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&ce préjugé a eu tant de force fur leur efprit, qu'ils n'ont pas cru qu'il y eût feulement le moindre fujet de douter que cela ne fût ainfi. De forte que, le fupofant comme une verité certaine & inconteftable, ils ne fe font plus mis en peine que de chercher qu'elles pouvoient être ces images ou ces étres reprefentatifs des corps, dont l'efprit avoit befoin pour apercevoir les corps.

Une autre chofe, qui revient néanmoins à ce que nous venons de dire, & n'en eft gueres diferente, a encore fortifié ce préjugé. C'eft que nous avons une pente naturelle à vouloir connoître les chofes par des exemples & des comparaifons, parce que, fi on y prend garde, on reconnoîtra que l'on a toujours de la peine à croire ce qui eft fingulier, & dont on ne peut donner d'exemple. Lors donc que les hommes ont commencé à s'apercevoir que nous voïons les choles par l'efprit, au lieu de fe confulter eux-mêmes, & de prendre garde à ce qu'ils voïoient clairement fe paffer dans leur efprit, quand ils connoilloient les chofes ; ils fe font imaginé qu'ils l'entendroient mieux par quelque comparaifon. Et parce que, depuis la plaïe du peché, l'amour que nous avons pour le corps nous y aplique davantage, ce qui nous fait croire que nous connoiffons beaucoup mieux & plus facilement les chofes corpoD

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relles que les fpirituelles ; c'eft dans les corps qu'ils ont cru devoir chercher quelque comparaifon, propre à leur faire comprendre comment nous voïons par l'efprit tout ce que nous concevons, & principalement les chofes materielles. Et ils n'ont pas pris garde que ce n'étoit pas le moïen d'éclaircir, mais plu tôt d'obfcurcir ce qui leur eût été très-clair, s'ils fe fuffent contentez de le confiderer en eux-mêmes. Car l'efprit & le corps étant deux natures tout-à-fait diftinctes, & comme opofées, & dont par confequent les proprietez ne doivent rien avoir de commun, on ne peut que fe brouiller en voulant expliquer l'une par l'autre ; & c'est auffi une des fources les plus generales de nos erreurs de ce qu'en mille rencontres nous apliquons au corps les proprietez de l'efprit, & à l'efprit les proprietez du corps.

Quoiqu'il en foit, ils n'ont pas été affez éclairez, pour éviter cet écueil. Ils ont voulu à toute force avoir une comparaifon prise du corps, pour faire mieux entendre (à ce qu'ils croïoient) & à eux-mêmes & aux autres, comment notre efprit pouvoit voir les chomaterielles. Car c'eft ce qu'ils trouvoient, & ce qu'on trouve encore de plus difficile à comprendre. Et ils n'ont pas cu de peine à la trouver. Elle s'eft offerte comme d'elle-même, par cette autre prévention qu'il doit y

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avoir au moins beaucoup de reffemblance entre les chofes qui ont un même nom, Or ils avoient donné comme j'ai déja remarqué, le même nom à la vue corporelle & à la vuë fpirituelle, & c'est ce qui les a fait raisonner ainfi: Il faut qu'il fe paffe quelque chofe d'àpeu près femblable dans la vuë de l'efprit que dans la vuë du corps: or dans cette derniere nous ne pouvons voir que ce qui eft present, c'est-à-dire, ce qui eft devant nos yeux; ou fi nous voïons quelquefois les choses qui ne font pas devant nos yeux, ce n'eft que par des images qui nous les reprefentent: il faut donc que c'en foit de même dans la vuë de l'efprit. Il ne leur en a pas falu davantage pour fe faire un principe certain de cette maxime: Que nous ne voïons par notre efprit que les objets qui font prefens à notre ame: ce qu'ils n'ont pas entendu d'une prefence objective, felon laquelle une chofe n'eft objectivement dans notre efprit, que parce que notre efprit la connoît ; de forte que ce n'eft qu'exprimer la même chofe diverfement que de dire qu'une chose eft objectivement dans notre efprit, (& par conféquent lui eft prefente) & qu'el le eft connue de notre efprit. Ce n'eft pas ainfi qu'ils ont pris ce mot de prefence; mais ils l'ont entendu d'une prefence préalable à la perception de l'objet, & qu'ils ont jugée neceffaire afin qu'il fût en état de pouvoir être

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aperçu comme ils avoient trouvé, à ce qu'il leur fembloit, que cela étoit néceffaire dans la vue. Et de là ils ont paffé bien vite dans l'autre principe: Que tous les corps, que notre ame connoît, ne pouvant pas lui être prefens par eux mêmes, il faloit qu'ils lui fuffent prefens par des images qui les reprefentaffent. Et les Philofophes fe font encore plus fortifiez que le peuple dans cette opinion, parce qu'ils avoient la même penfée au regard de la vue corporelle, s'étant imaginé que nos yeux mêmes n'aperçoivent leurs objets, que par des images qu'ils ont apellé des efpeces intentionnelles, dont ils croioient avoir une preuve. convaincante, par ce qui arrive dans une chambre, lorsque l'aiant toute fermée à la referve d'un feul trou, & ayant mis au-devant de ce trou un verre en forme de lentille, on étend derriere à certaine diftance un linge blanc, fur qui la lumiere, qui vient de dehors, forme ces images, qui reprefentent parfaitement à ceux qui font dans la chambre les objets de dehors, qui font vis-à-vis.

Ils ont donc reçu encare cet autre principe comme inconteftable; que l'ame ne voit les corps que par des images ou efpeces qui les reprefentent. Et ils ont tiré de-là diférentes conclufions, felon leur diférente maniere de philofopher, & quelques-uns de fort méchantes.

chantes. Car voici comme raifonne M. Gaffendi, ou plutôt ceux dont il propofe les penfées comme des objections, aufquelles il fouhaitoit que M. Defcartes fatisfit: Notre ame ne connoît les corps que par des idées qui les reprefentent or ces idées ne pouroient pas reprefenter des chofes materielles & étendues, fielles n'étoient elles-mêmes materielles & étendues elles le font doncs mais afin qu'elles fervent a l'ame à connoître les corps, il faut qu'elles foient prefentes à l'ame ; c'est-à-dire,qu'elles foient reçues dans l'ame: or ce qui eft étendu,ne peut être reçu que dans une chafe étenduë: donc il faut que l'ame fait étendue, & par confequent corporelle. Quelque damnable que foit cette conclufion, je ne vois pas qu'il foit facile dene la pas admettre, fi on en admet les principes, ce qui doit faire juger que ces principes ne fauroient être vrais.

Néanmoins les autres Philofophes, qui auroient eu horreur d'une telle confequence, ont cru l'éviter, en difant que ces idées des corps font d'abord materielles & étendues, mais qu'avant que d'être reçues dans l'ame elles font fpiritualifées, comme les matieres groffieres fe fubtilifent en paffant par l'alembic, Je ne fai s'ils fe fervent de cette comparaison, mais c'eft à quoi revient ce qu'ils difent, • que les idées des corps, qu'ils apellent especes impreffes, étant d'abord mate

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