Imágenes de páginas
PDF
EPUB

qu'ils en favent eft le nom qu'on leur donne lorfqu'ils font reçus dans le Monaftere. Il n'y a que l'Abbé & les premiers Supérieurs qui ayent connoiffance de tout le refte. Il arrive de-là, qu'il y a entr'eux une égalité parfaite, & qu'ils ne font point tentés de fe préférer les uns aux autres, parce qu'ils n'ont aucune connoiffance des chofes qui ont introduit la diftinction, & la préférence des hommes. Ainfi comme d'un côté, ils ne voient dans leurs Freres que de grands exemples de vertu, qu'ils n'ont même aucun lieu d'en foupçonner les défauts, & que de l'autre l'Abbé a une attention continuelle à leur infpirer de l'eftime, de la confidération, & de l'amour les uns pour les autres, cette conduite a établi parmi eux une paix profonde, une charité parfaite que rien n'eft capable de détruire. Deux chofes foutenoient cette eftime & cet amour réciproque, l'égalité que l'Abbé gardoit à leur égard, l'honnêteté & la civilité, avec laquelle ils les obligeoit de vivre les uns avec les autres. Les moindres marques de familiarité font abfolument bannies de la Trappe, & les Freres n'ont aucun commerce enfemble, qui ne foit aç

compagné de confidération & de refpect.

L'Abbé étoit fi perfuadé des bons effets de ce filence rigoureux qu'on garde à la Trappe, & il étoit fi convaincu qu'il étoit le principal appui de toute la régularité de fon Monaftere, qu'on lui a oui dire fouvent, que quand par des raifons qu'il ne pouvoit prévoir, il feroit obligé de relâcher quelque chose de la premiere auftérité, il ne confentiroit jamais qu'on donnât la moindre atteinte à la pratique du filence, & qu'on eût fur cela la plus légere condefcendance.

L'Abbé de la Trappe qui étoit un des plus éclairés Directeurs que Dieu ait donné à fon Eglife, avoit encore remarqué un défaut, qui n'eft que trop ordinaire dans la conduite des ames. C'eft de régler tout le monde felon les mêmes maximes, au lieu que la diverfité des efprits, & des caracteres demande fouvent des conduites différentes. La difcipline extérieure de la Trappe étoit la même pour tous fes Religieux, tous y faifoient & s'abftenoient des mêmes chofes. La conduite intérieure & particuliere étoit différente felon le génie, & le caractere de ceux

qu'il avoit à gouverner. Il avoit même une maxime à laquelle on ne peut faire trop d'attention; c'eft qu'il falloit fuivre l'attrait de Dieu, & fe régler für les impreffions que le Saint Efprit fait fur les cœurs ; il eft vrai qu'il faut beaucoup de lumiere, pour ne s'y pas tromper; mais quand on n'a aucun lieu d'en douter, on ne peut-être trop attentif à les feconder. De-là venoit qu'il permettoit quelquefois à de certains Religieux des austérités particulieres qu'il défendoit aux autres, & qu'il ne portoit pas tous fes Freres à une égale perfection; il étoit attentif aux mouvements de la grace, il n'étoit appliqué qu'à les fuivre .Il eft vrai que cette application eft pénible, & que pour y réuffir, il faut une vigilance infatigable. Mais il fe regardoit comme dévoué au falut de fes Religieux, c'étoit fa grande & fon unique affaire.

Cependant, comme il avoit beaucoup plus de zele que de forces, il fes fentit à la fin fi accablé, qu'il en tomba malade. Quoiqu'il n'eût aucun lieu de douter que fes auftérités, & fa continuelle application aux befoins de fes Freres, étoient l'unique caufe de fa maladie, il ne fut pas plutôt guéri

qu'il reprit tous fes exercices, avec cette même ferveur qui lui avoit pensé coûter la vie. Il eft vrai que fes forces étant fort diminuées, il ne put plus travailler avec la même ardeur, & auffi long-temps qu'auparavant. Mais il récompenfa ce qu'il croyoit être un vuide dans fa pénitence, en s'occupant aux ouvrages les plus bas, & les plus vils de la Maifon, & quoiqu'il fentît fa poitrine s'affoiblir de plus en plus, il ne laiffa pas de continuer fes exhortations dans le Chapitre, avec une force qui ne pouvoit être foutenue que par un zele auffi ardent que le fien.

C

CHAPITRE XV.

l'u

Continuation du même sujet. 'EST par les moyens & par fage des maximes, qu'on vient de rapporter que l'Abbé de la Trappe établit dans fon Monaftere cette pénitence fi édifiante, qui a fanctifié tant de perfonnes de tous états, & qui les fanctifie encore tous les jours. Mais on ne peut fe difpenfer d'ajouter que, quelque autorité qu'il eût dans fon Monaftere, quelque confiance qu'on eût

en lui, quelque amour & quelque vénération qu'on eût pour fa perfonne, il n'a rien établi à la Trappe que du confentement, & même à l'inftante follicitation de tous fes Freres. Il favoit qu'on porte un joug, quelque péfant qu'il puiffe être, d'autant plus volontiers qu'on fe l'eft impofé foi-même, qu'on n'a pas fujet de fe plaindre, quand on n'exige que l'obfervation des loix qu'on s'eft prefcrites, & dont on a demandé l'établiffement. Ainfi quand-il vouloit rétablir quelque pratique de l'ancienne pénitence, ou quelques-uns des premiers Ufages de Cifteaux, il faifoit enforte que fes Freres le vouluffent, & le lui demandaffent avec cette ardeur qu'ils avoient pour tout ce qui étoit capable de contribuer à leur fanctification.

Le moyen le plus ordinaire dont il fe fervoit pour cela, étoit de leur donner de l'eftime, & de l'amour pour toutes ces pratiques faintes, dont leurs Peres leur avoient laiffé l'exemple : il s'attachoit à leur en faire voir l'utilité, & les bénédictions que Dieu y avoit attachées. On ne parloit d'autre chofe dans les Conférences, que des Vies des Peres des déferts, des actions des an

ciens

1

« AnteriorContinuar »