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FABLE XXIV.

L'OISELEUR ET L'ALOUETTE.

L'OISELEUR aux petits Oiseaux

Tendoit les rêts fur l'herbe tendre.

Une jeune Alouette admiroit fes travaux
Sur un tertre voifin, mais fans y rien entendre.
Je voudrois bien favoir ce que vous faites-là,
Dit-elle; expliquez-moi cela;

Je fuis fort curieufe & non pas fort fubtile.
Mais, reprit l'Oifeleur... rien... je fonde une Ville.
L'ouvrage fait, il fe cacha

A quelque pas fous le feuillage,

D'où fon œil aifément pouvoit tout découvrir.
Et l'Alouette

D'accourir.

Une Ville?... Ah! voyons comme une Ville eft faite...
On n'y voit rien du tout!... Approchons de plus près.
Elle approcha fi bien qu'elle fe prit au rêts.
Auffi-tôt l'Oifeleur arrive & la dégage;

Mais, hélas! pour la mettre en cage.
Tu m'as dupée, Homme de bien!

Dit la Pauvrette défolée...

Ah! la Ville où l'on traite ainsi le Citoyen
Ne doit pas être fort peuplée!

FABLE XXV.

L'INGÉNU ET LE MENTEUR.

LE

E Menteur avec l'Ingénu

Fit jadis un lointain voyage.

Près d'un rivage peu connu

Il arriva qu'un jour leur vaiffeau fit naufrage.
Les Singes, du Pays étoient les Habitans ;
Un Singe en étoit Roi, Singe des plus favans,
Vieux Singe à barbe grife, à cervelle profonde,
Qui jadis en courant le monde,

Et profitant de nos leçons,

Avoit appris enfin à dire : Nous voulons.
Il s'étoit déclaré Monarque légitime;
Les Singes l'avoient cru. Ce Prince eut
pour maxime
D'interroger beaucoup, fur-tout les Étrangers,
Étant fort curieux & craignant les dangers.
Il voit deux malheureux échoués fur les côtes;
Il fiffle fon Prévôt : Voici, dit-il, des Hôtes
Que le ciel nous envoie, il faut s'en affurer;

Sur leur fort à l'instant je vais délibérer,
Vite, qu'on les faififfe & qu'on me les amène.
Par trois coups de fifflet le fignal eft donné,
Auffi-tôt de fon Peuple il est environné,
Et le Roi tient fa Cour au milieu de la plaine.
Sur fon Trône d'abord on vit Gille Premier,
(Dans l'appareil qui l'accompagne,

Auffi grave que Charlemagne,)

Ayant pour escabeau le dos du Chancelier
Qu'on nommoit Meffire Guillaume;

Et puis tous les Grands du Royaume,
Et tous les Ordres à leurs rangs

Sur les hauts, les moyens & fur les petits bancs.
C'eft-là que l'on fait comparoître

Nos Voyageurs. Le Roi s'adreffant au Menteur;
Lève les yeux, dit il, & parle fans frayeur.
Qui fuis-je? réponds net; je voudrois me connoître.
Qui vous êtes? ah! Sire... un Roi, fans contredit.
Vous en avez le titre & même un peu l'habit;
Mais, Sire, n'euffiez-vous ni fceptre, ni couronne,
La fageffe qui fuit votre augufte perfonne,
Et qui parle toujours lorfque vous ordonnez,
Vous ferait reconnoître à des aveugles-nés.

Bravo! cria le Roi (bravo! dit l'Assistance)

Et ces gens que tu vois?... Réponds en confcience.
Des Marquis fans difficulté,

Vos Miniftres les uns, vos Généraux les autres;
De la Religion j'apperçois les Apôtres,

Invincibles foutiens de votre autorité,

-

Des Prélats qui font Ducs, des Moines qui font Comtes...
Voici le Parlement & la Chambre des Comptes!
La Cour des Aides, la voici,

Et je fuis confondu de ce qu'on voit ici! -
Bravo! braviffimo !... La Cour eft fatisfaite,
Et l'infigne Menteur eft comblé de préfens.
Parbleu, dit l'Ingénu, les Singes font plaifans!
Avec eux ma fortune eft faite.

Si le menfonge même en eft fi bien traité,
Ils couvrent d'or la vérité.

Or fus, à toi, dit le Monarque;
Tu rêves creux, & je remarque
De la furprise dans tes yeux;

D'en favoir le fujet je fuis fort curieux.
Qui fuis-je ?... mais réponds fans nulle flatterie,
Et de mes Courtifans parle avec énergie.

A ne vous point flatter, répondit l'Ingénu,

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