PÈRE RENARD prêcha devant le Roi Lion,
Je ne fais fi ce fut l'Avent ou le Carême: Voici l'extrait de fon fermon
Qui m'a paru la raison même Et dans le tems fit bien du bruit
En produifant fort peu de fruit.
Pour vivre longuement ne mangeons pas les autres, Car les droits d'autrui font les nôtres.
Ces paroles, dit-il, font du Livre éternel Dont rien n'effacera les facrés caractères, Et semblent supposer ce qui femble réel,
Que tous les Animaux font frères.
Sire, quoi qu'il en foit, me préferve le ciel D'en faire devant vous un abus criminel. Périffent à jamais ces funeftes maximes, Ces principes profcrits par les Rois vos Aïeux, Qui, par l'abus outré qu'on en fait fous vos yeux,
Changent le bien en mal, & les vertus en crimes. Je n'imiterai point dans ces difcours moraux D'un Berger de nos jours la fottife fuprême, Qui, pour épargner les Agneaux,
Voulut tondre les Loups, & fe tondit lui-même: Je ne toucherai point à la propriété.
Le foible, je le fais, eft né pour qu'on l'opprime, Pour être du plus fort l'efclave ou la victime; Et le droit naturel doit être refpecté. Sire, jetez les yeux fur toute la Nature; Parcourez d'un regard l'immenfité des airs, La furface du globe & l'abyfme des mers, Et par-tout du plus fort le foible eft la pâture. Mais le droit le plus étendu,
La raifon fait toujours lui donner des limites, Et celles du befoin les ont affez prefcrites: C'est l'abus feulement qui vous est défendu. Sire, qu'est-ce en effet que tout ce grand Royaume? C'est votre métairie, & vos nombreux fujets, Si vous y regardez, ne font que vos poulets, Dont il vous faut ufer comme un fage économe. Manger tout en un jour, ce font de ces effais
Qui font funeftes aux Rois mêmes:
S'abstenir d'y toucher feroit un autre excès; Mais la vertu fe trouve entre les deux extrêmes.
Sire, voici le point milieu
Qui doit plaire à chacun, & fur-tout plaire à Dieu : Aujourd'hui mangez l'un, & demain mangez l'autre ; Et tout y paffera, c'est le mot de l'Apôtre. Par-là vous fuffirez à tout;
Par-là vous pouflerez doucement jufqu'au bout Votre carrière glorieuse,
Et vous arriverez enfin,
Sans mourir d'embonpoint & fans mourir de faim, A l'éternité bienheureuse.
Il dit & defcendit, non fans émotion, Attendu qu'en donnant fa bénédiction Il avoit rencontré quelques regards finistres. Le Roi lui dit : Père Renard,
Je vous pardonne pour ma part;
Mais je ne voudrois pas répondre des Ministres.
FABLE XVI.
LE LION ET LE TAUREA U.
UN N LION à fouper invitoit un Taureau, Qu'il jugeoit à le voir moins foible que
Je vous veux, lui dit-il, régaler d'un Agneau Réfervé pour un facrifice.
Le Taureau répondit: Ce m'eft beaucoup d'honneur, Mais pour m'y refuser j'ai deux raisons, Seigneur,
Dont l'une, à mon gré, vaut bien l'autre:
Je n'eus jamais de goût pour la chair de l'Agneau, Et j'ai peur, entre-nous, que celle du Taureau
Ne fe trouve un peu trop du vôtre.
FABLE XVII.
LES DEUX COQS ET LE COQ-D'INDE.
DEUX jeunes Coqs pleins de courage,
Fiers, ardens, étourdis comme on l'est au bel âge, Tous deux ne respirant que la gloire & l'amour, Quittèrent le logis vers le déclin du jour. Étalant leur panache & portant haut la crête, Tous deux dans un verger s'en alloient en conquête. Quand, par un contre-tems fatal,
Dans un fentier couvert tous deux fe,rencontrèrent: L'un dans l'autre auffi tôt crut trouver fon rival.
De loin à peine ils s'avisèrent,
Que rouges de fureur par un cri rauque & fec Au combat il fe provoquèrent,
Puis nos deux Paladins de l'oeil fe mefurèrent, Puis il fallut enfin se mesurer du bec.
On les eût vus têtes baiffées,
Les yeux étincelans, les plumes hériffées, Avancer, reculer, revenir en courroux,
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