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XII.

Les entreprises des ecclefiaftiques fur la jurifdiction Haine des laïques féculiere exciterent les juges laïques à entreprendre de contre le clergé, leur côté comme nous voyons par les plaintes fi frequen

tes dans les conciles du treizième & du quatorziéme fié

cle. L'animofité s'y mit de telle forte, que c'étoit com- Hift. l. LXXXIX. n. me une guerre ouverte ; & c'eft ce qui fait dire à Boni- 43. liv. LXVIII. n. face VIII. au commencement de la bulle Clericis laïcos, ss. que les laïques ont une anciene inimitié contre le clergé. Cette antiquité toutefois n'alloit tout au plus qu'à deux cens ans, & vers le temps d'Arnaud de Breffe: mais en remontant jufques aux cinq ou fix premiers fiécles de l'églife, on auroit trouvé une union édifiante entre le 7%. x111. 35 clergé & le peuple. Il eft vrai que Jesus-Chrift dit, qu'il eft venu exciter une guerre fur la terre; mais c'est entre fes difciples & les infidéles, non pas à l'égard de fes difciples entre eux, & en cette guerre toute la violence eft de la part des infidéles; les Chrétiens ne font que fouffrir fans refifter. Teile devoit être la conduite des ecclefiaftiques c'étoit à eux à faire toutes les avances pour rétablir cette union que Jefus-Chrift avoit tant recommandée, & donée pour marque de ceux qui feroient vé- · ritablement fes difciples : c'étoit aux évêques à s'attirer le refpect & l'affection des peuples par la fainteté de leur vie, leur zele pour le falut de leurs ouailles, le foin de les Matth. +34. inftruire & de leur procurer toutes fortes de biens fpirituels & temporels, leur douceur, leur patience & toutes les autres vertus.

Mais ils prenoient un chemin tout oppofe. Ce n'étoit que fierté, hauteur, plaintes ameres, reproches piquants, menaces, procedures judiciaires, excommunications & autres cenfures: tous moyens, non d'éteindre le feu, mais de l'allumer davantage. Ainfi les laïques irrités de plus en plus, en venoient aux voyes de fait & aux violences ouvertes. Ils arrêtoient les porteurs des lettres ou des ordres des évêques qu'ils leur arrachoient & les déchiroient. Ils prenoient les clercs, les chargeoient de coups, les emprifonoient, les rançonoient & quelquefois les mettoient à mort ; & à tout cela point

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XIII. Inquifition.

Inftitut. de eccl.

par. 3. 6. 9.

Martyr. 29. Aur.

Hift. liv. LXXVI. n. 36.

d'autre remede que des cenfures tant de fois méprifées. Voilà les funeftes effets de cette divifion, caufée principalement par l'extenfion exceffive de la jurifdiction ecclefiaftique.

Outre les caufes que j'ai marquées de l'indignation des laïques contre le clergé, il en étoit furvenu une nouvelle depuis environ cent ans, favoir le tribunal de l'Inquifition. On voit combien il étoit odieux, par la difficulté de l'établir même en Italie & dans l'état ecclefiaftique ; & par les Inquifiteurs mis à mort, comme S. Pierre de Verone compté entre les martyrs, le B. Pierre de Caftelnau & tant d'autres. Or l'Inquifition n'étoit pas feulement odieufe aux hérétiques, qu'elle recherchoit & poursuivoit, mais aux catholiques mêmes aux évêques & aux magiftrats dont elle diminuoit la jurisdiction, & aux particuliers aufquels elle fe rendoit terrible par la rigueur de fa procedure. Vous en avés vû des plaintes fréquentes, & grand nombre de conftitutions des papes pour moderer cette rigueur. Enfin quelques païs, aprés avoir reçu d'abord l'inquifition l'ont rejettée comme la France; & plufieurs ne l'ont jamais reçuë: çue fans que la religion Chrétiene y foit moins bien enfeignée ou pratiquée, que dans les païs où l'Inquifition eft la plus autorifée. Ceux qui ont vû ces differens païs peuvent en rendre témoignage.

La fin pour laquelle on a inftitué l'Inquifition, eft de purger ou preferver d'hérétiques les lieux où elle eft établie mais on a employé, pour parvenir à cette fin des moyens qui naturellement produifent l'hypocrifie & l'ignorance. La crainte d'être dénoncé emprisoné & puni fur un fimple foupçon, dont le fondement fera quelque parole indifcrete: empêche de parler de ce qui regarde la religion, de propofer fes doutes fi l'on en a, de faire des queftions & de chercher à s'inftruire. Le plus court & le plus fûr eft de fe taire, ou de parler & d'agir comme les autres, foit qu'on penfe de même ou non. Un pécheur d'habitude, qui ne veut pas quitter sa concubine, ne laiffe pas de faire fes pâques, pour n'être pas deferé à l'Inquifition au bout de l'année, commę

füfpect d'hérefie. Les pays d'Inquifition font les plus fertiles en cafuiftes relâchés.

La lecture eft un des meilleurs moyens de s'inftruire; mais elle eft difficile en ces pays-là. On n'y trouve l'écriture fainte qu'en latin, non en langue vulgaire ; & c'eft fe rendre fufpect de Judaifme, que de l'avoir en Hebreu. Plufieurs bones éditions des peres & des autres auteurs ecclefiaftiques y font défendues, parce qu'elles font faites par des heretiques ou des auteurs fufpects. Du moins il eft ordonné d'en retrancher une préface, un avertiffement, un commentaire, une note: d'effacer à telle & telle page une ligne, ou un mot, comme il eft Ind. lib. prohib. › fpecifié fort au long dans l'index de l'inquifition d'Efpa- Madr. 1667. fil. gne. Sans ces corrections il est défendu fous de rigoureufes peines de lire le livre ou de l'expofer en vente. Les libraires aiment mieux ne s'en point charger: ainfi quantité des bons livres n'entrent point dans les pays d'inquifition.

J'admire fur ce point, comme far tout le refte la fageffe

1260.

des anciens. Nous avons un decret du pape Gelafe publié Hift. liv. xxx. n. dans un concile de Rome l'an 494. où font fpecifiés les 3. to. 4. Conc. p. livres que l'églife Romaine reçoit & ceux qu'elle rejette: mais je n'y voi point de cenfures ou d'autres peines prononcées contre ceux qui liront les livres apochryphes ou condamnés: ce qui me fait croire que l'églife fe contentoit de les indiquer, fachant que c'étoit affez pour les confciences timorées; & qu'une défense rigoureuse ne feroit qu'exciter la curiofité des libertins & des indociles, Saint Paul exhortant les fidéles à tout éprouver & retenir ce qui eft bon, femble leur accorder une fainte liberté d'en faire le difcernement. En general les pafteurs dans les premiers. The. v. 21. temps avoient foin de bien inftruire les Chrétiens, chacun felon fa portée: fans prétendre les gouverner par foumiffion aveugle qui eft l'effet & la caufe de l'igno

rance..

la

XIV. Plaintes de Pierre de Cugnie

Les plaintes réciproques des ecclefiaftiques & des lai-ques furent le fujet de la fameufe difpute entre Pierre de Cugnieres & Pierre Bertrandi, devant le roi Philipe res.

3.4.

Hift. liv. xciv. n. de Valois. Mais on peut dire que la caufe de l'églife y fut mal attaquée & mal défenduë: parce que de part & d'autre on n'en favoit pas affés & on raifonoit fur de faux principes, faute de conoître les veritables. Pour traiter folidement ces questions, il eût falu remonter plus haut que le decret de Gratien ; & revenir à la pureté des anciens canons, & à la difcipline des cinq ou fix premiers fiécles. Mais elle étoit tellement inconuë alors, qu'on ne s'avifoit pas même de la chercher; & ceux qui vouloient reftraindre l'autorité du pape fe jettoient dans le raifonnement, comme Marfile de Padoue: qui par les principes de la politique Gold. Mon. 10.2. p. d'Ariftote, prétendoit montrer que l'empereur avoit droit de borner la jurifdiction des évêques & du pape même. Vous avés vû en quelles erreurs ces raifonnemens le conduifirent.

Hift. liv. xc111.n.

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Duboulai. to. 4. p.

216.

Il faut toutefois obferver qu'entre les erreurs de Mar. file, on comptoit une propofition tres-veritable, & la faculté de théologie de Paris dona dans cette méprife: la propofition qu'elle condamna eft que le pape ou toute l'églife enfemble ne peut punir de peine coactive aucun homme, quelque méchant qu'il foit, fi l'empereur ne lui en donne le pouvoir. Toutefois la puiffance que l'églife a reçuë de J. C. eft purement fpirituele & toûjours la même, je pense l'avoir montré: le refte vient de la conceffion des princes, & fe trouve different felon les temps & les lieux.

Deux prélats répondirent à Pierre de Cugnieres, favoir Pierre Roger élu archevêque de Sens, & Pierre Bertrandi évêque d'Autun. Ils s'arêterent long-temps à prouver que la jurifdiction temporele n'eft pas incompatible avec la fpirituele, & que les ecclefiaftiques font capables de l'une & de l'autre: mais ce n'étoit pas la question: il s'agiffoit de favoir s'ils l'avoient effectivement, & à quel titre. Si c'étoit par l'institution de J. C. ou par la conceffion des princes; & fi les princes ne pouvoient pas révoquer ces conceffions, quand le clergé en abufoit manifeste

ment.

Pour établir le pouvoir des prêtres fur les chofes tem

poreles

poreles, l'archevêque emploie les exemples de l'ancien teftament, Melchifedec prêtre & roi, Moïfe & Aaron, Samuel, Efdras, les rois de la famille des Maccabées. Mais ces exemples prouvent tout au plus que les deux puiflances peuvent être unies par accident en une même perfonne, ce qui n'étoit pas contefté: pour aller plus loin, il auroit falu prouver deux propofitions, l'une que les prêtres de l'anciene loi euffent eu pouvoir sur le temporel comme prêtres, l'autre que J. C. eut établi fon églife fur le même plan que le gouvernement temporel des Ifraëlites. Or on ne prouvera jamais ni l'un ni l'autre; & il est évident par toutes les écritures du nouveau testament, & par toute la tradition des dix premiers fiecles, que le roïaume de J. C. eft purement fpirituel, & qu'il n'eft venu établir fur la terre, que le culte du vrai Dieu & les bonnes mœurs fans rien changer au gouvernement politique des différens peuples, ni aux loix & aux coûtumes qui ne regardent que les interêts de la vie prefente.

L'archevêque prétend enfuite montrer que S. Pierre, p.1058. comme vicaire de J. C. a exercé la puiffance de vie & de mort, en puniffant Ananias & Saphira. La réponse it. v. s (eft facile. Qu'un évêque par fa feule parole fafle tomber mort un coupable, nous conviendrons qu'il tient de Dieu ce pouvoir: mais de tirer à conféquence ces miracles pour établir une jurifdiction ordinaire, c'est se moquer visiblement des auditeurs.

L'archevêque emploie ce paffage de S. Paul Ne 1. Cor. vi, z.. favés-vous pas que les faints jugeront de ce monde? comme fi par les faints l'apôtre n'entendoit que le clergé: au lieu qu'il entend tous les fidéles, & n'exclud que les païens, comme il eft clair par la fuite du difcours. C'est par la même erreur que le prélat reftraint au clergé ces paroles de S. Pierre Vous êtes la race choifie, le facerdoce roial, la nation fainte, qui s'adreffent manifeftement à tous les fidéles. Il ne diflimule pas le motif 1. Pet. 11. 9 d'intereft qui engageoit les prélats à foûtenir cette caufe,

en difant: Si les prélats perdoient ce droit, le roi & le p. 1072, C,

Tome XIX.

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