d'éviter dans les fciences naturelles beaucoup d'erreurs, aufquelles on s'engage fouvent fans y penfer,

La i, eft de commencer par les chofes les plus fimples & les plus claires, & qui font telles qu'on n'en peut douter pourvu qu'on falle attention,

La 2. de ne point broüiller ce que nous connoiffons clairement, par des notions confufes dont on voudroit que nous nous fervif fions pour l'expliquer davantage ; car ce feroit vouloir éclairer la lumiere par les tenebres,

La 3. eft de ne chercher point de raisons à l'infini, mais de demeurer à ce que nous favons être de la nature d'une chofe, ou en être certainement une qualité comme on ne doit point demander de raison pourquoi l'étendue eft divisible, & que l'efprit eft capable de penfer, parce que la nature de l'étendue eft d'être divifible, & que celle de l'efprit eft de penser.

La 4. eft de ne point demander de définitions des termes qui font clairs d'eux-mêmes, & que nous ne pourions qu'obfcur çir en les voulant définir, parce que nous ne pourrions les expliquer que par de moins clairs. Tels font les mots de penfer & d'être dans cette propofition: Je penfe, donc je fuis, De forte que c'étoit une fort méchante objection

que

jection que celle qui fut faite à M. Defcartes en ces termes dans les fixiémes objections: Afin que vous fachiez que vous pensez, & que vous puiffiez conclure de là que vous êtes, vous devez favoir ce que c'est que penfer, & ce c'eft qu'être : & ne fachant pas encore ni l'un ni l'autre, comment pouvez-vous étre certain que vous êtes ; puisqu'en difant je penfe, vous ne favez ce que vous dites, & que vous le favez auffi peu en difant: Dona je fuis. A quoi M. Defcartes a répondu qu'il n'y a perfonne, qui ne fache affez ce que c'est que penser, & ce que c'est qu'étre, fans avoir befoin qu'on lui ait jamais défini ces mots, pour être très-affuré qu'il ne fe trompe pas, quand il dit: Fe penfe, donc je fuis.

La 5. eft de ne pas confondre les queftions, où on doit répondre par la cause formelle, avec celles, où on doit répondre par la caufe efficiente ; & de ne pas demander de cause formelle de la caufe formelle , ce qui est une fource de beaucoup d'erreurs, mais répondre alors par la caufe efficiente. On entendra mieux cela par un exemple. On me demande pourquoi ce morceau de plomb eft rond, je puis répondre par la définition de la rondeur, (ce qui eft répondre par la cause formelle ) en disant que c'eft parce que, fi -on conçoit des lignes droites, tirées de tous

les

des points de la furface que l'on voudra à un certain point du dedans de ce morceau de plomb, elles font toutes égales. Mais, fi on continue à demander d'où vient que la furface exterieure de ce plomb eft telle que je viens de dire, & qu'elle n'eft pas disposée comme elle devroit être afin que ce plomb fût en cube, un Peripateticien en cherchera une autre caufe formelle, en difant que c'est à cause que ce plomba reçu une nouvelle qualité apellée rondeur, qui a été tirée du fein de fa matiere pour le rendre rond, & qu'il n'a pas une autre qualité qui l'auroit déterminé à être cube. Mais le bon fens doit faire répondre par la cause efficiente, endifant que la furface exterieure de ce morceau de plomb eft telle que l'on vient de dire, parce qu'étant fondu il a été jetté dans le moule creux, dont la furface concave étoit telle qu'il faloit pour rendre la convexe du plomb telle qu'il faloit, afin que de tous fes points, &c.

La 6. eft de prendre bien garde de ne pas concevoir les efprits comme les corps, ni les corps comme les efprits, en attribuant aux uns ce qui ne convient qu'aux autres comme quand on attribue aux corps la crainte du vuide, & aux efprits d'avoir befoin de la prefence locale de leurs objets pour les apercevoir

La 7. de ne pas multiplier les êtres fans néceffité, ainfi qu'on fait fi fouvent dans la Philofophie ordinaire comme lorfque, par exemple, on ne veut pas que les divers arrangemens & configurations des parties de la matiere fuffifent pour faire une pierre, de l'or, du plomb, du feu, de l'eau, s'il n'y a encore une forme fubftantielle de pierre, d'or, de plomb, de feu, d'eau, réellement diftinguée de tout ce que l'on peut concevoir d'arrangemens & de configurations des parties de la matiere.

Il reste maintenant de faire voir ce que je croi qu'on peut trouver facilement, en fuivant ce peu de regles touchant la maniere dont nous devons concevoir nôtre ame & fes operations, quant à l'une de fes facultez, qui eft l'entendement.

CHAPITRË I I.

Des principales chofes

que

chacun peut connoître de fon ame en fe confultant foi-même

avec un peu

S'Aint

d'attention.

Aint Auguftin a reconnu long-tems avant M. Descartes, que pour découvrir la verité nous ne pouvions commmencer par rien de plus certain que par cette propofition: Fe penfe, donc je fuis: Et il raporte à je pense

toutes

toutes les diferentes manieres dont nous penfons, foit en fachant certainement quelque chofe, ce qu'il apelle intelligere, foit en doutant, foit en nous reffouvenant. Car il eft certain, dit-il, que nous ne pouvons rien faire de tout cela, que nous n'ayons en même teins des preuves certaines de notre existence. Et il conclut de-là qu'afin que l'ame fe connoiffe, elle n'a qu'à fe feparer des chofes, qu'elle peut feparer de fa pcnfée, & que ce qui reftera fera ce qu'elle est: c'est-à-dire, que l'ame ne peut être autre chofe qu'une fubftance qui penfe, ou qui eft capable de penfer. Il s'enfuit de-là que nous ne pouvons bien connoître ce que nous fommes, que par une ferieuse attention à ce qui fe paffe en nous; mais qu'il faut pour cela prendre un foin particulier de n'y rien mêler dont nous ne foyons certains, en nous consultant nous-mêmes, quand nous trouverions de la dificulté à l'expliquer par des mots, qui n'ayant ordinairement été inventez que par des hommes, qui n'étoient attentifs qu'à ce qui fe paffoit dans leur corps, & dans ceux qui l'environnoient, n'ont été gueres propres à attacher les operations de leur efprit à des fens particuliers, qui nous fufsent une occafion d'y penser.

Or, quand notre efprit, étant délivré des préjugez de l'enfance, est arrivé jusqu'à

B

connoître