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En 1708, le Pape nomma M. Poli premier Ingénieur dans les Troupes que Sa Sainteté avoit levées contre l'Empereur. Il eft rare qu'un Chymifte, accoutumé à fon paifible laboratoire, en forte pour aller faire dans des Armées des opérations périlleufes. La campagne finie, il alla à Venife, où la renommée lui avoit préparé chez les Savans & chez les Principaux de la République une réception honorable.

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Le Prince Cibo, Duc de Maffa, l'appela auprès de lui en 1712, pour exami ner des mines qu'il avoit dans fes Terres & voir ce qui s'en pourroit retirer. M. Poli trouva des mines très - abondantes, foit de cuivre, foit de vitriol verd, & une de vitriol blanc; & le Phyficien ne quitta le Prince qu'après l'avoir enrichi.

Quelque fujet qu'il eût d'être content de fa Patrie, il regardoit la France, à laquelle il tenoit déja par les bienfaits du Roi, ou comme un plus grand Théâtre, ou du moins comme un Théâtre nouveau. Il y revint en 1713 avec l'agrément de Sa Majefté; & il prit ici fa place d'Affocié étranger, qui n'étoit plus furnuméraire, parce qu'en 1703 il avoit eu celle de M. Viviani.

L'efprit qui règne dans l'intérieur de

cette Compagnie, eft un amour fincère de la vérité, peu d'égards & de déférence pour les fimples opinions, une affez grande liberté de contredire, néceffaire pour la communication des lumières, & honorable à ceux mêmes que l'on contredit; car toute flatterie & toute molle complaifance déshonore fon objet. Les expériences & les faits nouveaux que M. Poli apporta ici, y furent reçus avec une approbation générale; mais comme on n'y connoît encore rien de mieux que la Philofophie corpufculaire, & que les idées qu'il fubftituoit en la place n'étoient pas de l'évidence à laquelle on étoit accoutumé, il eut des contradictions à effuyer fur une Théorie inutile. Il eût pu fe les épargner abfolument en fe renfermant dans les fimples faits; mais il y a un courage d'efprit qui ne s'accommode pas de diimuler le fond de fes penfées. Un Etranger, incertain de fon fort, craintif par fa fituation, plus jaloux qu'un autre de fa réputation par le befoin qu'il en avoit, pouvoit s'alarmer un peu trop de ces libertés académiques; mais enfin ces inquiétudes purent être extrêmement adoucies par de nouvelles marques qu'il reçut de la bonté du Roi. Sa penfion fut augmentée de plus de la moitié en cette

année 1714; & ce qui le touchoit encore plus, c'étoit une augmentation d'hon

neur.

Il commençoit d'ailleurs à être utilement connu dans Paris par des remèdes qu'il favoit faire avec un art particulier. Ainfi se voyant affuré de toutes parts d'un établissement en France, il obéit avec joie à un ordre fupérieur qu'il reçut, de faire venir d'Italie toute fa famille. Sa femme & fes enfans abandonnèrent donc leur maifon de Rome, leurs amis, leurs connoiffances; vendirent tout avec précipitation, & par conféquent avec beaucoup de perte; fe mirent fur la mer, où ils fouffrirent beaucoup ; & enfin, après toutes les fatigues d'un long voyage, ils arrivèrent à Paris le 28 Juillet, où ils trouvèrent M. Poli malade à l'extrémité

d'une groffe fièvre, qui ne parloit déja plus, qui ne les reconnut qu'à peine, & qui mourut le lendemain. Jamais famille n'a été frappée d'un coup plus imprévu, ni dans des circonftances plus douloureufes.

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ÉLOGE

DE M. MORIN. LOUIS MORIN naquit au Mans le 11 Juillet 1635; fon père, Contrôleur au Grenier à Sel de la Ville, & fa mère, étoient tous deux d'une grande piété. Il fut l'aîné de feize enfans, charge peu proportionnée aux facultés de la maison, & qui auroit effrayé des gens moins résignés à la Providence.

Ils donnèrent à l'éducation de M. Morin tous les foins que leur fortune leur permit, & que la Religion leur demanda. Dès qu'il put marquer une inclination, il en marqua pour les Plantes. Un paysan qui en venoit fournir les Apothicaires de la Ville, fut fon premier Maître. L'enfant payoit fes leçons de quelque petite monnoie, quand il pouvoit, & de ce qui devoit faire fon léger repas d'après - dîné. Déja avec le goût de la Botanique, la libéralité & la fobriété commençoient à éclore en lui, & une inclination indifférente ne fe développoit qu'accompagnée de ces deux vertus naiffantes.

Bientôt il eut épuifé tout le favoir de fon Maître, & il fallut qu'il allât herborifer lui-même aux environs du Mans, & y chercher des Plantes nouvelles. Quand il eut fait fes Humanités, on l'envoya à Paris pour la Philofophie. Il y vint, mais en Botanifte, c'est-à-dire à pied. Il n'avoit garde de ne pas mettre le chemin à profit.

Sa Philofophie faite, fa paffion pour les Plantes le détermina à l'étude de la Médecine. Alors il embraffa un genre de vie que l'oftentation d'un Philosophe ancien, ou la pénitence d'un Anachorète, n'auroient pas furpaffé. Il fe réduifit au pain & à l'eau; tout au plus fe permettoit-il quelques fruits. Par-là il fe maintenoit l'efprit plus libre pour l'étude, & toujours également & parfaitement libre; car l'ame n'avoit nul prétexte de fe plaindre de la matière: il donnoit à la confervation de fa santé tout le foin qu'elle mérite, & qu'on ne lui donne jamais; il fe ménageoit beaucoup d'autorité pour prêcher un jour la diete à fes malades; & fur-tout il fe rendoit riche malgré la fortune, non pas pour lui, mais pour les Pauvres, qui feuls profitoient de cette opulence artificielle, plus dificile que toute autre à acquérir. On peut aifément croire que puifqu'il pratiquoit au milieu

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