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FABLE XXX.

LE RENARD MOURANT.

UN vieux Renard giffant au fond de sa tanière

Attendoit fon heure dernière.

Rangés près de fon lit, non fans émotion,
Les Renards fes enfans & fa famille entière,
Qui venoient recevoir fa bénédiction,
Attendoient qu'il fermât doucement la paupière.
Le Moribond fur fon féant

Se foulève avec peine & dit 'en gémissant:
O mes enfans, fuyez les gains illégitimes!

Voici l'heure où l'on fent tout le poids de fes crimes,
L'heure terrible!... Où fuis-je ? & qu'est-ce que je voi!..
Les gens que j'ai mangés n'entrent-ils pas chez moi?
Que me veut ce Dindon? & que me veut cette Oie?
Et ces Canards fanglans, faut il que je les voie?
Et cette Poule dont les cris

Me redemandent fes Petits,

La voyez-vous ?... Mon père, hélas! c'est un vertige,

Dirent les affiftans; ces mêts fi délicats
Que vous voyez si bien, nous ne les voyons pas;
Vous avez le tranfport, c'eft ce qui nous afflige;
L'appétit nous domine, & nous nous préparions—
A les manger peut-être? Ah! malheureux gloutons,
Race cruelle & carnacière,

Vous ferez une prompte & miférable fin!
Moi, j'ai vêcu long-tems, mais de quelle manière?
Mieux valloit-il mourir de faim.

J'ai vêcu, mais haï de la nature entière;

Dans l'ombre de la nuit, maudiffant la lumière;
J'ai vêcu parmi les hafards,

Des Chaffeurs & des Chiens preffé de toutes parts.
Deux doigts de cette patte ont péri dans la neige;
Je n'y vois que d'un œil, & dans un maudit piége
De ma queue un beau foir je laiffai les trois
quarts.
Sur ce point (croyez-moi, malgré tous mes écarts)
La morale eft d'accord avec la politique;

C'est un pefant fardeau que la haine publique!
Suivez le fentier de l'honneur,

C'eft le vrai chemin du bonheur...

Je vous laiffe une renommée

Bien trifte, & ma tendreffe en eft fort alarmée...

Travaillez au plus vîte à réparer cela;
Car, je vous le répète, on n'eft rien que par-là.
Mon père, dit l'aîné, la morale eft fort bonne;
Mais enfin la famille eft tant foit peu gloutonne.
L'exemple domeftique eft bien contagieux;
Vous même avez vêcu comme ont fait nos Aïeux.
Si notre renommée en chemin s'est perdue,
De recourir après c'est peine fuperflue.

Quand certains préjugés s'emparent des cerveaux,
Qu'y faire? Les Renards deviendroient des Agneaux,
Qu'ils refteroient toujours les garans du dommage
Qui fe fera jamais dans tout le voifinage;

Et pour peu qu'il meure un Pouffin

Un Renard en fera réputé l'affaffin.

Paix, mon fils. Mais,mon père.-Eh paix... je crois entendre...

J'entends chanter un Coq, je ne me trompe pas;

Mais point d'emportement... je fuis fi foible, hélas !...
Comme je vous difois... & s'il étoit bien tendre...
Sans doute, mes enfans, ce fera le dernier...
Mais plumez-le... fur-tout... fans le faire crier.

Fin du Septième Livre.

Beugnet

FABLE S.

LIVRE VIII.

PROLOGUE.

A M. LE CHEVALIER DE LA P**.

ON dit tout ce qu'on veut fur la Nature Humaine,
Et Jean qui pleure & Jean qui rit

En parlent tour-à-tour avec beaucoup d'efprit.
Tour-à-tour l'un & l'autre à fon avis m'entraîne.
Mais l'un voit tout en blanc & l'autre tout en noir:
Qui des deux croire en fomme, & comment faut-il voir?
D'après le fentiment que m'infpire un feul Homme,
Je pense bien ou mal de tout le Genre Humain.

Du

Du poids de fes difcours quand Fierenfat m'affomme;
Quand Tartuffe me glace en me ferrant la main,
Je deviens triste, & j'ai beau faire,

Sans favoir où je vais, je m'enfuis en colère.
Mais fi dans mon chemin, quand je n'y fongeois pas;
Je trouve mon Ami, qui me cherchoit peut-être;
Si, fans me confulter, s'emparant de mon bras,
Dans fon petit fallon, dont il me rend le maître,
Il m'introduit fubitement,

Alors, je ne fais trop comment,

Mon cerveau devient moins humide,

Mon cœur s'épanouit & mon front fe déride;
Alors, vous le favez, je n'ai plus de courroux;
A la joie, aux plaisirs je renais avec vous:
Je vois tous les Humains bons, loyaux & fincères;
Tous me femblent formés pour leur commun bonheur,
Je les crois mes Amis, & même un peu mes frères;
Et fi c'eft m'abufer, je chéris mon erreur.

O vous dont la fageffe aimable

En confolant mon cœur éclaire mon esprit,
Daignez fourire à cette Fable,

Qu'en vous la récitant l'Amitié vous offrit.

Si mes deux Voyageurs n'avoient dans leurs voyages

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