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FABLE XVIII.

LA CORNEILLE ET LE NOYER.

SUR un Noyer fertile, à la fuperbe cime,

Une Corneille s'abattit:

Préfage de malheur! le Noyer en frémit.
A tort & à travers la voilà qui s'efcrime
Et du bec & des pieds, des aîles tout autant,
Croaffant, coupant, abattant

Tout à la fois fruits & feuillage
Et branchage;

Ravageant fans pudeur & prefque fans deffein,
Faisant force dommage & fort peu de butin.
Le Noyer s'agitoit fous l'hôteffe indifcrete:
Avoit-elle juré de faire place nette?

Elle abattoit cent fruits avant d'en choifir un:
C'est un fléau; cent coups de gaules

Péferoient moins fur fes épaules

Que ce bec destructeur & non moins importun.
Ce ne fut pas encor le pis de l'aventure:

Sur l'oiseau de mauvais augure,

Un tube menaçant qui s'allonge dans l'air,
Vomit chez le Noyer la foudre avec l'éclair.
La Corneille a le coup; la voilà qui dévale,
Faifant de branche en branche un nouvel abattis.
Son hôte malheureux fur fon cadavre étale
De mille plombs cruels mille rameaux meurtris.
Dieu garde mes amis de vifite pareille;
De tous gens fans cervelle, impudens, défaftreux,
Et fouvent chez leur hôte apportant avec eux
Le malheur qui les fuit, ainfi que la Corneille.

FABLE XIX.

LA TULIPE.

N jeune favori de Flore & de Pomône Étoit Roi d'un jardin fertile & fpacieux, Qui charmoit à la fois l'odorat & les yeux. La ferpe étoit fon fceptre, un pampre fa couronne, Un verd gazon étoit fon trône.

Au Printems de l'année, au Printems de fes jours,
Mille fleurs de tout rang partageoient fes amours.
Parmi ces filles de l'Aurore,

S'élevoit la Tulipe aux brillantes couleurs.
A peine commençant d'éclore,

Elle éclipfa la Rofe aux fuaves odeurs.
Son calice naiffant, fa forme enchantereffe
Du Monarque ébloui fixèrent la tendreffe.
De Zéphyre il devient jaloux ;

Il ne peut la quitter, il l'arrofe fans ceffe;
De la main ou des yeux fans ceffe il la caresse,
Et l'aveugle s'oublie en des momens fi doux.
Le jardin cependant demeure fans culture;

Adieu le foin des arbriffeaux,

Du potager & des berceaux;

Tout dépérit, tout meurt, tout, jufqu'à la verdure.
Chargés d'infectes destructeurs,

Les arbres n'ont produit que de ftériles fleurs;
Ou leur fève épuisée en rameaux inutiles
Pouffe des feuilles pour des fruits;

Ronces, Lierres, enfin les herbes les plus viles,
Réceptacles impurs de mille affreux reptiles,
S'élèvent fans pudeur en tous lieux reproduits.
D'un fuperbe avenir l'efpérance eft détruite:
L'infenfé ne voit rien que fa fleur favorite!
Un Platane touffu qui lui donna toujours
Son branchage en Hyver, en Été fon feuillage,
Portoit ombrage à fes amours;

Il n'en fallut pas davantage;

L'ingrat fans balancer immole de fa main
Le bienfaiteur d'un fiècle à la fleur du matin !
La Tulipe en pâtit; il furvint un orage:
La grêle détruifit fon merveilleux corfage.
Son amant, dès l'Aurore, apperçoit fes malheurs;
D'abord il fe lamente, enfuite il devient fage.
Au fort de fon idole ayant donné des pleurs,

Il voit de for jardin la défolante image!

Il reprend l'arrofoir, la ferpe & le rateau';

Sous fes mains en tous lieux tout fleurit de nouveau;
Il fait tant par fes foins qu'il appaife Pomône.
Et bientôt fouriant aux préfens de l'Automne:
D'un petit mal, dit-il, naît fouvent un grand bien:
Quels tréfors j'immolois à la beauté fragile,
Au vernis fans odeur d'une fleur inutile!...
J'ai cru perdre beaucoup.... j'ai perdu moins que rien.

CELED

FLORES ET FRUCTUS.

Ire Partie.

N

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