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heureufe: car tous les hommes n'aspirent qu'à être heureux : & fur ce pointlà nous fommes d'accord votre frère & moi. Il faut donc voir, fi elle le peut : elle le promet du moins. Car fans cela Platon auroit-il voyagé en Egypte, afin d'apprendre des Prêtres barbares, & l'Arithmétique, & l'Aftronomie? Auroit-il été après cela chercher Archytas à Tarente; & auroit-il été enfuite à Locres voir tous les autres Pythagoriciens, Echecrate, Timée, & Acrion; afin que quand il auroit tiré de Socrate tout ce qu'il pourroit, il y ajoûtât de plus la fcience des Pythagoriciens, & qu'il apprêt d'eux ce que Socrate ne fe foucioit pas de favoir? Pourquoi Pythagore lui-même voyagea-t-il en Egypte, & alla-t-il voir enfuite les Mages de Perfe? Pourquoi fit-il tant de voyages à pied dans des régions barbares ; & pourquoi traverfa-t-il tant de mers? Pourquoi Démocrite a-t-il fait pareillement tant de voyages? Qu'il foit vrai ou non qu'il fe foit crevé les yeux, il eft certain que pour être moins détourné de ses profondes méditations, il négligea entiérement le foin de fon patrimoine; & qu'il laiffa fes terres incultes, le tout pour chercher à vivre

heureux: car encore qu'il crût que la connoiffance des chofes pouvoit rendre heureux; il vouloit, par la recherche & par l'étude de la nature, parvenir à cette égalité d'ame, que tantôt il appelle ευθυμία, tantot Ταραξία; & dans laquelle il met le fouverain bien, qu'il fait confifter à avoir l'efprit libre de toute frayeur. Tout ce qu'il imagina pourtant d'excellent, il ne le mit pas alors dans fa perfection; & il a même dit fort peu de chofes de la vertu, & qui ne font pas affez développées. Elles furent enfuite examinées dans Athé nes par Socrate; & puis agitées dans le lieu même où nous fommes maintenant; & jamais on n'a révoqué en doute que toute l'efpérance d'une vie fage & heureuse ne dût être uniquement fondée fur la vertu. Zénon, après avoir appris toutes ces chofes-là de nos gens, a fait comme on a accoûtumé de faire dans les caufes judiciaires. Il a dit les mêmes chofes en d'autres termes. Et voilà ce que vous approuvez en lui, d'avoir évité par le changement des termes l'efpèce de contrariété que vous nous reprochez; & que nous ne pou vons éviter avec ceux dont nous nous fervon. sIl dit que la vie de Métellus

n'eft pas plus heureuse que celle de Ré gulus; mais qu'elle y eft préférable : qu'elle n'eft pas plus à rechercher, mais qu'il faut plûtôt la prendre, & que fi on avoit le choix des deux, il faudroit choifir celle de Métellus, & rejetter celle de Régulus. Moi j'appelle plus heureuse la vie qu'il appelle préférable, & qu'il dit qu'il faudroit choifir; mais je ne lui attribuë quoi que ce foit de plus que les Stoïciens : la différence qu'il y a entre nous, c'eft que j'appelle les chofes par des noms connus; & qu'eux ils cherchent de nouveaux noms pour ne dire que la même chose. Comme il y a toûjours dans le Sénat quelqu'un qui demande un interpréte; aussi il faudroit toûjours un interprete avec ces gens-ci. J'appelle bien, tout ce qui eft felon la nature; & mal, tout ce qui y eft contraire : & ce n'est pas moi feu lement qui parle de la forte; vous parlez auffi de même, vous, Chryfippe, quand vous êtes chez vous, ou dans la place publique. Dès que vous êtes dans votre école, vous faites des définitions recherchées: pourquoi cela? & pourquoi faut-il que les Philofophes parlent autrement que les autres hommes ? Qu'à la bonne heure ils parlent autre

ment à l'égard des chofes fur lefquelles les ignorans & les favans ne conviennent pas. Mais quand les Savans conviennent entre eux du mérite d'une chose, ne faudroit-il pas, s'ils étoient hommes, qu'ils fe ferviffent des termes dont on a accoûtumé de fe fervir? Que les Stoïciens inventent cependant tels termes qu'il leur plaira, pourvû que les chofes foient toûjours au fond les mê

mes.

Mais afin que vous ne me difiez pas davantage que je fors toûjours de la queftion, je viens au reproche de contradiction que vous me faites. Celle que vous mettez dans les paroles, je croyois qu'elle fût dans les chofes. Et vous demeurerez d'accord qu'elle y eft, fi vous convenez de ce que les Stoïciens difent comme nous, Que la force de la vertu eft telle, que tout étant mis d'un autre côté, tout ne paroît rien au prix. Lors donc que tout ce qu'ils appellent des chofes commodes qu'on peut prendre, qu'on peut choifir, & qu'ils définiffent dignes qu'on en faffe quelque cas. Quand, dis-je, tout ce qu'ils appellent de tant de façons, tantôt par des mots nouveaux qu'ils forgent, tantôt par d'autres qui ne difent rien que ce

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que nous difons: ( car qu'importe de rechercher ou de choisir ? je trouve même que choifir dit quelque chofe de plus) Enfin quand toutes ces chofes-là je les aurois appellées des biens à rechercher, il n'eft queftion que de voir fi je dis que ce font de grands biens, qu'il faille rechercher avec ardeur : mais fi en les appellant des biens, je ne les eftime pas davantage que celui qui les appelle des chofes produites; & que je ne les croie pas plus dignes de recherche qu'il les croit dignes de choix ; il faut néceffairement qu'ils difparoiffent tous également devant la vertu, comme de foibles lumiéres devant les rayons du Soleil, Mais, direz-vous, une vie accompagnée de quelque mal ne peut être heureufe: ni une moiffon non plus, quelque fertile qu'elle foit, s'il s'y ren contre quelque mauvaise herbe: ni le commerce d'un marchand, quelque utile qu'il lui puisse être, ne pourra pas non plus être regardé comme avanta geux, fi parmi de grands gains il lui arrive de faire quelque perte. C'eft dans toutes les chofes du monde, & principalement dans ce qui regarde le cours de la vie, que la partie la plus confidérable doit faire juger du tout. Et peut

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