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Mais, en attendant fa réponse sur ces deux points, je veux bien examiner, s'il a autant de raifon, qu'il en croit avoir, de foûtenir que l'idée, que nous avons de notre ame, eft fi peu claire, en comparaifon de celle que nous avons de l'étenduë en general, qu'il ait eu raifon de dire que nous n'avons point d'idée de notre ame, & que nous en avons de l'étenduë.

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Il en eft fi perfuadé,qu'il trouve étrange que quelques Cartefiens en aient pu douter, & il ne peut attribuer cela qu'à une aveugle deference à l'autorité de M. Defcartes. C'eft comme il commence fon Eclairciffement fur cette matiere, p. 552.,, J'ai dit en quelques " endroits, & même je croi avoir fuffifamment prouvé, dans le troifiéme livre de la "s Recherche de la Verité, que nous n'avons " point d'idée claire de notre ame,mais feule-«< ment confcience ou fentiment interieur: & " qu'ainfi nous la connoiffons beaucoup plus imparfaitement que nous ne faifons l'éten- " duë. Cela me paroiffoit fi évident, que je“ ne croïois pas qu'il fût neceffaire de le prou- " ver plus au long. Mais l'autorité de M. Def. " cartes, qui dit pofitivement que la nature de " Pefprit eft plus connuë que celle de toute autre chofe, a tellement préocupé quelques uns" de fes difciples, que ce que j'en ai écrit n'a “ fervi qu'à me faire paffer dans leur efprit " pour

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pour une perfonne foible, qui ne peut prendre & le tenir ferme à des veritez abs- « Cependant, la " question prefente eft tellement proportion- « née à l'efprit, que je ne voi pas qu'il fait be-" foin d'une grande aplication pour la refou-“ dre: & c'eft pour cela que je ne m'y étois " pas arrêté,

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Ecoutons donc ces raisons si faciles à trouver, & mettons pour la premiere celle qui eft le fondement de toutes les autres, & qui nous donnera lieu de demêler ce qu'il a embrouillé par la definition d'une idée claire, qu'il a pris pour principe de tout ce qu'il dit fur cette matiere.

I. RAISON. (a) Je prens pour la même chose n'avoir point d'idée d'un objet, & n'en avoir point d'idée claire ; & je n'apelle idées claires, que celles qui produifent la lumiere & l'évidence, & par lesquelles on a comprehen fion de l'objet fi on peut parler ainfi ) c'est-àdire, qui font telles, (b) qu'en les confultant on peut apercevoir d'une fimple vue ce qu'elles enferment, & ce qu'elles exclucnt, & reconnoitre par là toutes les proprietez de l'objet,& les modifications dont il eft capable.

Or nous n'avons point une telle idée de

notre ame,

Nous n'en avons donc point d'idée claire;

(a) p. 489. (b) p⋅ss4. ss5.356.

&

& cela fuffit pour dire que nous n'en avons point d'idée.

RESP. Pour pouvoir dire ce que je pense de la majeure, il faut favoir de lui s'il pretend que cette definition, qu'il donne d'une idée claire, doit être admife par tout le monde, comme contenant la vraie notion de la clarté d'une idée: ou s'il n'a voulu que faire fon dictionnaire particulier en nous avertiffant, que fans le mettre en peine en quel fens les autres prennent le nom d'idée claire, il est refolu pour lui de ne fe fervir de ce mot qu'en le prenant dans le fens que j'ai marqué.

S'il pretend le premier, je nie fa majeure: & je lui foutiens qu'il fe trompe manifeftement s'il a fupofé que tout le monde demeuroit d'accord de fa definition d'une idée claire. Il est bien certain au moins que M. Defcartes n'en demeure pas d'accord; puisqu'il enfeigne en beaucoup de lieux que nous pouvons avoir une idée claire & diftincte d'un objet, fans connoitre tout ce qui peut conve nir à cet objet. C'eft pourquoi il foutient par tout que nous avons une idée claire & diftinde de Dieu quoiqu'elle ne foit pas telle qu'on la puiffe apeller adequatam (c'eft le mot dont il fe fert pour marquer une idée, qui feroit connoitre toutes les proprietez d'un objet) qualem nemo habet non modo de infinito, fed nee forte etiam de ulla alia re, quantumvis

parva. Et, dans la reponse aux quatriémes objections, il dit que les idées que nous avons de l'ame & du corps peuvent être claires & diftinctes, fans que l'une ni l'autre foit adequata, c'eft-à-dire, qu'elle foit telle qu'elle nous faffe connoitre tout ce qui convient à l'une & à l'autre de ces deux fubftances.

Il eft donc certain qu'il n'a point cru,qu'afin ́ qu'une idée fut claire,il fût neceffaire qu'elle enfermât toutes les proprietez de l'objet.

Et en effet, peut-on douter qu'on n'ait eu avant Pythagore l'idée claire d'un triangle rectangle, quoique ce foit lui, à ce que l'on croit, qui en a decouvert le premier cette belle proprieté que le quarré de fa bafe eft égal aux quarrez des deux côtez ? Fft-ce de même qu'on n'a point eu d'idée claire de l'ellipfe & de l'hyperbole avant M. Defcartes, parce que c'eft peut être lui qui a le premier decouvert les proprietez qu'il en a demontrées dans fa dioptrique pour la refraction

des raïons?

Que fi, ne pouvant pas pretendre que cette definition d'une idée claire foit admife par tout le monde, il eft reduit à dire qu'il a pu prendre ce mot en ce fens, & n'apeller idée claire, que celle qui auroit toutes les conditions qu'il a marquées, on le lui avoue: & on lui accorde auffi qu'en prenant en ce fens le mot d'idée claire nous n'avons point d'idée

claire

claire de notre ame. Mais on lui foutient auffi qu'on n'en a point non plus de l'étendue, ni peut-être d'aucune autre chofe du monde, comme M. Defcartes l'a bien remarqué. Ec ainfi tout fe reduira à l'égard de fes autres preuves à montrer qu'elles ne font pas plus concluantes contre l'idée claire de notre ame, que contre l'idée claire de l'étendue. II. RAISON. Je croi pouvoir dire que l'i gnorance, où font la plupart des hommes, à l'égard de leur ame, de fa diftinction d'avec le corps, de fa fpiritualité, de fon immortalité & de fes autres proprietez, fuffit pour prouver évidemment que l'on n'en a point d'idée claire & diftincte.

RESP. Si les erreurs des hommes & les doutes déraisonnables qu'ils ont tous les jours fur des chofes très-certaines, peuvent être alleguez, pour prouver que nous n'avons point d'idées claires des chofes dont il leur plaît de douter,il n'y a plus rien dont on puiffe dire que nous aïons des idées claires. Car y at'il rien dont les Sceptiques & les Pyrrhoniens n'aient fait profeffion de douter? Il ne faudroit que leur apliquer ce qu'il dit en lap.557. Faifons juftice à tout le monde: ceux qui ne font

pas de notre fentiment font raisonnables auffibien que nous : ils ont les mêmes idées des chofes: ils participent à la meme raison. Pourquoi auroient-ils douté de ce qui nous paroit de plus

certain

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