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1705. Il n'y a pas encore fort long-temps que tous les raifonnemens de Chymie n'étoient que des espèces de fictions poëtiques, vives, animées, agréables à l'imagination, inintelligibles, & infupportables à la raifon. La faine Philofophie a paru, qui a entrepris de réduire à la fimple méchanique corpufculaire cette Chymie mystérieuse, & en quelque façon fi fière de fon obfcurité. Cependant il faut avouer qu'il lui refte encore chez quelques Auteurs des traces de fon ancienne Poëfie, défunions prefque volontaires des combats qui ne font guère fondés que fur des inimitiés, & quelques autres qui peuvent ne pas convenir au févère méchanifme. M. Guglielmini paroît avoir eu une extrême attention à ne leur pas permettre de fe gliffer dans fa Differtation chymique: il y rappelle tout avec rigueur aux règles d'une Phyfique exacte & claire; & pour épurer la Chymie encore plus parfaitement, & en entraîner toutes les faletés, il y fait paffer la Géométrie. Le fondement de tout l'Ouvrage eft que les premiers principes du fel commun du vitriol, de l'alun & du nitre, ont par leur première création des figures fixes & inaltérables, & font indivifibles à l'égard de la force déterminée qui eft dans la matière.

Le fel commun primitif eft un petit cube, le fel du vitriol un parallélipipède rhomboïde, celui du nitre un prifme qui a pour bafe un triangle équilatéral, celui de l'alun une pyramide quadrangulaire. De ces premières figures viennent celles qu'ils affectent conftamment dans leurs cryftallifations, pourvu qu'on les tienne auffi exempts qu'il fe puiffe de tout mêlange & de tout trouble étranger. Quand il s'agit de l'action des fels, M. Guglielmini examine géométriquement & méchaniquement les propriétés de ces figures par rapport au mouvement, & en vient à un détail affez curieux & fort nouveau dans un Traité de Chymie. Il ne rapporte pas d'expériences ni d'observations nouvelles qu'il ait faites; il établit son systême fur celles des plus fameux Auteurs, parmi lefquels il cite fouvent les Confrères qu'il avoit dans cette Académie, Mrs Homberg, Lémery, Boulduc, Geoffroy. En un mot, ce n'eft pas tant la Chymie qui domine dans ce Traité, que la Géométrie, & ce qui vaut encore mieux, l'efprit géométrique.

Quand on achevoit l'impreffion de ce Livre, il reçut l'Hiftoire de l'Académie de 1702. Il trouva un fentiment de M. Homberg tout oppofé au fien, que les figures

conftantes des fels acides dans leurs cryf tallifations ne viennent pas des premières particules qui les compofent, mais des alkalis avec lefquels ils font unis. Il avoue qu'il eut peur que l'autorité d'un fi grand Chymifte ne fût feule fuffifante pour renverfer tout fon Systême; & il se hâta de le mettre à couvert par une réponse qui, pour être fort honnête & polie, ne perd rien de fa force, & peut-être en a davantage.

Il fit encore deux Ouvrages de Phyfique; l'un intitulé: Exercitatio de Idearum vitiis, correctione & ufu, ad ftatuendam & inquirendam morborum naturam, en 1707; & l'autre, De principio Sulphureo, en 1710; & ce qui eft fort glorieux pour lui, la date de ce dernier Ouvrage eft celle de fa mort. Sa vie entière a été dévouée aux Sciences. Ceux qui les aiment avec moins d'emportement pourroient lui reprocher fes excès, qui à la vérité ruinèrent en lui un tempérament très - robuste, mais qui cependant ne peuvent être blâmés qu'avec refpect. Il avoit cet extérieur que le Cabinet donne ordinairement, quelque chofe d'un peu rude & d'un peu fauvage, du moins pour ceux à qui il n'étoit pas accoutumé. Il mé prifoit, dit le Journal des Savans d'Italie, cette politeffe fuperficielle dont le monde fe contente, & s'en étoit fait une autre qui étoit toute dans son cœur,

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ÉLOGE

DE M. CARRÉ. LOUIS CARRÉ naquit le 26 Juillet 1663 d'un bon Laboureur de Clofontaine, près de Nangis, en Brie. Son père le fit étudier pour être Prêtre; mais il ne s'y fentit point appelé. Il fit cependant par obéiffance trois années de Théologie, au bout defquelles, comme il refufoit toujours d'entrer dans les Ordres, fon père ceffa de lui fournir ce qui lui étoit néceffaire pour fubfifter à Paris. Affez fouvent on fe fait Eccléfiaftique pour fe fauver de l'indigence: il aima mieux tomber dans l'indigence que de fe faire Eccléfiaftique. On pourra juger par le reste de fa vie, que l'extrême oppofition qu'il avoit pour cet état n'étoit fondée que fur ce qu'il en connoiffoit trop bien les devoirs. La même caufe qui l'en éloignoit l'en rendoit digne.

Sa mauvaise fortune produifit un grand 'bien. Il cherchoit un afile, & il en trouva un chez le P. Mallebranche, qui le prit pour écrire fous lui. De la ténébreuse Philofophie fcholaftique, il fut tout-d'un

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coup transporté à la fource d'une Philofophie lumineufe & brillante; là il vit tout changer de face, & un nouvel Univers lui fut dévoilé. Il apprit fous un grand Maître les Mathématiques & la plus fublime Métaphyfique; & en même temps il prit pour lui un tendre attachement qui fait l'éloge & du Maître & du Difciple. M. Carre fe dépouilla fi bien des préjugés ordinaires, & fe pénétra à tel point des principes qui lui furent enfeignés, qu'il fembloit ne plus voir par fes yeux, mais par fa taifon feule; elle prit chez lui la place & toute l'autorité des fens. Par exemple, il ne croyoit point que les bêtes. fuffent de pures machines, comme on le peut croire par un effort de raisonnement, & par la liaison d'un Systême qui conduit là, il le croyoit comme on croit communément le contraire, parce qu'on le voit, ou qu'on penfe le voir.

La perfuafion artificielle de la Philofophie, quoique formée lentement par de longs circuits, égaloit en lui la perfuafion la plus naturelle, & caufée par les impreffions les plus promptes & les plus vives. Ce qu'il croyoit il le voyoit, au lieu que les autres croient ce qu'ils voient.

Cependant il eft encore infiniment plus facile d'être intimément perfuadé des

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