoit voir ou de ce qu'il ne pouvoit pas voir tant eft vrai ce que dit M, Defcartes dans fa méthode : que c'est veritablement donner des batailles que de tâcher à vainere toutes les difficultez & les erreurs, qui nous empêchent de parvenir à la connoiffance de la verité: mais que c'est en perdre une que de recevoir quelque fauffe opinion touchant une matiere un peu generale & importantes parce qu'il n'eft pas prefque poffible que cela ne nous conduife dans de grands égaremens.

Il femble donc auffi qu'on fait le même plai
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fir

fir à un homme à qui ce malheur eft arrivé, en lui découvrant la fauffeté du principe, qui l'auroit engagé en beaucoup d'erreurs, que l'on fe roit à un voïageur égaré en le remettant dans le bon chemin, qu'il n'auroit abandonné qu'en fuivant les pas de beaucoup de gens, qui s'y fe roient trompez ayant lui.

C'est pourquoi j'ai lieu d'efperer que notre ami me saura bon gré de lui avoir voulu rendre ce fervice, quand même je n'y aurois pas réüffi. Mais s'il fe trouve dans l'impuiffance de répondre à ce que je croi avoir démontré, je prie Dieu de tout mon cœur qu'il lui fasse lą grace de donner à notre fiécle un exemple d'humilité, qui devroit être bien commun par milesChretiens, & qui l'eft fi peu,en reconnoiffant de bonne foi que pour avoir embraffé trop facilement un faux principe,il s'eft engagé mal à propos en des erreurs infoûtenables, touchant la nature des idées, & qu'il n'a point dû propofer avec tant de confiance cette nouvelle opinion: Que nous voïons toutes chose en Dieu, puifqu'il voit bien maintenant qu'elle n'a rien de folide.

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CHAPITRE XIX.

Du 2. prejugé, qui eft que cette nouvelle Philofophie des Idées fait mieux voir qu'aucune autre combien les Efprits font dépendans de Dieu, & combien ils lui doivent être unis.

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Ne des raisons que cet Auteur fait le plus valoir, pour confirmer cette mifterieufe pensée que c'est en Dieu que nous voïons toutes choles, eft que ce fentiment lui a paru ficon forme à la Religion, qu'il s'eft cru indifpenfablement obligé de l'expliquer & de le foûtenir autant qu'il lui feroit poffible. Ce font fes propres termes dans un éclairciflement fur ce fujet, qui a pour titre: Eclairciffement fur la nature des idées dans lequel il explique comment on voit en Dieu toutes chofes, les veritez, & les loix éternelles. Et il témoigne fon zéle pour cette opinion avec encore plus de force dans les paroles fuivantes: Faime mieux qu'on m'apelle vifionnaire, qu'on me traite d'illuminé, & qu'on dife de moi tous ces bons mots que l'ima gination, qui eft toûjours railleuse dans les per tits efprits, a de coutume d'opofer à des raisons qu'elle ne comprend pas, où dont elle ne peut fe défendre, que de demeurer d'acord que les corps foient capables de m'éclairer : que je fois à moi-même mon maître, ma raison, ma lumie

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