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Rencontré que vous feul, devenus moins fauvages, Ils chériroient l'humanité;

Ils ne la connoîtroient que par fon beau côté.

FABLE I.

LE VOYAGE DU LÉOPARD ET DU RENARD.

LE RENARD Voyageoit avec le Léopard:
Et comme ils difcouroient fur la chose publique
Et mêloient la morale avec la politique :

Par exemple, dit le Renard,

Trouvez-vous pas que l'Homme a d'étranges fyftêmes? N'a-t-il pas, dites-moi, le transport au cerveau, Quand il prétend que notre peau

Eft à lui de plein droit, & non pas à nous-mêmes? L'Homme eft fou fûrement, reprit le Léopard. Sûrement l'Homme eft fou, poursuivit le Renard: Sa folie, entre-nous, est même ridicule,

Et j'en rirois de tout mon cœur;

Mais il eft fi puiffant que je m'en fais fcrupule... Quand l'Homme déraifonne,oh c'eft un grand malheur!

I I.

IL fe fait un filence... & nos deux Voyageurs
Épuifé de fatigues, excédés de chaleurs,
S'arrêtent fous un arbre & s'étendent fur l'herbe.
Le Léopard étoit rêveur.

Son Compagnon lui dit : Seigneur,

Ma fourrure eft paffable, & la vôtre est superbe!...
J'y penfois, reprit-il, & j'en aurai grand foin...
A ces mots on entend comme un coup de tonnerre...
Un Homme jette un cri, tombe & rougit la terre...
Fuyons, dit le Renard, car l'autre n'est pas loin.

I I I.

TANDIS qu'ils s'éloignoient de ce lieu plein d'horreur,

Un accent doux & tendre, un douloureux murmure, Une voix qui fembloit celle de la Nature

Et pénétroit au fond du cœur,

Infenfiblement les ramène

Vers l'arbre qu'ils fuyoient, friffonnant de terreur...

Et c'étoit une voix humaine.

Un Homme plein de grace & dans la fleur des ans, Du Mourant qui refpire encore,

(Mais, hélas! qui jamais ne reverra l'aurore, )
S'empreffe à ranimer les membres palpitans
Parmi la fange & la pouffière,

Et fait de vains efforts pour arrêter le fang,
Qui murmurant toujours ruiffelle de fon flanc!
Il frémit en voyant l'atteinte meurtrière!...
Il le prend dans fes bras, & la main fur fon cœur,
Il tâche à lui trouver un refte de chaleur.
Le malheureux à peine entr'ouvrant la paupière,
Cherche encore, & gémit de revoir la lumière!...
Alors nos Voyageurs fous l'ombrage enfoncés,
De tout ce qu'ils ont vu font bien embarrasses.
Quel eft, fe difoient-ils, cet être fi bizarre,
Si bon & fi méchant, fi tendre & fi barbare?
Lui feul de fon femblable il fait tous les malheurs,
Et fur les maux qu'il fait lui feul veffe des pleurs!
Mais fa douleur eft noble... & ces brillantes larmes
Ne femblent-elles pas ajouter à fes charmes ?...
Si l'Homme étoit toujours ce qu'il eft quelquefois;
Si toujours de fon cœur il entendoit la voix,

O chef-d'œuvre de la Nature,

Noble & fublime créature!...

Je lécherois fes pieds, difoit le Léopard...
Quel malheur qu'il foit fou, s'écrioit le Renard!

IV.

LA fcène change encore & devient plus funefte.
Le Mourant meurt... celui qui reste
Arme fa main d'un fer & s'en perce le cœur.
Quelle eft cette nouvelle horreur ?

Eft-ce foibleffe ou force, ou folie ou fageffe?
Je n'y connois plus rien, reprend le Léopard...
C'est la folie extrême & l'extrême foibleffe,
C'est l'Homme... Mais marchons, ajouta le Renard,

V.

Nos Voyageurs penfifs poursuivant leur carrière, Effrayés tout-à-coup reviennent en arrière.

Une horrible clameur, un vafte embrafement

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