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& il s'étoit fait un style qui, fans être affecté, n'étoit cependant qu'à lui.

Il poffédoit fouverainement les qualités d'Académicien, c'est à-dire d'un homme d'efprit, qui doit vivre avec fes pareils, profiter de leurs lumières, & leur communiquer les fiennes. On n'aime pas tant en ce genre à recevoir qu'à donner, quoiqu'il foit plus difficile de donner comme il faut que de recevoir. Si l'on a de la peine à faire le perfonnage inférieur quand on reçoit, on en a encore plus à ne pas faire celui de fupérieur quand on donne. M. Dodart entendoit parfaitement tous les deux; il propofoit fes vues avec une modeftie qui faifoit prefque en leur faveur l'effet d'une nouvelle preuve ; & il entroit dans ce qui étoit propofé par les autres, comme s'il n'eût fu que ce qu'il apprenoit d'eux en ce moment. Il aimoit à emprunter & à faire valoir leurs idées, & il auroit plutôt affecté que manqué l'occafion de leur en rendre une efpèce d'hommage. Il feroit inutile de faire une plus longue peinture de fes mœurs : tout partoit d'un feul principe; d'un cœur naturellement droit & noble, qui avoit été continuellement cultivé par la Religion.

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ÉLOGE

DE MONSIEUR

DE TOURNEFORT.

J

OSEPH PITTON DE TOURNEFORT naquit à Aix en Provence le 5 Juin 1656, de Pierre Pitton, Ecuyer, Seigneur de Tournefort, & d'Aimare de Fagoue d'une famille noble de Paris.

On le mit au Collége des Jéfuites d'Aix: mais quoiqu'on l'appliquât uniquement, comme tous les autres Ecoliers, à l'étude du Latin, dès qu'il vit des Plantes, il fe fentit Botanifte; il vouloit favoir leurs noms; il remarquoit foigneufement leurs différences; & quelquefois il manquoit à fa Claffe, pour aller herborifer à la campagne, étudier la Nature, au lieu & pour de la langue des anciens Romains. La plupart de ceux qui ont excellé en quelque genre n'y ont point eu de Maître. Il

apprit de lui-même en peu de temps à

connoître les Plantes des environs de fa Ville.

Quand il fut en Philosophie, il prit

peu de goût pour celle qu'on lui enfeignoit. Il n'y trouvoit point de Nature qu'il fe plaifoit tant à obferver; mais des idées vagues & abftraites, qui fe jettent, pour ainfi dire, à côté des chofes, & n'y tou chent point. Il découvrit dans le cabinet de fon père la Philofophie de Defcartes, peu fameufe alors en Provence, & la reconnut auffi-tôt pour celle qu'il cherchoit. Il ne pouvoit jouir de cette lecture que par furprise & à la dérobée, mais c'étoit avec d'autant plus d'ardeur; & ce père, qui s'oppofoit à une étude fi utile, lui donnoit fans y penfer une excellente éducation.

Comme il le deftinoit à l'Eglife, il le fit étudier en Théologie, & le mit même dans un Séminaire. Mais la deftination naturelle prévalut; il falloit qu'il vît des Plantes: il alloit faire fes études chéries, ou dans un jardin affez curieux qu'avoit un Apoticaire d'Aix, ou dans les campagnes voisines, ou fur la cime des rochers; il pénétroit par adreffe ou par préfens dans tous les lieux fermés, où il pouvoit croire qu'il y avoit des Plantes qui n'étoient pas ailleurs: fi ces fortes de moyens ne réuffiffoient pas, il fe réfolvoit plutôt à y entrer furtivement; & un jour il penfa être accablé de pierres par des Paysans qui le prenoient pour un voleur.

Il n'avoit guère moins de paffion pour l'Anatomie & pour la Chymie que pour la Botanique. Enfin la Phyfique & la Médecine le revendiquèrent avec tant de force fur la Théologie, qui s'en étoit mise injuftement en poffeffion, qu'il fallut qu'elle le leur abandonnât. Il étoit encouragé par l'exemple d'un oncle paternel qu'il avoit, Médecin fort habile & fort eftimé; & la mort de fon père, arrivée en 1677, le laiffa entièrement maître de fuivre fon inclination.

Il profita auffi-tôt de fa liberté, & parcourut en 1678 les montagnes de Dauphiné & de Savoie, d'où il rapporta quantité de belles Plantes sèches, qui commencèrent fon herbier.

La Botanique n'eft pas une fcience fédentaire & pareffeufe, qui fe puifle acquérir dans le repos & dans l'ombre d'un cabinet, comme la Géométrie & l'Hiftoire, ou qui tout au plus, comme la Chymie, l'Anatomie & l'Aftronomie, ne demande que des opérations d'affez peu de mouvement. Elle veut que l'on coure les montagnes & les forêts, que l'on graviffe contre des rochers efcarpés, que l'on s'expofe aux bords des précipices. Les feuls Livres qui peuvent nous inftruire à fond de cette matière, ont été jettés au hasard

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fur toute la furface de la terre ; & il faut fe réfoudre à la fatigue & au péril de les chercher & de les ramaffer. De-là vient auffi qu'il eft fi rare d'exceller dans cette fcience: le degré de paflion qui fuffit pour faire un Savant d'une autre efpèce, ne fuffit pas pour faire un grand Botaniste; & avec cette palion même, il faut encore une fanté qui puiffe la fuivre, & une force de corps qui y réponde. M. de Tournefort étoit d'un tempérament vif, laborieux, robufte; un grand fonds de gaieté naturelle le foutenoit dans le travail, & fon

corps, auffi-bien que fon efprit, avoit été fait pour la Botanique.

En 1679, il partit d'Aix pour Montpel lier, où il fe perfectionna beaucoup dans l'Anatonie & dans la Médecine. Un Jardin des Plantes établi en cette Ville par Henri IV, ne pouvoit pas, quelque riche qu'il fût, fatisfaire fa curiofité; il courut tous les environs de Montpellier à plus de dix lieues, & en rapporta des Plantes inconnues aux gens même du Pays. Mais ces courfes étoient encore trop bornées: il partit de Montpellier pour Barcelone au mois d'Avril 1681; il paffa jufqu'à la Saint-Jean dans les montagnes de Catalogne, où il étoit fuivi par les Médecins du Pays, & par les jeunes Etudians en Mé

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