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La 1. que les idées prifes en ce dernier sens font de vraïes chimeres ; qui n'ayant été inventées que pour nous mieux faire comprendre comment notre ame, qui eft immaterielle, peut connoître les chofes materielles que Dieu a crées, nous le fait fi peu enten dre, que le fruit de ces fpeculations eft de nous vouloir perfuader, après un long circuit, que Dieu n'a donné aucun moïen à nos ames d'apercevoir les corps réels & véritables qu'il a créez, mais feulement des corps intelligibles qui font hors d'elles, & qui reffemblent aux corps réels.

La 2. eft que cet Auteur, qui eft l'homme du monde qui parle avec le plus de force contre ceux qui quittent les notions claires, qu'ils trouvent en eux-mêmes, pour fuivre des notions confufes, qui leur font restées des prejugez de leur enfance, n'est tombé lui-même dans les pensées extraordinaires, que j'entreprens de refuter, que pour ne s'être pu défaire entierement de ces préjugez, & en avoir retenu un faux principe, qui lui eft commun avec prefque tous les philofophes de l'Ecole : mais qui l'a mené dans des fentimens plus étranges que les autres, parce qu'il l'a pouffé plus loin qu'eux : comme de plufieurs qui fe font détournez .du vrai chemin, il n'y en a point qui s'égare davantage, que celui qui court avec plus de force.

C'eft

C'est par ce dernier, Monfieur, que je Commencerai. Car on reconnoîtra plus facilement la fauffeté des paradoxes qu'il a avancez fur cette matiere, quand on en au ra decouvert la cause. Pardonnez-moy, Monfieur, fi je me fers de termes fi forts. Ce n'eft, ce me femble, que l'amour de la verité, & le defir de la faire mieux entendre qui m'y oblige, fans que je ceffe pour cela d'avoir toujours beaucoup d'eftime pour la perfonne que je refute. Je trouve feulement en ceci un grand exemple de l'infirmité humaine, qui fait que des efprits, fort éclairez d'ailleurs & fort penetrans, peuvent tomber en de fort grandes erreurs, en philofophant fur ces matieres abftraites, fitôt qu'ils fe font laiffé aller par mégarde à fuivre comme vrai un principe commun, qu'ils n'ont pas pris affez de foin d'examiner, qui fe trouve n'être pas vrai. Car la fauffeté eft feconde auffi-bien que la verité un faux principe, qu'on aura admis pour vrai, faute d'y avoir pris garde d'affez près, n'étant pas moins capable de nous engager en des opinions très-abfurdes, qu'un feul principe veritable & important eft capable de nous découvrir beaucoup d'autres veritez.

CHA

Que ce

CHAPITRE IV.

que l'Auteur de la Recherche de la Verité dit de la nature des Idées, dans fon III. Livre, n'eft fondé que fur des imaginations, qui nous font restées des prejugez de l'enfance.

C

Omine tous les hommes ont été d'a

bord enfans, & qu'alors ils n'étoient prefque occupez que de leur corps & de ce qui frapoit leurs fens, ils ont été long-tems fans connoître d'autre vue que la vue corporelle, qu'ils attribuoient à leurs yeux. Et ils n'ont pu s'empêcher de remarquer deux chofes dans cette vue. L'une qu'il faloit que l'objet fût devant nos yeux, afin que nous le puffons voir, ce qu'ils ont apellé presence 3 & c'eft ce qui leur a fait regarder cette prefence de l'objet comme une condition neceffaire pour voir. L'autre qu'on voïoit auffi quelquefois les choses vifibles dans les miroirs, ou dans l'eau, ou d'autres choses qui nous le reprefentoient ; & alors ils ont cru, quoique par erreur, que ce n'étoit pas les corps mêmes que l'on voioit, mais leurs images. Voilà la feule idée qu'ils ont euë longtems de ce qu'ils ont apellé voir d'où il eft arrivé qu'ils fe font accoutumez, par

une

une longue habitude, à joindre à l'idée de ce mot l'une ou l'autre de ces deux circonftances: de la prefence de l'objet dans la vuë directe: ou de voir feulement l'objet par fon image, dans la vue reflechie par des miroirs. Or on fait affez la peine qu'on a de féparer les idées, qui ont accoûtumé de fe trouver ensemble dans notre efprit, & que c'est une des caufes les plus ordinaires de nos erreurs, Mais les hommes avec le tems fe font aperçus, qu'ils connoiffoient diverses chofes qu'ils ne pouvoient voir par leurs yeux, ou parce qu'elles étoient trop petites, ou parce qu'elles n'étoient pas vifibles, comme l'air, ou parce qu'elles étoient trop éloignées, comme les villes des païs étrangers où nous n'avons jamais été. C'est ce qui les a obligez de croire qu'il y avoit des chofes que nous voïons par l'efprit, & non par les yeux. Ils eussent mieux fait s'ils euffent conclu qu'ils ne voïoient rien par les yeux, mais tout par l'efprit, quoiqu'en differentes manieres. Mais il leur a falu bien du tems pour en venir jufques-là. Quoiqu'il en foit, s'étant imagipé que la vue de l'efprit étoit à peu près femblable à celles qu'ils avoient attribuée aux yeux, ils n'ont pas manqué, comme c'est l'or dinaire, de transferer ce mot à l'efprit avec les mêmes conditions qu'ils s'étoient imagi né qui l'accompagnoient, quand ils l'apli quoient aux yeux,

La

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La premiere étoit la prefence de l'objet, Car ils n'ont point douté, & ils ont pris pour un principe certain, auffi-bien au regard de l'efprit que des yeux, qu'il faloit qu'un objet fût prefent pour être vu. Mais, quand les Philofophes, c'eft-à-dire, ceux qui croïoient connoître mieux la nature que le vulgaire, & qui n'avoient pas laiffé de fe laiffer prévenir par ce principe, fans l'avoir jamais bien exa miné, ont voulu s'en fervir pour expliquer la vuë de l'efprit, ils fe font trouvez bien empêchez. Car quelques-uns avoient reconnu que l'ame étoit immaterielle, & les autres, qui la croïoient corporelle, la regardoient comme une matiere fubtile, enfermée dans le corps, dont elle ne pouvoit pas fortir pour aller trouver les objets de dehors, ni les objets de dehors s'aller joindre à elle. Comment donc les poura-t-elle voir, puifqu'un objet ne peut être vu s'il n'eft prefent. Pour fortir de cette dificulté, ils ont eu recours à l'autre manięre de voir, qu'ils avoient auffi accoûtumé d'apliquer à ce mot au regard de la vue corporelle, qui eft de voir les chofes, non par elles-mêmes, mais par leurs images, comme quand on voit les corps dans des miroirs. Car, comme j'ai déja dit, ils croïɔient, & prefque tout le monde le croit encore, que ce n'eft pas alors les corps que l'on voit, mais feulement leurs images. Ils s'en font tenus-làs

&

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