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ELOGE

DU PÈRE MALEBRANCHE. NICOLAS MALEBRANCHE naquit

à Paris le 6 Août 1638 de Nicolas Malebranche, Secrétaire du Roi, Tréforier des cinq groffes Fermes fous le Ministère du Cardinal de Richelieu, & de Cathérine de Lauzon, qui eut un frère Viceroi du Canada, Intendant de Bordeaux, & enfin Confeiller d'Etat. Il fut le dernier de dix enfans. Un de fes aînés mourut en 1705 Confeiller de la Grand'Chambre, & fort eftimé dans le Parlement.

Ce cadet, d'une fi nombreufe famille, fut fort difficile à élever, à caufe de la foibleffe de fa complexion, & de fes infirmités continuelles. Il avoit même une conformation particulière, l'épine du dos tortueufe, & le fternon extrêmement enfoncé. Il lui fallut une éducation domeftique ; & il ne fortit de la maifon paternelle que pour faire fa Philofophie au Collége de la Marche, & fa Théologie en Sorbonne. Il les fit en homme d'efprit, mais

non en génie fupérieur. Il s'étoit toujours deftiné à l'état eccléfiaftique, où la Nature & la Grace l'appeloient également ; & pour s'y attacher encore davantage en confervant néanmoins une liberté qui ne lui étoit pas fort nécessaire, il entra dans la Congrégation de l'Oratoire à Paris en 1660.

Il voulut fe mettre dans quelque étude convenable à fa profeffion; & par le confeil du P. le Cointe, fameux Auteur des Annales Ecclefiaftici Francorum, il s'appliqua à l'Hiftoire Eccléfiaftique. Il "commença par lire en Grec Eufebe, Socrate, Sozomène, Théodoret : mais les faits ne fe lioient point dans fa tête les uns aux autres; ils ne faifoient que s'effacer mutuellement, & un travall inutile produifit bientôt le dégoût. Le célèbre M. Simon, qui étoit alors de l'Oratoire & à Paris, voulut attirer à lui, c'est-à-dire à l'Hébreu & à la critique de l'Ecriture Sainte, ce déferteur de l'Hiftoire; & le P. Malebranche entra fous fa conduite dans cette nouvelle carrière peu différente de l'autre : auffi n'y faifoit-il pas encore de grands progrès.

Un jour, comme il paffoit par la rue Saint-Jacques, un Libraire lui présenta le Traité de l'Homme de M. Defcartes, qui venoit de paroître. Il avoit 26 ans,

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& ne connoiffoit Descartes que de nom, & par quelques objections de fes cahiers de Philofophie. Il fe mit à feuilleter le Livre, & fut frappé comme d'une lumière qui en fortit toute nouvelle à fes yeux. Il entrevit une science dont il n'avoit point d'idée, & fentit qu'elle lui convenoit. La Philofophie fcholaftique qu'il avoit eu tout le loifir de connoître ne lui avoit. point fait, en faveur de la Philofophie en général, l'effet de la fimple vue d'un Volume de Descartes : la fympathie n'avoit point joué; l'uniffon n'y étoit point ; cette Philofophie ne lui avoit point paru une Philofophie. Il acheta le Livre, le lut avec empreffement, &, ce qu'on aura peut être peine à croire, avec un tel tranfport, qu'il lui en prenoit des battemens de cœur, qui l'obligeoient quelquefois d'interrompre fa lecture. L'invifible & inutile Vérité n'eft pas accoutumée à trouver tant de fenfibilité parmi les hommes, & les objets les plus ordinaires de leurs paffions fe tiendroient heureux d'y

en trouver autant.

Il abandonna donc abfolument toute autre étude pour la Philofophie de Defcartes. Quand fes Confrères & fes amis, les Critiques ou les Hiftoriens, à qui tout cela paroiffoit bien creux, lui en faifoient

des reproches, il leur demandoit fi Adam n'avoit pas eu la science parfaite ; & comme ils en convenoient felon l'opinion commune des Théologiens, il leur difoit que la fcience parfaite n'étoit donc pas la critique ou l'Hiftoire, & qu'il ne vouloit favoir que ce qu'Adam avoit fu.

:

Il en apprit en peu d'années du moins autant que Defcartes lui-même en favoit; car en Philofophie, plus on pense, plus on fait de progrès, & un homme dans le même temps penfe beaucoup plus qu'un autre mais pour les Sciences de faits, un homme ne lit dans un temps que ce qu'un autre auroit pu lire. Ainfi le génie fait les Philofophes auffi-bien que les Poëtes, & temps fait les Savans. Le P. Malebranche devint fi rapidement Philofophe qu'au bout de dix années de Cartéfianifme, il avoit compofé le Livre de la Recherche de la Vérité.

le

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D'abord, pour fonder le goût du Public, il en laiffa courir le premier Volume manufcrit. M. l'Abbé de Saint-Jacques, homme d'une rare vertu, & qui difpofoit de la Librairie fous M. le Chancelier d'Aligre fon père, le lut, & auffi - tôt en fit expédier le Privilége gratis en 1674.

Ce Livre fit beaucoup de bruit ; & quoique fondé fur des principes déja connus,

il parut original. L'Auteur étoit Cartéfien, mais comme Descartes; il ne paroissoit pas l'avoir fuivi, mais rencontré. Il règne en cet Ouvrage un grand art de mettre des idées abftraites dans leur jour, de les lier enfemble, de les fortifier par leur liaifon. Il s'y trouve même un mêlange adroit de quantité de chofes moins abftraites, qui étant facilement entendues encouragent le Lecteur à s'appliquer aux autres, le flattent de pouvoir tout entendre, & peut-être lui perfuadent qu'il entend tout à-peu-près. La diction, outre qu'elle eft pure & châtiée, a toute la dignité que les matières demandent, & toute la grace qu'elles peuvent fouffrir. Ce n'est pas qu'il eût apporté aucun foin à cultiver les talens de l'imagination; au contraire, il s'eft toujours fort attaché à les décrier: mais il en avoit naturellement une fort noble & fort vive, qui travailloit pour un ingrat malgré lui-même, & qui ornoit la raifon en fe cachant d'elle.

Ce premier Volume de la Recherche de

la Vérité eut trop de fuccès pour n'être pas critiqué. Il le fut par M. Foucher, Chanoine de Dijon, à qui le P. Malebranche répondit dans la Préface du fecond Volume qu'il donna l'année suivante. La Recherche de la Vérité complette n'en

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