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découvre tous les jours par fes dépenfes & fes liberalitez dans les fciences. Quelle fomme méme n'apas offerte pour un feul Auteur !

t-il

Un Grec de Chio, qui poffede le Tite- Livre, apprit il y a quelquetems qu'il fe tenoit en France chez Monfieur le Duc d'Aumont une Conference touchant l'Hiftoire ancienne. Cette nouvelle le fit partir de fon païs pour venir à Paris; dans l'efperance que nôtre Nation, qui reçoit fi bien les Etrangers, lui feroit un accueil d'autant plus favorable, qu'il venoit lui offrir un trefor. Il s'adreffa donc à quelqu'un de l'Affemblée, & fe trouva à la Conference au commencement du printems dernier : c'étoit en l'année 168 2. Le Duc genereux chez qui elle fe tenoit, lui témoigna toute la bienveillance imaginable, & écouta avec joye le récit de fa bonne fortune, & l'offre qu'il y venoit faire de la partager avec nous. Cette propofition étoit trop agreable, & il jugea qu'il falloit le prefenter au Roy; que la récompenfe d'une telle découverte étoit refervée à fes feules liberalitez; que TiteLive qui avoit vécu fous un regne que la fortune & le Dieu des Scien

ces

ces ont rendu fi celebre, devoit re naître par les faveurs d'un Souverain qui fait aujourd'hui le deftin de l'Europe, & le bonheur des Muses. Monfieur le Duc d'Aumont le mena donc auffi-tôt à Verfailles; tant il a d'empreffement de procurer un nou→ vel objet de gloire à nôtre invinci ble Monarque.

Le Roy, admirable en tout, ce Prince né pour ces évenemens finguliers qui rendent aux Lettres, qui procurent à fes peuples tant d'avantages, & qui promettent à fes deffeins une gloire immortelle, reçoit le Grec avec une bonté merveilleufe; & plus magnifique que Tarquin, il accorde fur le champ ce qu'on lui demande, comme fi ce Livre devoit faire le bonheur de fon Empire ; & plus genereux mille fois qu'Heraclius, il ne devient point tumulicide pour ainfi dire TYMBOPONEUTHC, felon l'expreffion de S. Gregoire de Nazianze; il ne tire point un Livre du fein des Sepulchres en y cherchant des trefors comme fit cet EmPlin. pereur, & in fede manium opes que1.37. rendo. Il en répand plûtôt des fiens

& les prodigue avec joye pour des Ecrits où l'éclat de fa grandeur & de

fa

sa biberalité, ont moins de part, que l'utilité de fes fujets.

Il ne faut pas oublier ici que c'est à un Voyageur que nous devons cette découverte, du-moins autant qu'au Grec même. Pietro della Valle l'avoit averti dans la Relation de fes Voyages, qu'il y avoit un Tite-Live entier dans la Bibliotheque Othomane; que le Grand Duc en 1615. avoit négocié long-tems pour l'avoir, & en avoit fait offrir cinq mille Piaftres; que l'Ambassadeur de France, Achiles de Harlay, depuis Evêque de S. Malo, & lui, en avoient fait offrir dix mille écus fous main à l'Efclave qui garde les Livres. Ce Bibliothequaire, ce font les termes, nous l'avoit promis à cette condition; mais le mauvais fort de Tite-Live vent que le Barbare ne l'a fçû trouver, après l'avoir cherché quelques mois, & il n'est pas poffible de s'imaginer ce qu'il est devenu. Voilà ce qu'il en a écrit en a écrit, & je croi qu'il eft plus probable que l'avarice de l'Infidéle qui le promettoit, fut caufe qu'on ne l'eût pas dans ce tems-là, & que l'efperance qu'il eût qu'on augmenteroit la fomme lui fit déguifer la verité. Enfin cinquante ou foixante ans après, le feu, qui

épargne

épargne encore moins que le tems; nous conferva cet Auteur, & nous le donna tout entier. Il fe trouva heureufement à l'endroit du trefor où le feu s'étoit pris. On le jetta avec les autres dans la ruë, pour en empêcher la continuation; & quelque Efclave plus foigneux de ramaffer que d'éteindre, le recueillit apparemment & le vendit aux Grecs. Enfin le nôtre à qui un Caloyer le montra fe fouvint, à ce qu'il m'a dit à moimême, du récit Della Valle. Il reconnut aifément ce trefor: mais voici comment la chofe fe paffa, & de la maniere qu'il me l'a contée.

'Un Prêtre Grec qui étoit fon Compere voulant faire un pelerinage au MONT ATHOS, qui eft la plus celebre devotion du païs, à caufe des vingt-deux Monafteres qu'on y compte, le vint trouver un jour en particulier. Comme il fçavoit qu'il avoit voyagé dans le païs Latin, il lui demanda s'il en entendoit la langue, & lui montra en même tems plufieurs Volumes manufcrits, fur quoi il le conjura de lui prêter quelque argent. Nôtre Grec adroit & de bonne mémoire, voyant un Tite-Live, dont le Volume eft gros, entier & bien con

fervé,

fervé, il le choifit volontiers pour caution de fa fomme, & lui donna fans peine celle qu'il lui avoit demandée. Le Prêtre fit fon voyage, & dépenfa ce qu'il avoit emprunté. Mais fe trouvant à fon retour dans l'impoffibilité de rembourfer fon creancier, il le vint trouver & lui dit qu'il lui laifferoit volontiers le Livre s'il vouloit encore lui donner quelque chofe. Nôtre homme ne se fit point tirer l'oreille & pour huit ou dix Piaftres qu'il accorda liberalement, il fe vit maître du plus heureux trefor, du monde.

Cependant le Caloyer faifant réflexion chez lui fur la liberalité du Grec, qui n'eft pas ordinaire à cette nation, la foupçonna plus interessée que genereufe. Il chercha ce qui pouvoit l'avoir obligé à donner quarante ou cinquante écus pour un Livre ; & rappellant fes idées, & la tradition de l'Hiftorien pour lequel on avoit voulu donner dix mille écus, il vint retrouver en diligence fon acheteur, & lui témoignant le foupçon qu'il avoit, redemanda fon Livre, & lui -dit qu'il étoit prêt de lui en rendre le prix. Nôtre Grec, qui crut l'avoir acheté de bonne foi, ne man

qua

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